On n’est jamais si bien…

Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, 1989, couverture

«Here laboured Mr. Furlong senior, the father of the Rev. Edward Fareforth. He was a man of many activities; president and managing director of the companies just mentioned [Hymnal Supply Corporation; Hosanna Pipe and Steam Organ Incorporated; Bible Society of the Good Shepherd Limited], trustee and secretary of St. Asaph’s, honorary treasurer of the university, etc.; and each of his occupations and offices was marked by something of a supramundane character, something higher than ordinary business. His different official positions naturally overlapped and brought him into contact with himself from a variety of angles. Thus he sold himself hymn books at a price per thousand, made as a business favour to himself, negotiated with himself the purchase of the ten-thousand-dollar organ (making a price on it to himself that he begged himself to regard as confidential), and as treasurer of the college he sent himself an informal note of enquiry asking if he knew of any sound investment for the annual deficit of the college funds, a matter of some sixty thousand dollars a year, which needed very careful handling. Any man — and there are many such — who has been concerned with business dealings of this sort with himself realizes that they are more satisfactory than any other kind

Stephen Leacock, «The Rival Churches of St. Asaf and St. Osoph», dans Arcadian Adventures with the Idle Rich (1914), reproduit dans Michael Benazon (édit.), Montreal mon amour. Short Stories from Montreal, Toronto, Deneau, 1989, xix/290 p., p. 1-18, p. 11.

Du roman comme manuel

Ian Manook, Yeruldelgger, 2016, couverture

Certaines mauvaises langues disent que la littérature est inutile. C’est évidemment faux. En lisant des œuvres de fiction, on peut apprendre des choses rares, par exemple la façon d’utiliser un moteur de recherche.

Soit le cas de Yeruldelgger (2013), le polar d’Ian Manook :

Le moteur de recherche lui proposa quatre-vingt mille résultats pour «chef, patronat, Corée». Elle en réduisit le nombre à douze mille en ajoutant «visite Mongolie», puis filtra encore les résultats en ajouant «naadam» à sa recherche pour obtenir cent huit réponses (éd. de 2016, p. 304);

Park Kim Lee était un patronyme plutôt connu avec quarante-sept millions d’entrées sur le moteur de recherche, mais en quelques mots-clés relatifs aux affaires, à la fortune et au business, Solongo éliminina les acteurs, les joueurs de foot et autres quidams pour isoler quelques milliers de résultats seulement, avant de cliquer sur l’option image (éd. de 2016 p. 311).

Merci pour la (double) leçon, Monsieur le professeur. Que ferions-nous sans vous ?

 

Référence

Manook, Ian, Yeruldelgger. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 33600, 2016, 646 p. Avant-propos inédit de l’auteur. Édition originale : 2013.

Accouplements 66

Gustave Flaubert, l’Éducation sentimentale, éd. de 1961, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Tu ne l’avais entendue que dans la bouche de ta mère.

Puis un jour tu trouves cette chanson chez le Flaubert de l’Éducation sentimentale :

J’ai deux grand bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs…
(éd. de 1961, p. 266)

(Ils seraient «tachés de boue», selon la vulgate familiale.)

Cela te dépayse.

P.-S. — Un autre lien entre le Québec et Flaubert ? Par ici.

 

[Complément du 9 mars 2018]

Les revoici, sous la plume de Jacques Roubaud, dans Poésie, etcetera : ménage (1995), s’agissant de Denis Roche :

La procrastination n’est pas la caractéristique essentielle de Roche. À aucun moment il n’a été tenté par deux des puits au fond desquels tombe volontiers la poésie de langue française : le puits «il y a une armoire à peine luisante / qui a entendu la voix de mes grand’tantes» (Francis Jammes); et le puits «J’ai deux grands bœufs dans mon étable / Deux grands bœufs blancs tachés de roux» (p. 188-189).

 

Références

Flaubert, Gustave, l’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme, Paris, Classiques Garnier, 1961, xii/473 p. Ill. Introduction, notes et relevé de variantes par Édouard Maynial. Édition originale : 1869.

Roubaud, Jacques, Poésie, etcetera : ménage, Paris, Stock, coll. «Versus», 1995, 282 p.

Accouplements 65

Andre Agassi, Open, 2010, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Teddy Bear, le personnage principal du roman les Grandes Marées (1978) de Jacques Poulin, est traducteur de bandes dessinées. Il en vient à partager une île du Saint-Laurent avec, entre autres personnages, un lance-balles. Il le présente à Marie.

Le Prince lui fit immédiatement une forte impression. Il était noir mat et solidement bâti.

[…]

— Le Prince a un cerveau, dit-il.

Se mettant à genoux, il lui indiqua un réceptacle de forme rectangulaire qui était placé derrière l’affût du canon.

— On met une cassette là-dedans, dit-il. On presse le bouton qui est ici et le Prince suit le programme qui est enregistré sur le ruban magnétique de la cassette.

[…]

— Excusez-moi. Je me suis laissé emporter, dit-il.

— C’est pas grave, dit-elle. J’aime beaucoup le tennis moi aussi et je trouve que le Prince est très beau (éd. de 2010, p. 35-36).

Dans ses fabuleux Mémoires, Open (2009), le joueur de tennis Andre Agassi, lui qui n’aime pas ce sport, se souvient d’une machine semblable, quand il avait sept ans. Elle le terrorisait.

At the moment my hatred for tennis is focused on the dragon, a ball machine modified by my fire-belching father. Midnight black, set on big rubber wheels, the word PRINCE painted in white block letters along its base, the dragon looks at first glance like the ball machine at every country club in America, but it’s actually a living, breathing creature straight out of my comic books. The dragon has a brain, a will, a black heart — and a horrifying voice (éd. de 2010, p. 28).

Tous les princes ne sont pas bienveillants.

P.-S. — Il existe bien sûr des études sur le tennis dans l’œuvre de Jacques Poulin, par exemple celle de Georges Desmeules en 1999.

 

Références

Agassi, Andre, Open. An Autobiography, New York, Vintage Books, 2010, 385 p. Ill. Édition originale : 2009.

Desmeules, Georges, «Le tennis au service de Jacques Poulin», Québec français, 114, été 1999, p. 80-82. https://id.erudit.org/iderudit/56194ac

Poulin, Jacques, les Grandes Marées, Montréal, Leméac, coll. «Babel», 195, 2010, 208 p. Édition originale : 1978.