Résister, ou pas

Michel Tremblay, Conversations avec un enfant curieux, 2016, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées des Conversations avec un enfant curieux, de Michel Tremblay (2016) :

Pis va aussi demander à ta grand-mère pourquoi a’l’ a une tête de cochon comme ça ! J’y demande un petit service, a’ se trompe, pis a’ veut pas réparer son erreur ! C’est-tu de la paresse ou ben donc du buckage ? (p. 14)

Pis au lieu de résister, au lieu de bucker comme dirait ta tante Bartine, commence à accepter que tu vas vieillir comme tout le monde (p. 148).

Dans le français populaire québécois, qui bucke, est bucké ou se prête au buckage fait preuve de résistance, d’entêtement. Le mot semble venir directement du verbe anglais to buck (oppose, resist).

Ce type de comportement n’est guère recommandable. Tenez-vous-le pour dit.

P.-S.—Dans le règne animal, si l’on en croit Léandre Bergeron, bucké, «pron. boqué», aurait rétif pour synonyme (1981, p. 74).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Tremblay, Michel, Conversations avec un enfant curieux. Instantanés, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, 2016, 148 p.

Extrémité inattendue

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

Nous avons déjà eu l’occasion — souvenez-vous — de nous interroger sur le nombre de bout(s) du cierge et de la v(V)ierge.

Une interrogation de même nature, mais en matière fécale, serait possible.

Soit la phrase suivante, tirée des Noyades secondaires, de Maxime Raymond Bock (2017) :

L’Union des artistes était là au grand complet, des chroniqueurs Arts et Spectacles, trois-quatre écrivains qui se prenaient pour le bout de la marde, il neigeait de la coke, t’aurais dû voir le party (p. 254).

La marde — voyez ici et — aurait donc, elle aussi, (au moins) un bout.

Laissons de côté les images suscitées par une expression comme celle-là et attachons-nous à son sens.

Dans la phrase ci-dessus, le bout de la marde a une dimension fruitière implicite : qui se prend pour le bout de la marde, en effet, ne se prend pas pour la queue d’une cerise / de la poire. Voilà une personne qui a une haute opinion d’elle-même.

L’expression marquerait aussi l’étonnement, d’où la traduction offerte dans l’ouvrage Canadian French for Better Travel (2011) : «Cé l’boutte d’la marde ! / Now I’ve seen it all !» (p. 45)

Léandre Bergeron propose encore autre chose en 1980 : «C’est décourageant. C’est désespérant» (p. 310).

Une chose est sûre : une limite a été atteinte. Ne la dépassons par aucun bout.

 

[Complément du jour]

Ce tweet l’atteste : la queue de cerise des uns est la boisson gazeuse sans gaz (le seven up flat) des autres.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

On s’appelle et on déjeune

Edvard Munch, «Le cri», 1910

Soit les deux phrases suivantes :

«Les mots semblent arrachés d’une gorge desséchée, râpant l’écorce des pins et traînant dans leurs ondes d’infimes particules de roches et de bois. Ils prennent vie et se transforment au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de leur source. Un cri devenu jappement devenu ouac. Le coyote se tourne aussitôt en direction du bruit et montre les crocs» (Dixie, p. 144-145).

«Je suis arrivé. En secouant son uniforme, il se tourna vers la cabane à Monti pour lâcher un ouac» (la Bête creuse, p. 81).

Le ouac — qu’on lâche volontiers — a une dimension sonore évidente : bruit, appel, cri. Sans dire pourquoi — fidèle à son habitude —, Léandre Bergeron précise : «Cri de surprise, de douleur» (1980, p. 345).

Ephrem Desjardins, en 2002, préfère la graphie wak (ou ouac) : «Cri très fort. Lâcher un wak» (p. 145). En 2015, chez Pierre Desruisseaux, c’est wack : «[angl. cri] Lâcher un wack (wak, waque) : Lancer un cri» (p. 326).

Ça fait désordre.

 

Illustration : Edvard Munch, «Le cri», 1910, tableau déposé sur Wikimedia Commons

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Bien couverte

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

Soit la phrase suivante, tirée des excellentes Noyades secondaires de Maxime Raymond Bock (2017) : «Elle m’a regardé, bouche ouverte, culottes baissées» (p. 310).

Qu’on se rassure : l’infirmière ici décrite ne s’est pas dévêtue en plein hôpital.

Explication du Petit Robert, édition numérique de 2014 : «(1979) (Canada) Fam. Se faire prendre les culottes baissées, les culottes à terre : être pris au dépourvu, surpris dans une situation embarrassante.»

La morale est sauve.

 

Référence

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

Du postérieur

Michel Tremblay, Bonbons assortis, éd. de 2017, couverture

«ma grand-mère adorait le mot fessier
presque autant que concubinage»
Michel Tremblay, Bonbons assortis. Récits

«Les deux fesses» est la définition du substantif fessier dans le Petit Robert (édition numérique de 2014), qui le considère «familier». Pour l’adjectif, on lit une définition — «Relatif à la région postérieure du bassin» —, mais deux acceptions — «anatomique» et «familière».

Ce n’est pas directement à ces définitions que pensait un journaliste économique de la Presse+ en intitulant son article du 3 août 2018 «La Caisse décide de jouer fessier».

Cette Caisse est la Caisse de dépôt et de placement du Québec, communément appelée «le bas de laine des Québécois». Qu’a-t-elle dans son jeu ?

Après neuf années de création de richesse et de croissance économique continue, les marchés boursiers à travers la planète — hormis les parquets américains — peinent depuis le début de 2018 à livrer des rendements conséquents. Une réalité qui a amené la Caisse de dépôt à adopter un positionnement défensif dans son allocation d’actifs. En termes sportifs, la Caisse a donc décidé de «jouer fessier».

Dans la mesure du possible, on ne confondra pas jouer fessier (faire preuve de prudence) et jouer aux fesses («avoir des relations sexuelles», Trésor des expressions populaires, p. 147).

P.-S.—Il n’est pas impossible de s’étonner de la présence de pareille expression en manchette.

 

Références

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Tremblay, Michel, Bonbons assortis. Récits, Montréal, Leméac, coll. «Nomades», 2017, 152 p. Édition originale : 2002.