Les rustines des Hells

Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué, éd. de 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du premier roman de Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué : «Toutes les bâtisses de Chicoutimi sont construites sur une faille patchée par du béton et de l’asphalte» (p. 191).

Cela peut être appliqué à la pompe sanguine : «mon cœur / Y est patché plein de trous», chantait Gerry Boulet, du groupe Offenbach, dans «Faut que j’me pousse» (1969).

Patché(e) ? Rapiécé(e), dans le français populaire du Québec. Le mot y est féminin : une patch.

Ce n’est pas tout. Le patch, en informatique, c’est la rustine. En médecine, un médicament. Le mot est alors masculin, du moins en français de référence. Pas au Québec, où on a surtout recours au féminin. (Oui, c’est une divergence transatlantique.)

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Qui, dans la hiérarchie des motards criminels, qu’on dit parfois parfois et bizarrement criminalisés, grimpe les échelons gagne ses patchs. Le mot est dangereux.

À votre service.

 

Référence

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Les zeugmes du dimanche matin et de Julia Deck

Julia Deck, Ann d’Angleterre, 2024, couverture

«À vingt et un ans, Olivia a des cheveux roux incroyables et une passion pour la lecture» (p. 33).

«La classe revient aux anges, les professeures épuisées par le chaperonnage impossible de douze jeunes filles enivrées d’hormones et d’Italie» (p. 72).

«Ici, tout le monde a un travail, de beaux vêtements, des cappuccinos à volonté et des vieux dans des hôpitaux qui s’effondrent» (p. 88).

«Leur complicité se développe à l’écart de Betty, qui est moins drôle avec tous ses drames et ses médicaments» (p. 103).

«Ann se laisse porter par les événements, les sourires extatiques et les nuits trop courtes» (p. 134).

Julia Deck, Ann d’Angleterre. Roman, Paris, Seuil, 2024, 250 p.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 30 décembre 2024.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Évitons les pertes

Case de la bande dessinée Séraphin contenant le mot «gaspille»

Souvenez-vous : en 2010, dans la bouche d’une serveuse, le substantif québécois populaire gaspille.

De l’oral, passons à l’écrit.

Chez Michel Tremblay : «Pas de gaspille, finis ton assiette !» (p. 1355)

Chez Kevin Lambert : «Une feuille, une seule. On s’applique parce qu’on en aura pas d’autres, on a juste une chance, pas de gaspille» (p. 13).

Chez Christophe Bernard : «Elle était belle femme, la Charline, dans la fleur de l’âge. Restée vieille fille, pensa le Paspéya. Tu parles d’un gaspille» (p. 641).

Négatif : du gaspille.

Positif : pas de gaspille.

À votre service.

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 36. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Accouplements 254

Collage des couvertures d’Alexie Morin et de Catherine Lalonde, 2024

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Morin, Alexie, Scénarios catastrophes. Poèmes, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 195, 2024, 157 p.

«Conclusion :
un pourcentage significatif
d’êtres humains
traversent la vie
avec dans la tête aucun langage
nulle narration, nulle trame de
commentaires, aucune voix» (p. 60)

Lalonde, Catherine, Trous, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 193, 2024, 123 p.

«On se parle à soi-même vingt-cinq pour cent du temps
petite partition de nuit
de l’autolangage» (p. 107)

 

[Complément du 11 janvier 2025]

Dans le quotidien le Soir (Bruxelles, 8 janvier 2025, p. 24), Anne Catherine Simon publie un article sur la «Voix intérieure». Extrait : «Une autre enquête similaire, ajoutant des entretiens plus approfondis, révèle que certaines personnes ne sont jamais sujettes à de la parole intérieure et que, en moyenne, 26 % de nos périodes d’éveil sont constituées de langage intérieur.» Voilà qui réconcilie Alexie Morin et Catherine Lalonde.