Du mou dans la définition

Le Larousse en ligne connaît trois sens au mot lousse, «nom féminin (de l’anglais loose, ample)».

«Au Canada, se dit de ce qui n’est pas serré; ample : Des chaussures lousses

«Au Canada, libre, sans entrave : Laisser son chien lousse

«Familier. Au Canada, se dit de quelqu’un qui est prodigue, généreux.»

Ces définitions appellent quatre commentaires.

Le mot lousse n’est pas toujours un nom. Il peut aussi être un adjectif.

L’adjectif est épicène (pas seulement «féminin»). On dira aussi bien Mon jackstrap est lousse que La courroie de mon aide maritale était lousse (Dictionnaire québécois instantané, p. 129).

Le mot est toujours familier. Il ne l’est pas plus dans la troisième définition que dans les deux précédentes.

Enfin, le dernier sens se rencontre notamment dans l’expression se lâcher lousse, qui n’est pas prise en compte par Larousse. Définition possible : Se laisser aller, être libre, décontracté.

Exemples

«Corcoran ne se lâche jamais vraiment lousse» (le Devoir, 20 avril 2001);

«[Lâchés] lousses ils sont, lâchés lousses ils demeureront» (le Devoir, 27-28 juillet 2002);

Éric Goulet «se lâche glorieusement lousse» (le Devoir, 24-25 décembre 2011, p. E3).

Bref, il y a un peu de lousse dans les définitions.

 

[Complément du 17 octobre 2017]

On peut aussi avoir du lousse, c’est-à-dire ne pas se sentir à l’étroit.

 

[Complément du 29 avril 2018]

Sur le site Correspondance du Centre collégial de développement de matériel didactique, Louise Desforges propose plusieurs autres sens de lousse. C’est ici.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Récolte à saveur printanière

Roy MacGregor, l’Enfant du cimetière, 2009, couverture

En 2009, en 2010 et en 2011, l’Oreille tendue a fait un peu de tri sélectif dans son panier à à saveur. Rebelote aujourd’hui.

Le à saveur sévit dans tous les domaines, de la politique — «une campagne électorale à saveur de rentrée scolaire» (radio de Radio-Canada, 8 août 2012) — à l’économie — «Une rentrée à saveur économique» (la Presse, 3 juin 2011, p. A14). On le trouve dans des formulations bien étranges : «Un dossier à saveur raciste» (la Presse, 2 mars 2012, p. A20).

Contentons-nous pour l’heure de deux domaines.

Le sport :

«Combat à saveur locale» (rds.ca, 5 février 2013).

«Pour un dimanche rétro ! RT @MuseeMcCord “Des sports d’hiver à saveur rétro: http://ow.ly/gqTaC” #sports #hiver #nostalgie» (@macarignan).

«Gain à saveur japonaise» (site mobile de RDS, 20 août 2012).

Victoire à saveur canadienne

La culture :

«fictions à saveur historique» (le Devoir, 6 mars 2012, p. B7).

«roman à saveur historique» (le Devoir, 27-28 août 2011, p. F3).

«roman à saveur familiale» (le Devoir, 25-26 août 2012, p. F3).

«roman à saveur politique» (le Devoir, 25-26 août 2012, p. F3).

«romans à saveur scout» (Fides. 75 ans, p. 30).

Les Anciens Canadiens est un «roman historique à saveur autobiographique» (le Roman québécois, p. 23).

«histoire à saveur locale» (l’Enfant du cimetière, p. 88).

«chansons à saveur religieuse et patriotique» (le Diable en ville, p. 146).

«chansons à saveur éditoriale» (le Diable en ville, p. 185).

«Philippe Fehmiu vous invite à danser au son de ses cocktails musicaux à saveur internationale» (publicité de Radio-Canada, la Presse, 2 septembre 2011, cahier Arts et spectacles, p. 1).

«Une rentrée à saveur techno» (la Presse, 9 juin 2011, cahier Arts et spectacles, p. 7).

«divertissements à saveur visuelle» (le Devoir, 9 novembre 2012, p. B2).

«tournées estivales à saveur nostalgique» (la Presse, 5 novembre 2012, cahier Arts, p. 2).

«cette série à saveur nostalgique» (le Devoir, 6 juillet 2011, p. B7).

«documentaire à saveur autobiographique» (le Devoir, 11 décembre 2012, p. B7).

«cette comédie à saveur rétro» (la Presse, 26 janvier 2013, cahier Cinéma, p. 1).

«http://Tou.tv propose trois webséries à saveur fantastique ce printemps http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2012/03/20/002-tou-tv-webseries-mars.shtml Cool» (@CCAuteur).

 

Références

Biron, Michel, le Roman québécois, Montréal, Boréal, coll. «Boréal express», 2012, 126 p.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.

Lamontagne, Marie-Andrée (édit.), Fides. 75 ans, Montréal, Fides, 2012, 79 p. Ill. Hors commerce.

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Lourd bagage familial

Dans l’écosystème intergénérationnel de l’Oreille tendue, on entend souvent, du père vers ses fils, fuser l’interrogation suivante : «Est à droite ou à gauche ?»

Il s’agit évidemment de la forme ramassée de l’interrogation «La poignée que j’ai dans le dos, elle est à droite ou à gauche ?» (Réponse habituelle, et prévisible : «Au centre.»)

Avoir une poignée dans le dos, donc. Traduction libre : être pris pour une (bonne) poire, une valise.

Exemples journalistiques :

«Ne vous retournez pas trop vite, vous pourriez constater avec dépit que c’est bien une poignée que vous avez là dans le dos» (le Devoir, 14 novembre 2000);

«Heu, la poignée dans le dos, elle est à gauche ou à droite ?» (le Devoir, 7 avril 2003);

«Alors M. Galarneau, ma poignée dans le dos, elle est à gauche ou à droite ?» (le Devoir, 12 mai 2003)

Dans son Petit Robert (édition numérique de 2010), l’Oreille découvre la locution suivante : «Con comme une valise (sans poignée) : totalement idiot (en parlant d’une personne).» Serions-nous devant un cas de divergence transatlantique ?

 

[Complément du 3 octobre 2016]

L’expression est commune. On la retrouve même dans des publicités, par exemple celle-ci, tirée de la Presse+ du 1er octobre dernier.

Publicité de Nutri lait, la Presse+, 1er octobre 2016

 

[Complément du 8 juillet 2017]

Qui ne connaît pas le sens de l’expression avoir une poignée dans le dos aura du mal avec ce poème de Philippe Chagnon tiré de Arroser l’asphalte (2017) :

lorsque je passe près d’eux
de jeunes adolescents criant des insanités
recouvrent leur tête de murmures capuchonnés
s’aperçoivent que dans mon dos
tout près de la poignée
quelque chose est envisageable
comme la possibilité de se taire
avant qu’il ne soit trop tard (p. 60)

 

Référence

Chagnon, Philippe, Arroser l’asphalte. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 91 p.

Juron ressuscité ?

Il y a deux ans, l’Oreille tendue l’évoquait parmi les «versions édulcorées» des jurons québécois, les «sacres», mais sans trop croire à sa permanence. Y avait-il encore quelqu’un pour utiliser le mot «torpinouche» ?

Il semble que oui. «Torpinouche, un accident !» peut-on lire en titre dans la Presse du 2 avril (cahier Affaires, p. 9).

Ce «juron inoffensif», dixit Léandre Bergeron (1981, p. 159), survivra donc ailleurs que dans l’œuvre d’Albert Chartier.

Albert Chartier, «Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955

«Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.] Ill. Présentation de l’auteur.

Le vocabulaire de l’École de la tchén’ssâ

Rasoir Maurice Richard

Dans «Histoire de la littérature québécoise contemporaine 101», l’Oreille tendue associait le nom de Daniel Grenier à l’École de la tchén’ssâ. William S. Messier va plus loin — et il est peut-être le premier à l’écrire : «j’suis de l’École de la tchén’ssâ».

Grenier et Messier, outre leur appartenance, imposée ou revendiquée, à cette école, jouent dans la même ligue de balle molle, La ligue du Ruppert Mundys (ou Mundys’s) revival, où s’opposent Les Louis-Ferdinand Céline et Les Martres du Centre-sud.

Et ils ont un verbe en commun : raser.

«Gough vient juste de raser se tuer en tombant juste à côté d’une brochette en bois avec un petit reste de saucisse calcinée plantée dans le gazon en arrière du deuxième but» (Daniel Grenier, «Faits saillants», site Poème sale, 20 octobre 2012).

«Sous la réalité étincelante d’un soleil de fin d’après-midi de juillet, les deux sacs de plastique contenant chacun douze canettes de Pabst Blue Ribbon ont beau cogner sur la roue avant de son vélo, faire tourner son guidon et raser lui faire quitter la piste cyclable pour foncer sur le cours de yoga prénatal, rien ne saurait ternir ce moment» (William S. Messier, «Bon match», site Poème sale, 24 octobre 2012).

Raser ? Au Québec, ne pas se produire (ouf !), alors que cela aurait très bien pu se produire. Autrement dit : passer proche.

 

[Complément du 15 novembre 2020]

Trois exemples pour passer proche :

«Elle a passé proche» (Créatures du hasard, p. 134).

«J’envisage un moment la possibilité de me noyer dans mon sang, mais l’homme donne soudain un coup de succion qui passe proche de m’arracher la langue en aspirant les liquides» (la Nageuse au milieu du lac, p. 118).

«Donald Trump passe proche de reconnaître sa défaite» (Radio-Canada, 13 novembre 2020).

 

Références

Carballo, Lula, Créatures du hasard. Récit, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 144 p. Ill.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.