Paris, op. 1

Elle l’a sûrement déjà dit, mais l’Oreille tendue n’en est pas à une répétition près : ce n’est pas en avion que l’être humain est à son meilleur. Il l’est encore moins au moment de monter dans l’avion et d’en descendre. (L’Oreille est, elle aussi, un être humain.)

Lecture de début de voyage (parisien) : Éric Plamondon, Oyana (2019). Appelons cela «Le paradoxe de Plamondon romancier» : quand cet écrivain inventif (voir la trilogie 1984) essaie d’être le plus romanesque possible (de multiplier les péripéties et les rebondissements), ça ne marche vraiment pas du tout. (C’était pire dans Taqawan, il est vrai.)

Scène d’autocar : «Grave», au sens de «Oui», répété trois fois de suite, sur trois tons. Respect. R-e-s-p-e-c-t. R.e.s.p.e.c.t.

Une nouvelle espèce prolifère sur les trottoirs parisiens : la trottinette électrique en libre-service, soit en état de marche — c’est dangereux — soit abandonnée tout partout — c’est dangereux. Certains progrès n’en sont pas. (Martine Sonnet nous avait pourtant prévenus.)

On n’apprécie pas toujours assez le verbe être, en France comme au Québec.

Être ou demeurer ?

(Non, l’Oreille ne s’en est pas pris à la camionnette elle-même, ainsi que l’a brièvement craint @machinaecrire. @ljodoin, lui, s’est inquiété pour le «cheap driver».)

L’Oreille est une créature d’habitude. Mangeant à son habituelle pizzéria, elle ne fut pas peu étonnée du «En vous souhaitant une bonne appétit» de la serveuse. Celle-ci ne paraissait pourtant pas québécoise.

Au Nemours, à côté de la Comédie-Française, on ne sert plus de Pelforth brune. L’Oreille le regrette. C’est une créature d’habitude.

Parisienne, bière brune parisienne

Odeur d’herbe fraîchement coupée, boulevard Pasteur, le 3 avril. L’Oreille dit ça, elle ne dit rien.

Ajout à la rubrique «Divergences transatlantiques». Au Québec, «shot» est, sauf rarissimes exceptions, féminin. Pas là.

Un shot ou une shot ?

Fini d’attendre.

Société Godot & fils, Paris

Au théâtre, mercredi.

Deux spectatrices discutent derrière l’Oreille : «— On est bien placées, mais on ne voit pas les pieds des comédiens. — C’est pas grave. On les devinera.»

Deux rangs devant, il y avait Nicolas Maury — oui, oui, le Hervé d’Appelez mon agent / 10 %.

Sur la scène, la Double Inconstance de Marivaux, au Théâtre 14, dans une mise en scène de Philippe Calvario. Lecture sombre (donc du goût de l’Oreille), acteurs brillants, jeu physique — musique parfois anachronique, presque toujours inutile. Et le jeu de mains de Sylvia (Maud Forget).

Après le spectacle, repas au café, avec Paris-Saint-Germain / FC Nantes — c’est du soccer — sur écrans géants. Les partisans nantais, les sobres comme les moins, n’étaient pas du tout contents d’un pénalty non décerné. Et le jeu de pieds de Mbappé.

Archéologie parisienne.

«Je suis Charlie», Paris, 2019

(à suivre)

 

Références

Plamondon, Éric, 1984. Romans. Trilogie. Hongrie-Hollywood Express. Mayonnaise. Pomme S, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 96, 2016, 600 p. Ill. Éditions originales : 2011, 2012 et 2013.

Plamondon, Éric, Oyana, Meudon, Quidam éditeur, 2019, 145 p.

Plamondon, Éric, Taqawan. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 13, 2017, 215 p.

Poésie de rêve

Maurice Desjardins, «Les Canayens sont là !», poème, le Sport illustré, janvier 1952, p. 19

La revue le Sport illustré de janvier 1952 publie un poème de Maurice Desjardins (p. 19).

«Les Canayens sont là !

Le Forum était plein et tous ses sièges jaunes
Regorgeaient de clients fiévreux et palpitants.
Brandissant un billet j’arrivai dans ma zone
Impatient d’applaudir nos dignes Habitants.

Pour être dans l’ambiance, en digne patriote,
Je venais d’engloutir un plat de fèves au lard,
Une bonne soupe aux pois et un plat d’échalotes
J’attendais en rotant l’arrivée de Richard.

Parti pour l’étranger il y a plusieurs années
Je brûlais de revoir nos glorieux Canayens
Longtemps j’avais souffert, comme une âme damnée,
De ne pas assister aux faits d’armes des miens.

Je faillis me pâmer en voyant Dick Irvin
Ce défenseur des nôtres, apparaître en souriant
Par un étrange effet de la pitié divine
La foule l’aperçut et se leva, criant :

“Hourrah pour Dick Irvin, l’ami du clan français”.
Les hymnes nationaux mirent fin au vacarme
Et tout de suite après, la joute commençait;
Je n’étais pas le seul à être ému aux larmes.

Consultant le programme au dessin tricolore,
Je jetai un coup d’œil sur les alignements.
Je vis que Geoffrion, Pronovost et Bouchard
Faisaient toujours partie de notre groupement.

Quelle noble équipe avec Béliveau,
Son Locas, son Rousseau et son vif Corriveau !
Dolbec et Désaulniers, Locas et Saint-Laurent !
Pas étonnant qu’ils soient toujours au premier rang.

Plante dans les filets et sa tuque à pompon
Dussault et Tod Campeau flanqués de Plamondon
Laprade et Chèvrefils à l’attaque sans cesse
Mon cœur était vraiment débordant d’allégresse.

Et des Français volants avides de gloire
Le long sifflet final annonça la victoire
Détroit fit son possible et se défendit bien
Mais allez donc résister à tant de Canayens !…»

Ces «Canayens» sont les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, où ils jouent au Forum.

De retour chez lui après «plusieurs années», le poète n’a pas oublié son sport. Il sait que le gardien de but Jacques Plante aime tricoter, lui qui porte une «tuque à pompon». Les Montréalais sont rapides («Français volants»). Les couleurs de l’équipe sont le bleu, le blanc et le rouge («dessin tricolore»). L’on dit souvent du hockey qu’il est une religion au Québec; cela est discrètement évoqué («âme damnée», «pitié divine»).

L’inventivité de la rime mérite d’être signalée. Les six premières strophes sont de structure a-b-a-b; les trois dernières, a-a-b-b. Il est rare de parler de «groupement» pour désigner une équipe, mais cela permet la rime avec «alignements» (la liste des joueurs). L’anglais («Irvin») rejoint le français («divine»). Une paire est osée : «tricolore» / «Bouchard». Surtout, la deuxième strophe est alimentaire et nationaliste : le «patriote» apprécie les «échalotes»; il n’a pas peur de faire répondre Maurice «Richard» au «plat de fèves au lard». Celui qui parlait des «dignes Habitants» et se définissait comme un «digne patriote», qui évoquait «nos glorieux Canayens», change de registre et s’imagine «rotant».

Dick Irvin serait un «défenseur des nôtres», «l’ami du clan français». Ce portrait est inhabituel : l’entraîneur des Canadiens n’a généralement pas aussi bonne presse auprès des partisans francophones. Il est vrai qu’il ne dirige pas une équipe réelle : les joueurs francophones énumérés par le poète n’ont pas tous joués (ensemble) professionnellement pour les Canadiens; cette équipe composite est une équipe rêvée.

La poésie sportive sert aussi à cela.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que notre chemin croise celui de Maurice Desjardins.

P.-P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous tombons sur un poème mettant en scène «le Rocket».

P.-P.-P.-S.—L’érudition des lecteurs de l’Oreille tendue ne cesse de l’épater. Merci à Pierre Cantin de cette belle découverte.

L’Oreille est rassurée

Dans le Dictionnaire québécois instantané qu’elle cosignait en 2004, l’Oreille tendue octroyait des prix aux mots à succès au Québec, les «Perroquets» (d’or, d’argent, de bronze). Le mot extrême était arrivé en tête.

Depuis, périodiquement, elle de demande si le mot a encore cours, d’où la rubrique «Extrême».

Les journaux de la fin de semaine la rassurent : «Oser la rénovation extrême», titre la Presse+; «Au-delà des sports extrêmes», répond le Devoir.

Ouf.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

L’art du pastiche

Nadine Bismuth, Un lien familial, 2018, couverture

La parodie doit faire rire : on sait qu’il y a moquerie. Le pastiche est plus subtil, qui mêle appropriation stylistique et différence perceptible. Tout y est affaire de distance finement mesurée.

La romancière Nadine Bismuth avait déjà fait la preuve de sa maîtrise du pastiche dans Scrapbook en 2004. On y trouvait un vrai-faux projet de thèse de doctorat qui n’aurait (presque) pas déparé un dossier universitaire (éd. 2006, p. 203-205).

Rebelote avec Un lien familial, paru l’an dernier. Les parents apprécieront les messages de l’«enseignante» de la petite Charlotte, points d’exclamation à l’appui (p. 123, p. 192). Les amateurs de cuisine goûteront le blogue d’Isabelle, ses recettes, ses conseils et son autoportrait en creux (p. 60-65). Les lecteurs de communiqués de presse — il s’en trouve — se réjouiront devant celui signé Romane Trépanier (p. 275-276).

L’Oreille tendue ne peut qu’applaudir devant l’art avec lequel Nadine Bismuth fait entendre nombre d’aspects du sociolecte montréalais contemporain, ceux-là comme d’autres.

 

Références

Bismuth, Nadine, Scrapbook. Roman, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 176, 2006, 393 p. Édition originale : 2004.

Bismuth, Nadine, Un lien familial. Roman, Montréal, Boréal, 2018, 317 p.