Autopromotion 471

Épistolaire, 45, 2019, couverture

Depuis la nuit des temps, l’Oreille tendue collabore à Épistolaire, la revue de l’Association interdisciplinaire de recherches sur l’épistolaire. De sa chronique, «Le cabinet des curiosités épistolaires», elle a tiré un recueil en 2011, Écrire au pape et au Père Noël.

La 45e livraison d’Épistolaire vient de paraître (2019, 411 p., ISSN : 0993-1929). L’Oreille y parle des lettres qu’on se lance, qu’on soit chez Simenon, chez le cinéaste Pierre Granier-Deferre, chez le joueur de baseball Ted Williams ou chez William S. Messier.

Table des matières

Haroche-Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 7.

«Dossier. André Gide dans ses letttres»

Codazzi, Paola, «Introduction», p. 11-22.

«Épistolarité et écriture de soi»

Masson, Pierre, «Avatars des lettres gidiennes», p. 25-35.

Schnyder, Peter, «“Mon cher enfant” — “Chère petite maman”. De la correspondance de Gide avec sa mère (1880-1895)», p. 37-47.

Lachasse, Pierre, «Un jeu de masques», p. 49-58.

Walker, David, «Gide et Rouart : correspondance et jeu de cache-cache», p. 59-72.

«Une vie en toutes lettres : amitiés et rencontres»

Canovas, Frédéric, «“Un grand courage moral, un grand désintéressement” : André Gide vu par Paul Léautaud», p. 75-86.

Carlier, Lucie, «Regards sur la correspondance entre André Gide, Jean Schlumberger et sa femme, Suzanne Weyher (1899-1912)», p. 87-96.

Sagaert, Martine, «Bien-être, maux et mots, dans la correspondance entre André Gide et Maria van Rysselberghe», p. 97-110.

Codazzi, Paola, «André Gide et “ses” femmes : Maria, Aline, Dorothy», p. 111-121.

Pollard, Patrick, «Un courrier d’outre-Manche : Gide à la découverte de la littérature anglaise», p. 123-135.

«Correspondance et apprentissage : Gide à l’écoute de la nouvelle génération»

Fossa, Paola, «Entre Paris et le désert : l’Italie et les Italiens dans la correspondance de Gide (1894-1915)», p. 139-157. Suivi de deux lettres inédites d’André Gide.

Martin, Sophie, «La correspondance entre André Gide et Marcel Arland», p. 159-169.

Abadie, Karine, «La lettre comme lieu de formation : la correspondance entre André Gide et Marc Allégret», p. 171-180.

Armstrong, Christine, «André Gide, épistolier lafcadien», p. 181-190.

«La lettre e(s)t l’œuvre : la correspondance comme espace de création»

Chashchina, Elena, «Dostoïevski dans les lettres d’André Gide», p. 193-203.

Langlois, Christophe, «Gide et Saint-John Perse en quête de Tagore», p. 205-217.

Voegele, Augustin, «André Gide et les musiciens de son temps : harmonies et dissonances épistolaires», p. 219-229.

Doig, Catherine, «Chantiers de L’Immoraliste : Gide aux prises avec l’autographie épistolaire», p. 231-241.

Ligier, Christine, «Échos et miroirs de la création : les correspondances gidiennes des années 1916-1926», p. 243-255.

Wittmann, Jean-Michel, «La correspondance gidienne ou la vie des idées», p. 257-266.

«Perspectives»

Gevrey, Françoise, «Aspects du temps dans l’écriture épistolaire : les Lettres nouvelles de Boursault», p. 269-284.

Richard-Pauchet, Odile, «François Mitterrand dans ses Lettres à Anne (1962-1995) : topoï et contre-topoï de la lettre d’amour, de Pygmalion à Abélard», p. 285-298.

«Chroniques»

Masson, Pierre, «État de la question de la correspondance d’André Gide», p. 301-310.

Schwerdtner, Karin, «Le “goût” des lettres. Entretien avec Arlette Farge», p. 311-319.

Stahl, Fabienne, «Les fonds de correspondances du musée départemental Maurice Denis», p. 321.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 323-324. Sur les lettres lancées. [HTML] [PDF]

Cousson, Agnès (édit.), «Bibliographie», p. 327-366. Avec la collaboration de Déborah Roussel, Luciana Furbetta, Benoît Grévin, Clémence Revest, Benoît Melançon et Andrzej Rabsztyn.

«Comptes rendus», p. 366-394.

«Résumés des articles du dossier», p. 395-404.

«Index des noms cités dans le dossier “André Gide dans ses lettres”», p. 405-411.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Pertes

Patrick Nicol, les Manifestations, 2019, couverture

«Ma vie est une succession de pertes.»

On perd beaucoup de choses dans le plus récent roman de Patrick Nicol, les Manifestations (2019).

La mère du narrateur, Paul Desrosiers, vieillit et perd d’abord la mémoire, puis le langage. On l’a aussi privée de son identité — «Épinglé au mur, un cliché de la bénéficiaire en compagnie du directeur de la résidence» (p. 45-46) — et de son ancrage familier — «Le nouveau milieu de vie est un long corridor fermé à chaque extrémité par une porte qu’un code numérique doit activer» (p. 410).

Ophélie, la fille de Desrosiers, une enfant de dix ou onze ans, perd son innocence : ses parents se séparent, elle est victime de prédateurs numériques et, surtout, elle est confrontée à la déchéance des corps («Ma maladie, c’est d’imaginer des maladies», p. 395).

Sarah, sa femme, quitte Paul et elle n’a plus de mots à elle pour exprimer son désarroi. Elle a constamment recours à du langage prêt-à-parler, venu en large partie de la psycho-pop, et elle en est consciente : «En descendant l’escalier, elle se demande si elle a vraiment réussi à se débarrasser des expressions toutes faites […]» (p. 193).

La famille habite Sherbrooke. Paul, qui travaille à la Société d’histoire et de généalogie locale, a beau connaître les diverses strates géographiques de l’évolution de la ville, il est incapable de terminer le répertoire auquel il travaille depuis longtemps, au risque de l’effacement de la mémoire urbaine.

Il ne se fait pas d’illusions : «Ma vie est plate. Je veux dire ennuyante, bien sûr, mais aussi : sans relief, égale et mince comme une règle à mesurer. Sans hauteur, sans largeur, sans profondeur», note-t-il dans son journal intime (p. 21). De tous les personnages, il est celui qui subit le plus grand nombre de pertes : de sa mère, de sa femme, de sa famille, de sa maison, de son espace de travail — de sa dignité.

La possibilité même de raconter est menacée chez lui : «Si un jour il ne me reste plus que trois histoires à raconter, est-ce que celle-là en fera partie ?» (p. 85)

Quand on a presque tout perdu, que faire ? On cherche une présence, une manifestation. La famille de Victor Hugo s’est tournée vers le spiritisme. Les surréalistes ont cru à la possibilité de se faire dicter des textes par l’inconscient. Paul, lui, espère d’abord trouver un sens à son existence dans un échange numérique avec une inconnue. La salvation lui viendra peut-être plutôt d’un étrange correspondant arrivé de France pour l’interroger sur le passé du Monument national de Sherbrooke et lui rappeler, avec d’autres, des préceptes simples : «Tous les conseils qu’on me donne tiennent de l’évidence, de la sagesse populaire, du discours commun. Et ils sont justes. Il y a là quelque chose d’humiliant» (p. 435).

Patrick Nicol tient solidement tous ces fils narratifs — la culture historique et littéraire de la France des XIXe et XXe siècles, et la vie quotidienne au Québec au XXIe siècle, mais aussi l’histoire de l’art moderne, par le personnage de Marcel Duchamp et son (trop) célèbre urinoir —, il fait sentir les crises que traversent les personnages même secondaires («Amélie-la-truie»), il montre ce que la déchéance des corps a de concret, il pratique l’humour à l’occasion (p. 180-181, p. 370, p. 440).

Foi d’Oreille tendue, voilà de la belle ouvrage.

 

Référence

Nicol, Patrick, les Manifestations. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 135, 2019, 442 p.

Double aveu du jour

Roger Simon, Cul-sec, 1981, couverture
L’Oreille tendue est une fan de Malcolm Gladwell : de ses articles dans The New Yorker, de ses livres, de ses balados, Revisionist History ou Broken Record.

Lisant son plus récent ouvrage, Talking to Strangers (2019), elle tombe sur la note de bas de page suivante : «SAFE stands for Security Analyst File Environment. I love it when people start with the acronym and work backward to create the full name» (p. 87).

Non seulement l’Oreille est une fan de Gladwell, mais elle a pratiqué ce qu’il aime («I love it») : le choix, d’abord, d’un acronyme, puis, seulement ensuite, la recherche des mots pouvant mener à cet acronyme.

Petite, elle a ainsi participé à la création du CULSEC (Centre universitaire de lecture sociopoétique de l’épistolaire et des correspondances) et du MADONNA (Module analytique des originaux nébuleux noéticiens allodoxiques). Elle n’y pense pas aujourd’hui sans émotion, voire sans fierté.

 

Référence

Gladwell, Malcolm, Talking to Strangers. What We Should Know about the People We Don’t Know, New York, Boston et Londres, Little, Brown and Company, 2019, xx/386 p. Ill.

Le niveau baisse ! (1725)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«From the Civil War to this present Time, I am apt to doubt whether the Corruptions in our Language have not at least equalled the Refinements of it… most of the Books we see now a-days, are full of those Manglings and Abbreviations. Instances of this Abuse are innumerable : What does Your Lordship think of the Words, Drudg’d, Disturb’d, Rebuk’t, Fledg’d, and a thousand others, every where to be met in Prose as well as Verse ?» (lettre de Jonathan Swift à Robert, Earl of Oxford, 1725).

Source : David Shariatmadari, «Why It’s Time to Stop Worrying About the Decline of the English Language», The Guardian, 15 août 2019.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture