Langue de campagne (31) : la langue de François Legault

Déclaration de François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, ce matin, à Trois-Rivières, dans le cadre d’une intervention électorale : «Si vous voulez reconnaître que les neuf années libérales ont donné d’la merde qu’on a actuellement, ben, changez, essayez une autre recette.»

Passons sur le fait qu’il n’est pas du meilleur goût de mêler, dans la même phrase, «merde» et «recette» à «essayer».

De même, laissons de côté l’indécision prépositionnelle du chef de la CAQ. Il aurait bien sûr dû dire «ont donné la merde qu’on a actuellement» au lieu de «ont donné d’la merde qu’on a actuellement».

Deux choses cependant méritent d’être notées.

La première est que François Legault est probablement convaincu de ne pas s’être abaissé, et sa fonction avec lui, en utilisant «merde» au lieu du mot qui serait venu à la bouche de tout Québécois normalement constitué, «marde».

L’actualité récente a donné un autre exemple de ce type de comportement. Le syndicaliste Bernard «Rambo» Gauthier, témoignant devant la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction — la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside — et voulant bien «perler», a déclaré ceci : «Je l’ai traité de… masturbateur. Ça va ça, non ?» Là où le chef caquiste faisait entendre «marde» en disant «merde», «Rambo» faisait semblant de cacher «crosseur» sous «masturbateur».

On ne saurait le nier : cela relève fort le niveau des échanges publics.

La seconde chose que fait ressortir la déclaration de François Legault est la même que lors du débat des chefs du 20 mars : voilà quelqu’un qui n’a aucune oreille. Les subtilités de la langue — et notamment des niveaux de langue — lui échappent complètement. Voilà qui explique peut-être pourquoi les questions culturelles l’indiffèrent tant.

P.-S. — Aux élections de 2012, Martin Caron, alors candidat de la CAQ, avait été moins timoré que son chef en parlant clairement de «marde» au sujet de la loi 78. Il est vrai que le quotidien le Devoir avait alors remplacé ce mot par «merde»…

 

[Complément du 26 mars 2014]

Ce matin, à la radio, François Legault déclarait : «Jean Charest, il n’avait pas de couilles. Et je pense que Philippe Couillard, il n’en aura pas plus.» De l’ancien chef du Parti libéral du Québec à son remplaçant, ce serait blanc bonnet et bonnet blanc.

Le chef de la CAQ aurait-il préféré «les couilles de Couillard» aux «gosses de Couillard» ? On ne lui connaissait pas un tel sens de l’euphonie.

Douze mots-valises pour un mardi matin

Un bar et une arcade : un barcade.

Une cave (avec un bar ?) pour un homme : une mancave.

Quelqu’un d’ascendance africaine vivant dans un pays européen : un Afropéen.

Un fan qui pratique le sous-titrage : un fansubber.

Le vert du billet vert et le vert écolo : l’écofiscalité.

Un éditeur (publisher) offrant une plateforme numérique (platform) : un platisher.

La séduction de la Chine : «La “Grande Sinoduction”» (la Presse, 28 octobre 2013, cahier Affaires, p. 6).

Un humain qui maltraite son estomac : un gastromasochist.

Un communiqué de presse repris par un journaliste : de l’infobarattage. C’est la traduction que propose le Devoir (21 mai 2013, p. B7) de churnalism (churn + journalism).

Un fan aussi intolérant qu’un taliban : un talifan (la Presse, 11 mai 2013, cahier Arts, p. 3).

Un anglophone en colère : un angryphone (le Devoir, 21 février 2013, p. A6).

Le travail, y a que ça de vrai

Le sujet peut être animé : qui fait la job (toujours au féminin, toujours à prononcer djobbe) fait son travail.

«J’ai fait la djobbe» (une collègue de l’Oreille tendue le jour de la Saint-Valentin).

«RT @cgenin : @fbon j’espère que tu signales à tes étudiants qu’il y a un beau site sur Claude Simon http://associationclaudesimon.org/ | on fait la job !» (@fbon)

Peut-être sous l’influence de l’anglais («that will do the job»), l’expression s’emploie également avec un sujet inanimé.

Une poutine, ça fait la djobbe.

Dans un cas comme dans l’autre, la satisfaction est palpable. Voilà qui est fait ! Reste à espérer que ce soit bien fait.

 

[Complément du 2 mars 2014]

Le romancier François Blais donne une entrevue au Devoir : «Mark Twain, c’est un cas : tous ses romans et récits se résument à une superposition d’épisodes; il ignore même le concept d’arc dramatique, ça fait la job pareil» (1er-2 mars 2014, p. F3).

Cause d’écœurement

L’Oreille tendue a eu l’occasion de le dire : écœurant, au Québec, peut être connoté aussi bien positivement que négativement.

Il n’en va pas de même de l’écœurantite : personne ne lui trouve de qualité.

C’est aussi vrai de ce qui est malaucœurant.

«odeur de soupe à l’oignon alléchante dans la ruelle #généreux vs odeur malaucœurante de frites trop grasses sur #saintDenis #dérive» (@victoriawelby).

Ce qui est malaucœurant n’est jamais écœurant; c’est toujours écœurant.

 

[Complément du 5 mars 2024]

Dans un registre semblable, Michel Lacroix écrit «malocœureux» (Cécile et Marx, p. 133).

 

Référence

Lacroix, Michel, Cécile et Marx. Héritages de liens et de luttes, Montréal, Varia, coll. «Proses de combat», 2024, 239 p.

Quelques clichés pour bien commencer la semaine

La famille des clichés est large et accueillante. Elle apprécie particulièrement les associations obligatoires de mots. Des exemples ?

Vous tombez ? C’est toujours lourdement.

Le citoyen est toujours simple. (Merci à @david_turgeon.)

Au hockey, le bombardement est toujours en règle.

Pourquoi l’indifférence est-elle toujours la plus grande ? (Merci à @machinaecrire.)

Le cynisme est toujours aussi ambiant que la vérité est criante. (Merci à @revi_redac pour ceci et pour cela.)

Le cliché donne toujours une vue imprenable sur l’humanité (toujours profonde).

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Aux jeux Olympiques, la médaille — quelle qu’en soit la matière (or, argent, bronze) — doit toujours être raflée. (Merci à @iericksen.)

La solidarité vient toujours par vague ou par élan. Y compris aux Olympiques.

 

[Complément du 21 février 2014]

Le rire est toujours rabelaisien.

 

[Complément du 18 juin 2018]

Sur Twitter, grosse récolte du jour, à la suite du premier tweet ci-dessous.

Chez @LeMonde_correct : «Avez-vous remarqué que, dans la presse, les rapports sont toujours “accablants”, les pluies, “diluviennes” et le déficit, “abyssal” ?»

Chez @lheureuxdaniel : la «découverte» est «macabre». Et encore : «Que dire du crime “morbide”, du froid “sibérien”, de la chaleur “torride” et du thé “brûlant” ?»

Chez @kick1972 : la faune est «bigarrée» et le rapport «dévastateur». Ensuite : «Et des arrêts spectaculaires !»

Chez @alexandrepratt : «budget électoraliste» et «dernier tabou».

Chez @hugodumas : «Le “concept” d’une émission est “déjanté”.» Puis : «ambiance “festive”».

Chez @emilieperreault : «Les flammes d’une “rare intensité”.»

Chez @geff25 : «victoires convaincantes» et «défaites amères».

Chez @R0576 : «Ou le classique : une “violente agression”. Car, c’est bien connu, certaines agressions se font avec une douceur remarquable.»

Ce sera tout pour aujourd’hui.

P.-S.—Souvenons-nous aussi, attendris, du «frêle esquif».