Exégèse blaisienne

André «Moose» Dupont dans l’uniforme des Flyers de Philadelphie, carte de joueur

Soit la phrase suivante, tirée du plus récent livre de François Blais :

«Huit cent mille [Tutsis massacrés]. En plus ou moins quatre-vingt-dix jours. Cela fait quelque chose comme six morts à la seconde, vingt-quatre heures par jour, sept jours sur sept. Ici, il serait tentant de citer Moose Dupont, mais je vais me garder une gêne» (p. 29).

Quand Un livre sur Mélanie Cabay entrera dans la «Bibliothèque de la Pléiade», voire dans la «Bibliothèque du Nouveau Monde», une note explicative sera peut-être nécessaire. Proposons celle-ci.

André Dupont est un joueur de hockey canadien né en 1949, surnommé «Moose» («L’orignal»). On lui attribue la paternité de l’expression «en ta» ou «en tab», élision possible de divers jurons québécois : «en tabarnak», «en tabarouette», «en tabarnouche», «en tabouère», «en tabarnane», «en tabarslak», «en tabeurn» (dans ce cas, l’élision est double), etc. (Voir ici et .) Elle signifie «beaucoup». Le journaliste sportif Robert Duguay (1948-1999), de la Presse, l’affectionnait. «Se garder une [petite] gêne» est signe de retenue ou de pudeur dans le français du Québec.

À votre service.

 

[Complément du 25 août 2019]

Tabarnache est attesté, par exemple dans Lignes de fuite, une pièce de Catherine Chabot (2019, p. 80).

 

Références

Blais, François, Un livre sur Mélanie Cabay. Récit, Longueuil, L’instant même, 2018, 125 p.

Chabot, Catherine, Lignes de fuite, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 20, 2019, 130 p. Ill. Suivi d’Aurélie Lanctôt, «Une génération dans le miroir».

Sacrons poliment avec Twitter

Soit le tweet suivant :

Torvisse, donc. C’est un autre de ces jurons édulcorés comme on en a déjà vu ici à quelques reprises.

On le trouve aussi chez la Françoise Major de Dans le noir jamais noir (2013) :

Après… ça s’est pas amélioré. Ils l’ont fait souffler dans la balloune. Pour une fois, Germain s’obstinait pas. Il aurait peut-être dû. Trop saoul pour souffler dans la balloune, torvisse ! Il a fini par réussir au septième ou huitième coup (p. 17-18).

Il y a plus violent que ce sacre-là. Cela ne lui enlève rien de son utilité.

 

[Complément du 18 juin 2025]

Rarissime emploi adjectival dans le quotidien le Devoir d’hier : «Manque de pot, la réponse à cette question torvisse ne se trouvait pourtant pas très loin, dans une étude scientifique à paraître sous peu dans la Revue canadienne des sciences régionales.»

 

Référence

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.

Divergences transatlantiques 053

Deux paires de chaussures suspendues, Montréal, 5 juin 2010

Certaines personnes — l’Oreille tendue n’en est pas — aimeraient courir, dit-on. Elles pratiquent la course, le jogging, le footing, voire — la création paraît récente — le running. Pour Wikipédia, cet «anglicisme» désigne «une pratique libre de la course à pied», inscrite «dans le culte de la performance : courir plus longtemps ou plus vite par exemple».

Dans un mois, Cécile Coulon fera ainsi paraître, chez François Bourin, un Petit éloge du running.

Au Québec, ce titre pourrait prêter à confusion : le running, ou running shoe, y est surtout la chaussure qui permet la course, non la course elle-même. Des exemples littéraires de cet emploi ? Voyez Attaquant de puissance, de Sylvain Hotte, qui utilise aussi bien, en italiques, runnings (p. 132, p. 152) que running shoes (p. 175). (On voit aussi espadrille, chaussure de sport, shoe-claques, sneakers, etc. Le site le Français de nos régions a consacré une étude à la répartition géographique de ces termes au Canada.)

Quoi qu’il en soit de l’éloge à paraître, tout ça est une affaire de pied(s).

 

Référence

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Citation justement modérée du jour

Jean-Martin Aussant, la Fin des exils, 2017, couverture

«On peut soutenir que la langue française serait mieux protégée et promue dans un Québec souverain qui ne souffrirait pas de l’ingérence d’une Cour suprême située hors Québec, laquelle penche périodiquement en sens inverse de nos intérêts particuliers. Mais on peut le faire sans agiter le spectre d’une imminente louisianisation

Jean-Martin Aussant, la Fin des exils. Résister à l’imposture des peurs, avec des œuvres de Marc Séguin, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 12, 2017, 102 p., p. 21.

La clinique des phrases (s)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

https://twitter.com/FabienCloutier/status/649939859331809280

Dans le Devoir du 15 janvier, l’ami Jean-François Nadeau s’interrogeait sur la montre conçue comme signe de richesse dans les sociétés contemporaines. Il prenait pour exemple un homme d’affaires québécois, François Lambert.

Ledit Lambert l’a pris personnel et mal. Il réplique au chroniqueur aujourd’hui dans les pages du même quotidien.

Extrait choisi :

Et si pour toi, c’est normal d’attendre des mois alors que toutes les données sont là, eh bien, tu n’as assurément pas la graine de l’entrepreneur.

Cette «graine de l’entrepreneur» étonne, tout autant par sa connotation grivoise que par l’emploi fautif de la formule être de la graine de.

Proposition de correction :

Et si pour toi, c’est normal d’attendre des mois alors que toutes les données sont là, eh bien, tu n’es assurément pas de la graine d’entrepreneur.

À votre service.