Mettre sa griffe

Signature biscuits, emballage

 

«L’objet de mode, en l’occurrence, importe peu.
Ce qui compte, c’est le nom, la griffe, la signature.»
Georges Perec, Penser / Classer

En balade au parc du Bois-de-Coulonge, de fidèles informateurs de l’Oreille tendue découvrent, au menu d’un café, l’existence de «Salades “signature”». Étant québecquois, ces informateurs connaissent aussi le célèbre magasin d’ameublement Maurice Tanguay Signature.

Signature : signe de classe, de distinction, de sophistication. Mieux qu’un simple nom : une griffe, une marque, un label.

Aussi bien en français qu’en anglais, le mot est courant dans le commerce d’alcool (SAQ Signature, «produits rares et prestigieux»), chez les promoteurs immobiliers (Cité Signature), en ingénierie (à Montréal, le consortium qui construit le nouveau Pont Champlain se nomme Signature sur le Saint-Laurent), pour les banquiers (carte de crédit Visa Signature). Les artistes la recherchent : «Être originale, avoir une signature différente de celle des autres, cela est important pour Ima» (la Presse+, 23 novembre 2016). Le titre de la revue de Bibliothèque et Archives Canada ? Signatures. De quoi la ville de Montréal aurait-elle besoin (semble-t-il) ? D’«une signature supplémentaire» (la Presse+, 3 novembre 2016).

Le phénomène n’est pas nouveau. Georges Perec l’évoquait dès 1980 :

De la mode. La plupart des objets et accessoires de la vie quotidienne sont susceptibles d’être marqués, singularisés et survalorisés par la signature prestigieuse — dite «griffe» — d’un grand couturier.

Les lunettes, pas plus que les stylos, les briquets, les sacs à main, les sacs de voyage, les porte-clés, les chaussures, les gants, les porte-cigarettes, les cravates, les montres-bracelets, les boutons de manchette, etc., n’ont pas échappé à cet habillage de luxe dont la finalité me demeure pourtant obscure (éd. de 1985, p. 147).

Ce qui a changé ? Signature tient lieu de signature.

P.-S. — L’Oreille se réjouit d’avoir des informateurs à l’oreille si bien tendue. Merci à eux.

 

[Complément du 18 mai 2017]

Montréal a la sienne, foi de @Derappoetiques :

Le pont Jacques-Cartier comme signature

 

Référence

Perec, Georges, «Considérations sur les lunettes», dans Pierre Marly (édit.), les Lunettes, Paris, Atelier Hachette / Massin, 1980, p. 5-9; repris dans Penser / Classer, Paris, Hachette, coll. «Textes du XXe siècle», 1985, p. 133-150.

Le pogo de Manon Massé

Boîte de pogos

Le gouvernement du Québec déposait hier son budget. Manon Massé, la députée de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques pour Québec solidaire, n’a pas été convaincue (euphémisme) par ce qu’elle a découvert, d’où cette déclaration :

Ça prend pas le pogo le plus dégelé de la boîte pour comprendre qu’après avoir mis le feu dans la bâtisse, ce n’est pas un coup de peinture et des nouveaux rideaux qui vont changer les choses.

«Ça prend pas le pogo le plus dégelé de la boîte» ? Traduction libre : pas besoin d’être spécialement allumé. (Pogo ? Par ici.) Synonyme (ancien) : ça prend pas la tête à Papineau.

La langue de Donald Trump regorge d’expressions de même nature (source) :

Not the sharpest knife in the drawer.

Got into the gene pool while the lifeguard wasn’t watching.

A room temperature IQ.

Got a full 6-pack, but lacks the plastic thingy to hold it all together.

A gross ignoramus — 144 times worse than an ordinary ignoramus.

A photographic memory but with the lens cover glued on.

A prime candidate for natural deselection.

Bright as Alaska in December.

One-celled organisms out-score him in IQ tests.

Donated his body to science before he was done using it.

Fell out of the family tree.

Gates are down, the lights are flashing, but the train isn’t coming.

Has two brains; one is lost and the other is out looking for it.

He’s so dense, light bends around him.

If brains were taxed, he’d get a rebate.

If he were any more stupid, he’d have to be watered twice a week.

If you give him a penny for his thoughts, you’d get change.

If you stand close enough to him, you can hear the ocean.

It’s hard to believe that he beat out 1,000,000 other sperm.

One neuron short of a synapse.

Some drink from the fountain of knowledge; he only gargled.

Takes him 1 1/2 hours to watch 60 minutes.

Was left on the Tilt-A-Whirl a bit too long as a baby.

Wheel is turning, but the hamster is dead.

Variante : «No one is asking him to bring the potato salad to the Mensa picnic» (merci à @catheoret).

Le pogo dégelé est en bonne compagnie.

 

[Complément du jour]

@maxdenoncourt (merci) indique à l’Oreille tendue deux autres occurrences de l’expression, l’une dans la Presse+, l’autre sur Twitter, les deux datant de l’automne 2016.

 

[Complément du 2 avril 2017]

Variation radiophonique, entendue tout à l’heure à l’émission La soirée est (encore) jeune, à Radio-Canada, dans la bouche de Jean-Sébastien Girard : «Pas besoin d’être le condom le plus lubrifié dans la boîte.»

 

[Complément du 10 septembre 2019]

Emploi romanesque, dans Querelle de Roberval, de Kevin Lambert, en 2018 : «C’est pas le pogo le plus dégelé de la boîte, la Kathleen, Christian le dit quand elle est pas là, il la connaît depuis la maternelle, elle vient de Mashteuiatsh elle aussi : quand elle se met à boquer sur quelque chose, il y a rien à faire» (p. 28).

 

[Complément du 24 octobre 2019]

Le pogo peu dégelé n’est pas très brillant, d’où la variation suivante, tirée de la Presse+ du 22 octobre : «Disons que l’ex bellâtre Kevin Fontaine, ruiné et déprimé sexuellement, n’est pas le tube le plus fluorescent du lit de bronzage.»

 

[Complément du 28 novembre 2020]

Sur le plan politique, cela peut donner «Les crayons les moins aiguisés de l’isoloir», chez les excellents David Robichaud et Patrick Turmel (2020, p. 37).

 

Références

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Robichaud, David et Patrick Turmel, Prendre part. Considérations sur la démocratie et ses fins, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 18, 2020, 103 p. Ill.

Capotez-vous ?

«Décapotante», publicité automobile, 2012

Il est des mots qui peuvent dire une chose et son contraire. Ainsi, au Québec, d’écœurant, parfois synonyme de très bien, parfois pas du tout.

Capoter est un cas semblable. Voici comment l’Oreille tendue codéfinissait le terme en 2004 dans le Dictionnaire québécois instantané :

1. Beaucoup apprécier, voire tomber en extase. En écoutant le dernier album de Céline, j’ai capoté. Voir débile, extrême, full, hyper, masse (en ~), max, méchant, méga, moyen, os (à l’~), pas à peu près, phat, planche (à ~), super, torcher et über.

2. Devenir fou de rage. En écoutant le dernier album de Céline, j’ai capoté. Voir coche (sauter une ~) et fils (avoir deux ~ qui se touchent) (p. 35).

Pourquoi rappeler cela aujourd’hui ? À cause de ce tweet :

https://twitter.com/machinaecrire/status/810221102320521216

Outre l’emploi absolu (J’ai capoté) et l’emploi intransitif (J’ai capoté sur l’album de Céline), il existerait donc un emploi transitif (J’ai capoté ma vie), qu’on pourrait rapporter au modèle de J’ai pleuré ma vie.

C’est toujours bon à savoir.

 

[Complément du 9 février 2020]

Les anglophones (et les autres) apprécieront le tableau ci-dessus, vu sur Twitter.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

 

Journal hexagonal

Comme un personnage des Fiançailles de Mr. Hire de Simenon, pour quelques jours, l’Oreille tendue aura «l’oreille tendue à la rumeur de Paris» (éd. de 2003, p. 307) et de la Normandie.

12 novembre

Aéroport Trudeau, Montréal

Aéroport Trudeau, Montréal

Un flambeau comme souvenir à rapporter à la maison ?

13 novembre

Boulevard Arago, Paris

Boulevard Arago, Paris, novembre 2016

Une nouvelle souscription paraît s’imposer.

Rue Daguerre, Paris

L’Oreille tendue : «Vous pouvez me recommander un bordeaux à boire tout de suite ?»

La caviste : «Vous préférez rive droite ou rive gauche ?»

L’Oreille s’est sentie soudain bien démunie.

Boulevard Edgar-Quinet, Paris

Aller si loin pour (encore) tomber sur un bar (à fruits).

Bar à fruits, boulevard Edgar-Quinet, Paris, novembre 2016

Avenue du Maine, Paris

Dans une pizzeria, la voisine de l’Oreille tendue ponctue ses phrases de «voilà». Cela lui fait penser à @fbon, qui est au Japon.

Métro Pasteur, Paris, 19 h 37

L’Oreille croise un homme portant un maillot des Rangers de New York — c’est du hockey. Même ici.

Rue de la Gaieté, Paris, 23 h 30

Un homme et son enfant dorment sur le pas d’une porte. La main de l’enfant dépasse d’un amas de couvertures.

14 novembre

Square C.-Nicolas Ledoux, place Denfert-Rochereau, Paris

Place Denfert-Rochereau, Paris, novembre 2016

Décidément, il y a de l’avenir pour les souscriptions.

Au vol, boulevard Saint-Michel, Paris

«Donc du coup voilà.» Voilà deux tics d’un coup.

Avenue de Rivoli, Paris

«Vous boirez quelque chose ?»

«Éventuellement, un verre de vin.»

C’est ce qui s’appelle une réponse ferme.

Cours du Commerce Saint-André, Paris

Décidément, il y a de l’avenir pour les bars (à chocolat).

Bar à chocolat, cours du Commerce Saint-André, Paris, novembre 2016

Sant-Germain-des-Prés

Au restaurant, le serveuse est ravie de notre accent. La personne avec qui l’Oreille mange lui explique que c’est un accent emprunté; il se dit marseillais, pratiquant l’accent québécois. La serveuse est sceptique. On est toujours l’accent de quelqu’un.

Entre Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse, 22 h

Fréquemment, des personnes, seules ou en groupes, qui dorment sur le seuil des immeubles.

15 novembre

Gare Saint-Lazare, Paris

L’apocope était commune : Monop’ pour Monoprix. Elle s’est faite raison sociale.

Monoprix, gare Saint-Lazare, novembre 2016

Entre Mantes-la-Jolie et Vernon-Giverny

De la fenêtre du train, apercevoir une silhouette solitaire, debout dans un cimetière coloré. Il y a peu, c’était les vacances de la Toussaint.

Rouen

Arrivé en gare de Rouen, la SNCF espère que nous avons «effectué» un bon voyage. «Fait», c’est trop simple ?

Université de Rouen

Maurice Richard à l’université ? Bien sûr.

Conférence sur Maurice Richard, affiche, novembre 2016

16 novembre 2016

Irish Pub, Rouen

L’Oreille (qui n’est pas née de la dernière pluie) va prendre un verre avec un collègue, aujourd’hui retraité. À la sortie, le serveur leur lance «Salut, les gars !» L’Oreille et son collègue auraient pu se sentir jeunes — à prononcer djeunes.

Quais de la Seine, Rouen

Un homme seul dort emmitouflé sur le seuil d’un immeuble.

Place Henri-IV, Rouen

Aptonyme du soir.

Mme Biberon, sage-femme, Rouen

17 novembre 2016

Rouen

Le soleil existe-t-il toujours ? Brille-t-il quelque part ? L’Oreille s’inquiète.

18 novembre 2016

Université de Rouen, 10 h 13

Première occurrence du mot posture au colloque auquel participe l’Oreille.

Université de Rouen, 10 h 54

Première occurrence du mot rebondir.

Université de Rouen, 11 h 12-11 h 32

Le soleil existe.

Université de Rouen, 15 h 04

«Nous allons passer à la seconde intervention — pardon : à la deuxième.» Merci.

Rue du Général-Giraud, Rouen

Une demi-Oreille tendue.

Rue du Général-Giraud, Rouen, novembre 2016

 

Référence

Simenon, Georges, les Fiançailles de Mr. Hire, dans Romans. I, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 2003, p. 213-318. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1933.

Toi, mon pâté chinois

Le pâté chinois, plat québécois

 

Les défenseurs de la cuisine québécoise se plaignent souvent de son manque de reconnaissance sur la scène publique. Outre la poutine, autrefois mise en livre par Charles-Alexandre Théoret (2007), il faudrait encenser les richesses de la cuisine d’ici.

Ce souhait est parfois accompagnée d’une interrogation sur la place du pâté chinois dans la culture québécoise. Pâté chinois ? Pour aller vite, trois couches : steak haché, maïs (blé d’inde), pommes de terre en purée. Autrement dit, un parent du hachis parmentier. Ce pâté a lui aussi ses livres, signés Bernard Arcand et Serge Bouchard (1995), André Montmorency (1997) ou Jean-Pierre Lemasson (2009).

Ce plat basique — du moins en sa forme canonique — peut également servir à décrire une personne. Exemple tiré de la Presse+ du 21 octobre 2016, où il est question de deux joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, Carey Price et Shea Weber : «Il n’y a rien de compliqué avec ces deux-là, ils sont du type “steak-blé d’Inde-patates” et on doute fortement qu’ils aient des problèmes de tension.»

Qu’on ne s’y trompe pas : c’est un compliment.

 

Références

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p.

Lemasson, Jean-Pierre, le Mystère insondable du pâté chinois, Verdun, Amérik média, 2009, 139 p. Ill.

Montmorency, André, la Revanche du pâté chinois, Montréal, Leméac, 1997, 253 p.

Théoret, Charles-Alexandre, Maudite poutine ! L’histoire approximative d’un plat populaire, Montréal, Héliotrope, 2007, 160 p. Photos de Patrice Lamoureux.