Le niveau baisse ! (1959)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«C’est Laurendeau qui, dans Le Devoir du 21 octobre 1959, est le premier à parler du joual, sous le pseudonyme de Candide. Les enfants dépérissent dès qu’ils entrent à l’école, écrit-il. Ou est-ce l’influence de la maison qui les gagne ? Laurendeau ne le sait pas très bien. À l’entendre, l’assaut vient de partout. “Une conversation de jeunes adolescents ressemble à des jappements gutturaux. De près cela s’harmonise mais s’empâte : leur langue est sans consonnes, sauf les privilégiées qu’ils font claquer. Et parfois à la fin de l’année ils vous rapportent un prix de bon langage. Ça vous fait froid dans le dos.”

Laurendeau est convaincu que le niveau général baisse. Il parle même d’un “effondrement”. “Certains individus progressent, mais la moyenne ne cesse de baisser”, poursuit-il sans fournir le moindre chiffre, la moindre preuve. Vraiment ? Il n’en démord pas, se demandant comment l’éducation “peut donner d’aussi piteux résultats”. C’était sans doute mieux autrefois, croit-il. “Est-ce une illusion ? Il nous semble que nous parlions moins mal. Moins mou. Moins gros. Moins glapissant. Moins joual.” En somme, tout était mieux avant. Mais mieux pour qui ? Qui s’exprimait mieux ?»

Source : Jean-François Nadeau, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p., p. 135.

 

P.-S.—S’agissant de la première occurrence du mot joual au Québec, ça se discute.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, la Chambre bleue, éd. de 1964, couverture

«Dans l’escalier aux marches usées, l’ombre était plus fraîche et Tony, ses vêtements sur le bras, montait un étage, trouvait, au fond du couloir, une porte entrouverte, Françoise, en robe noire et tablier blanc, qui changeait les draps d’un lit. Elle le regarda de la tête aux pieds et commença par rire.

“Vous, alors, monsieur Tony !… Vous vous êtes disputés ?…

— Chut…

— Que se passe-t-il ?…

— Son mari…

— Il vous a surpris ?

— Pas encore… Il se dirige vers l’hôtel…”

Il se rhabillait fébrilement, l’oreille tendue, s’attendant à reconnaître le pas mou de Nicolas dans l’escalier.»

Georges Simenon, la Chambre bleue, dans Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, p. 1329-1438 et 1664-1674, p. 1337. Édition originale : 1964. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.

Les Parisiens auraient un accent

Georges Simenon, la Chambre bleue, éd. de 1964, couverture

Selon certains habitants de Paris, dit-on, les autres — tous les autres — auraient un accent, mais pas eux. Simenon n’est pas d’accord. Extrait du roman la Chambre bleue en 1964 :

Près d’un pont enjambant l’Orneau, toute une famille pêchait à la ligne, y compris une petite fille de six ans qui venait de tirer un poisson de l’eau et qui ne savait comment le décrocher. Sûrement des Parisiens. L’été, on en voyait partout; il y en avait chez son frère aussi et, de la chambre bleue, tout à l’heure, il avait reconnu leur accent à la terrasse (p. 1340).

Qu’ils se le tiennent pour dit.

 

Référence

Simenon, Georges, la Chambre bleue, dans Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, p. 1329-1438 et 1664-1674. Édition originale : 1964. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.

Les zeugmes du dimanche matin et de José Saramago

José Saramago, Histoire du siège de Lisbonne, 1992, couverture

«ils le [le chien] bannissent de leurs maisons, de leurs caresses et de leur écuelle» (p. 71).

«un plat populaire très portugais fait d’épinoches frites et de riz à la tomate, accompagné de salade et de beaucoup de chance» (p. 74-75).

«la femme assise à sa gauche interrompit son geste et sa générosité» (p. 88).

«les femmes regardent les barques approcher avec leurs cargaisons de cadavres et de désirs» (p. 283).

José Saramago, Histoire du siège de Lisbonne. Roman, Paris, Seuil, coll. «Points», P619, 1992, 341 p. Traduction de Geneviève Leibrich. Édition originale : 1989.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Jean-François Nadeau

Jean-François Nadeau, les Têtes réduites, 2024, couverture

«Jamais [Maurice Richard] ne parvient, même de loin, à maîtriser le discours comme il maîtrise une rondelle sur la patinoire. À cet égard, Richard n’est pas bien différent d’autres idoles sportives. Surtout, il est semblable à la majorité de ses compatriotes, qu’on tient précisément pour silencieux faute de tendre l’oreille pour les écouter.»

Jean-François Nadeau, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p., p. 205.