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Boîte de Spic and Span

Pas plus tard qu’hier, l’Oreille tendue s’est surprise à utiliser une expression venue de son lointain passé linguistique : fallait-il ou pas laisser les lieux «spic and span» ? Cette expression, dans le français populaire du Québec, renvoie à la forme ultime de la propreté : il n’y a rien au-delà.

Le produit nettoyant qui porte ce nom existe toujours, mais l’Oreille n’y avait pas pensé depuis des décennies.

Ça ne la rajeunit pas.

 

[Complément du jour]

L’étymologie de spic(k) and span ? Par ici.

Des exemples romanesques ? À votre service, avec deux graphies.

«Et ma maison a beau être spick and span, l’odeur du corps qui pourrit dans le garde-robe risquerait d’alerter les visiteurs» (Autour d’elle, p. 33).

«Dans son abasourdissement, il avait, savon de graisse et brosse à crin, lavé tout ce qu’il y avait de fenêtres dans la maison, les carreaux des lucarnes, l’œil-de-bœuf, jusqu’à ce que tout fût spic and span» (la Bête creuse, p. 537).

 

[Complément du 9 décembre 2024]

Parmi les figures québécoises associées à la propreté, outre le spic and span, il y a Mme Blancheville, comme chez Chloë Rolland :

La poussière s’accumulait, des cernes de vin s’incrustait dans les meubles, la fumée imprégnait les rideaux. Mat, qui avait toujours été plutôt Blancheville, commençait à négliger la pharmacie, le hall, dont il était responsable depuis toujours. Il avait abandonné sa routine (p. 72).

Ça ne rajeunit pas l’Oreille non plus.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.

L’oreille tendue de… Arnaldur Indridason

Arnaldur Indridason, le Roi et l’horloger, éd. de 2023, couverture

«Ils discutèrent ainsi de menus détails jusqu’à ce que, fatigué, Olafur déclare qu’il avait besoin de dormir. Il était tard, Davíd prit congé, sortit dans la cour et fit le tour de la maison, constatant qu’il devrait remettre en état un certain nombre de choses. Puis il se dirigea vers la bergerie et les hangars et vit qu’eux aussi nécessitaient des travaux de réfection. Il entendit une voix chantonner dans la bergerie, s’arrêta et tendit l’oreille. Quelqu’un chantait des couplets rimés, des rimur, il entra et vit un homme assis à côté d’une botte de foin, les mains attachées par des fers. Il présuma qu’il s’agissait de Sigurdur de Geirseyri, le condamné à mort du bailli.»

Arnaldur Indridason, le Roi et l’horloger, Paris, Métailié, coll. «Bibliothèque nordique», 2023, 315 p., p. 202. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2021.

Autopromotion 780

Continuum, Université de Montréal, logo, août 2024

Il a déjà été question en ces lieux d’écriture inclusive (voir ici ou ).

Il en sera de nouveau question le 24 septembre, à 17 h, à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Une table ronde y réunira quatre personnes, dont l’Oreille tendue (renseignements de ce côté).

Au plaisir de vous y voir.

 

[Complément du 2 octobre 2024]

Recommandation de lecture sur cette question : Vincent, Nadine, «La langue comme champ de bataille», Nouveau projet, 27, automne 2024, p. 68-77.

 

[Complément du 4 octobre 2024]

On peut lire un compte rendu de la table ronde ici.

Qu’on se le magne !

Fromage Déguédine !, emballage

S’agissant de fromage, l’Oreille tendue, il y a jadis naguère, annonçait qu’il lui faudrait bien, un de ces jours, se pencher sur déguédine. Ce jour est arrivé.

Soit les quatre phrases suivantes :

«Calmez-vous, calmez-vous, comment ça, me calmer ? Toi, fais ta job de 911 pis déguédine, si j’étais calme, madame, je serais pas normalement constituée» (Venir au monde, p. 30).

«Laisse faire, on va protéger la tienne ! Viens-t’en, passe en avant, déguédine ! lui cria Lalonde» (Atavismes, p. 173).

«Enwèye, dégéduine» (publicité).

«Déguédine Dan déguédine Dan Dan comme Zinédine Zidane» (Loco Locass, «Groove Grave», Amour oral, 2004).

Déguédine, donc, du verbe déguédiner. Il s’agit, dans le français populaire du Québec, d’une injonction de mouvement : allez, hop ! On se grouille !

Phonétiquement (façon de parler), Pierre Corbeil propose «Dziguédzine» (p. 131). De même, Léandre Bergeron connaît aussi bien «déguédine» que «diguidine» (p. 91).

Quelle serait l’étymologie de ce mot ? Sur Twitter, en 2019, on proposait ceci : «“Déguédine” vient de l’anglais “dig it in”. Ordre du foreman au bûcheron pour dégager un arbre avant de le couper.» En 2022, Gabriel Martin est bien sceptique devant cette explication : «Elle semble donc inventée de toutes pièces» (p. 32). Mais alors ? «Sans qu’on puisse l’affirmer avec fermeté, il se pourrait que ce mot puise ses origines dans la vocalisation onomatopéïque diguedaine à laquelle recouraient fréquemment les chansons populaires d’autrefois» (p. 32).

Depuis peu, ce verbe, employé «surtout à l’impératif», se trouve dans la nomenclature du dictionnaire le Robert; voir ici.

À votre service — et plus vite que ça !

 

[Complément du 23 novembre 2024]

La forme réfléchie est attestée : «Il faut que le ministre de l’Éducation Bernard Drainville se déguédine» (la Presse+, 23 novembre 2024).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Martin, Gabriel, «L’origine du québécisme déguédiner », Histoire Québec, 28, 1, 2022, p. 32-33.  https://id.erudit.org/iderudit/100334ac

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p. Précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté. Suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté