Matière humaine

Le Québec a un nouveau ministre de l’Éducation, François Blais. (On ne le confondra pas avec un autre François Blais, même si ce dernier est doué en matière de transmission culturelle.)

Interviewé à la télévision l’autre jour, le nouveau ministre a eu cette phrase sibylline : «Je pense que les Québécois ne sont pas faits en chocolat.»

Quel en est le sens ? Blais fait preuve de prudence («Je pense que»), mais il croit néanmoins que les Québécois ne sont pas fragiles / friables / fondants (ils ne sont pas «faits en chocolat»).

En ces temps d’austérité budgétaire, c’est bon à savoir. On aurait pu croire que quelqu’un voulait les manger.

 

[Complément du 6 avril 2015]

L’expression apparaît aussi en poésie, par exemple chez Chloé Savoie-Bernard (Royaume scotch tape, p. 14) :

nous creuserons le sol on a des bras pis des jambes
on n’est pas faits en chocolat

 

[Complément du 9 janvier 2021]

Le dictionnaire numérique Usito propose la définition suivante pour ne pas être fait chocolat : «ne pas être trop fragile pour sortir ou pour travailler sous la pluie». L’Oreille ne voit pas pourquoi il faudrait dire «sous la pluie»; l’expression a une extension bien plus large, ainsi que le montrent les exemples ci-dessus. Pour elle, n’est pas fait en chocolat quiconque n’est pas fragile, peu importe le temps qu’il fait. (On notera d’ailleurs que l’exemple que donne Usito, tiré d’une œuvre d’Arlette Cousture, ne fait pas référence à la pluie.)

Parlant de climat, à certains égards, la région québécoise du Saguenay—Lac-Saint-Jean constitue un microclimat linguistique (pensons au gigon, par exemple).

Autre exemple, tiré de J’ai bu (2020) : «Chus pas fait en marde d’oie : Version saguenéenne et jeannoise de l’expression “ne pas être fait en chocolat”. La fiente d’oie se désintègre rapidement sous la pluie et sèche à tire-d’aile au soleil. En effet, comme le chocolat, la “marde d’oie” ne résiste que brièvement aux intempéries» (p. 88). Pas de pluie ici, mais des «intempéries».

Poursuivons l’enquête.

 

Références

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Savoie-Bernard, Chloé, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, 74 p.

Journée mondiale de la poésie

Marc Angenot, l’Œuvre poétique du Savon du Congo, 1992, couverture

L’Oreille tendue découvre que, selon l’Unesco, le 21 mars est la Journée mondiale de la poésie.

Pour la célébrer, voici quatre poèmes journalisticopublicitaires, tirés d’un petit livre de son collègue, et néanmoins ami, Marc Angenot.

«Ses copieux nénès, qui ne datent pas d’hier,
On les eût ramassés avec une cuiller;
Depuis qu’elle les lave au savon de Vaissier,
Ils sont ronds et polis comme un casque d’acier !» (Gil-Blas, 13 novembre 1889, cité p. 21).

«Femmes qui redoutez l’effet du ballottage
Pour qu’une gorge ferme en marbre de Milo,
Au lieu de s’y mouler, moule votre corsage,
Employez en lotions toniques le Congo» (Gil-Blas, 6 septembre 1889, cité p. 21).

«Elle avait “deux œufs sur le plat…”
C’est maigre, pour une coquette !
Mais depuis que la savonnette
Du Congo sert à sa toilette,
Ils sont en pomme, ses appas !» (le Petit Parisien, 24 juin 1889, cité p. 21-22).

«Que j’en ai vu tomber, hélas ! de ces poitrines !
Avant moi, le corset soutenait ces appas,
Mais la gorge, à présent, a des formes divines,
Et c’est au doux Congo que nous devons cela !» (Gil-Blas, 11 février 1889, cité p. 36).

 

Référence

Angenot, Marc, l’Œuvre poétique du Savon du Congo, Paris, Éditions des cendres, 1992, 75 p. On peut lire les vingt premières pages du livre ici, en PDF.

Accouplements 17

Éric Chevillard, le Désordre azerty, 2014, couverture(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Le 15 octobre 1759, Diderot écrit à Sophie Volland :

On parla ensuite d’un monsieur de St. Germain qui a cent cinquante à cent soixante ans, et qui se rajeunit quand il se trouve vieux. On disait que si cet homme avait le secret de rajeunir d’une heure, en doublant la dose, il pourrait rajeunir d’un an, de dix, et retourner ainsi dans le ventre de sa mère (éd. Chouillet 1986, p. 170).

En 2014, Éric Chevillard, dans le Désordre azerty :

Le quinquagénaire d’aujourd’hui avait trente ans au XIXe siècle. Le trentenaire de l’époque avait lui-même dix-huit ans et le garçonnet de dix ans n’était pas né encore (p. 79).

La littérature : machine à remonter le temps.

 

[Complément du 30 novembre 2016]

On peut retourner dans le ventre de sa mère ou ne pas naître. On peut aussi sortir du temps, comme dans «Jouvence», court texte que publie Nicolas Guay en 2015.

Cette crème rajeunissante promettait «dix ans de moins en dix minutes». La petite Jessica, cinq ans, trouva le pot dans la pharmacie et reconnut la pommade que sa maman utilisait tous les matins. Vous savez comment sont les enfants, ils aiment bien imiter leurs parents. Ainsi, Jessica se badigeonna généreusement le visage du produit. Moins de dix minutes plus tard, la petite disparaissait. On eut beau la chercher partout, on ne trouva que ses vêtements et le pot vide de crème rajeunissante.

Encore une fois, c’est mathématique.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le Désordre azerty le 28 mars 2015.

 

Références

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Chouillet, Jacques, Denis Diderot-Sophie Volland. Un dialogue à une voix, Paris, Librairie Honoré Champion, coll. «Unichamp», 14, 1986, 173 p.

Guay, Nicolas, Comme un léger malentendu, Chez l’auteur, 2015. Édition numérique.