Victor-Lévy Beaulieu (1945-2025)

Sur Facebook, Victor-Lévy Beaulieu se comparant à Maurice Richard

En sa prime jeunesse, l’Oreille tendue a souvent travaillé sur l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu. Elle lui a consacré son mémoire de maîtrise, elle a dirigé un numéro de revue sur lui, elle a écrit des articles savants et des comptes rendus sur ses livres.

Plus récemment, en conférence, elle a évoqué Monsieur de Voltaire, ouvrage dans lequel Beaulieu avoue son admiration pour… Jean-Jacques Rousseau. Elle a aussi souvent cité un étonnant portrait de Guy Lafleur — c’est du hockey — par VLB publié en 1972.

Victor-Lévy Beaulieu vient de mourir.

 

Références

Beaulieu, Victor-Lévy, «Un gars ordinaire, qui vise le sommet», Perspectives, 14 octobre 1972, p. 22, 24 et 27. Supplément au quotidien la Presse.

Beaulieu, Victor-Lévy, Monsieur de Voltaire. Romancerie, Montréal, Stabké, 1994, 255 p. Ill. Rééditions : Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, coll. «Œuvres complètes de VLB», 40, 2003, 240 p.; Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 220, 2010, 240 p.

Études françaises, 19, 1, printemps 1983, 89 p. Dossier «VLB», sous la direction de Benoît Melançon et Pierre Nepveu. http://www.erudit.org/revue/etudfr/1983/v19/n1/index.html

Melançon, Benoît, «Victor-Lévy Beaulieu. Institution, personnage, texte», Montréal, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, novembre 1984, vi/163 p. Dir. : Laurent Mailhot. https://benoitmelancon.quebec/docs/melancon_ma_beaulieu_rhlqcf_1985.html

Melançon, Benoît, «Accidents de lecture», les Cahiers Victor-Lévy Beaulieu, 7, 2019, p. 179-181. Réimpression : Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «CLQ* | Cahiers littéraires du Québec», 2023, p. 179-181. https://doi.org/1866/28565

In memoriam. Jean-Claude Germain (1939-2025)

Jean-Claude Germain, Un pays dont la devise est je m’oublie, 1976, couverture

En 1976, dans sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain imagine le dialogue entre un homme fort, Louis Cyr (mort en 1912), et un hockeyeur, Maurice Richard (né en 1921). Cyr a parfaitement compris ce que Richard va représenter : «T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !» Cyr, c’est de l’historique; Richard, c’est du mythique.

Jean-Claude Germain est mort le 24 avril.

 

Référence

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Les David Lynch de François Hébert

François Hébert, «David Lynch», collage
François Hébert, «David Lynch», collage, collection particulière

L’écrivain québécois François Hébert (1946-2023) s’intéressait au cinéaste David Lynch. Déjà, en 1985, celui-ci apparaissait, sous sa plume, dans Monsieur Itzago Plouffe (pour l’Homme-éléphant, p. 63). On le croisera ensuite dans Pour orienter les flèches (Blue Velvet, p. 93) et dans Des conditions s’appliquent (Mulholland Drive, p. 39). Il sera plusieurs fois questions de lui dans Frank va parler : pour ses films (Blue Velvet, p. 29, p. 35; Mulholland Drive, p. 135), pour sa série télévisée (Twin Peaks, p. 30, p. 72, p. 83), pour un film de son fils, John, dans lequel il joue (Lucky, p. 30-32). Hébert fait, pour l’occasion, le portrait de Lynch, sous forme d’autoportrait :

C’est mon semblable, ce Lynch aux cheveux en brosse irrégulière dressés sur la tête comme un vieux pinceau, on a le même âge, sinon la même tronche, car j’ai plutôt une tête d’œuf. Le cinéaste est peintre, ça vous change le mal de place. Et je suis poète aux heures perdues, et presque toutes le sont ces temps-ci (p. 29).

François Hébert pratiquait aussi l’art du collage : «J’en ai fait un assemblage artistique avec des objets divers, presque digne d’un altruiste» (p. 30). Oui, c’est l’illustration ci-dessus.

David Lynch vient de mourir.

 

Références

Hébert, François, Monsieur Itzago Plouffe, Québec, Éditions du Beffroi, 1985, 96.

Hébert, François, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Trait d’union, coll. «Échappées», 2002, 221 p.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Le gant de Siegfried von Turpitz

David Lodge, Un tout petit monde, éd. française de 1991, couverture

L’Oreille tendue a des défauts. Parmi ceux-ci, il y a le fait d’attendre à la dernière minute pour organiser ses déplacements à l’étranger.

Ainsi, en 1991, son incompétence viatique a fait s’allonger indûment un voyage à Wolfenbüttel. C’était il y a longtemps, mais l’Oreille a le souvenir de deux longs voyages en avion, suivis d’un trajet en train, couronnés par une excursion en autobus. Au total, une vingtaine d’heures de déplacement.

L’Oreille en avait profité pour lire A Small World (1984), le campus novel célèbre de David Lodge. Après tout, elle s’en allait participer à un colloque universitaire.

Parmi la galerie des personnages de ce roman, il y a Siegfried von Turpitz, un professeur allemand mystérieux. Pourquoi porte-t-il en permanence un seul gant (noir) à la main (droite) ?

Enfin arrivée à destination, évidemment après tout le monde, fourbue, l’Oreille tendue se rend au restaurant où se tiennent les agapes du soir. Elle s’installe à la seule place libre, puis se présente à ses voisins — dont un professeur qui ne portait qu’un gant, bien sûr noir, bien sûr à la main droite. Elle a eu un choc, qu’elle n’a jamais oublié. C’est, en effet, Un tout petit monde.

David Lodge est mort le 1er janvier.

In memoriam. François Hébert (1946-2023)

François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004

«Tout m’intéresse, me fait signe»,
Frank va parler

Le 28 mai, l’Oreille tendue mettait en ligne quelques zeugmes tirés du roman Frank va parler de François Hébert.

Ce roman, comme ses autres romans et récits et ses recueils de poésie, ne correspond guère à ce que l’on attend en matière de création. C’est joyeux, inattendu, libre, irrévérencieux, pas sérieux, assez broche à foin, du moins en apparence. Ce texte se passe dans une pyramide il y a plusieurs siècles, dans des bars de danseuses, dans une maison jaune à Saint-Lambert, dans un condo à Rosemont, sur la plateforme Zoom. C’est, entre autres choses, une réflexion sur l’amour, le temps qui passe (ou pas), la littérature et la mort.

À la pagne 179 se trouve une liste de morts : amis, collègues ou proches. Tout au long de Frank va parler, le romancier revient aussi sur la mort de ses parents, comme il le faisait au sujet d’eux et de sa sœur dans le recueil Des conditions s’appliquent (2019). Il faudra maintenant ajouter le nom de François Hébert à ces tombeaux : il est mort ce mardi.

Il avait été, il y a quelques décennies, le professeur de l’Oreille tendue dans un cours de poésie québécoise (quelles cravates !), puis ils étaient devenus collègues («Le comité va tout mettre ça dans un vrac»). Appelé à se définir, plutôt qu’«universitaire», il se disait «critique littéraire» (De Mumbai à Madurai, p. 24, p. 29, p. 40). Il créait des «assemblages», faits de matériaux rassemblés de-ci de-là : il y en a un en couverture du livre de l’Oreille intitulé Écrire au pape et au Père Noël (2011). Il citait volontiers Gaston Miron et Tintin. Il avait parcouru le monde, mais il aimait Montréal (Montréal, 1989; Signé Montréal, 2010) et la nature québécoise («Quand t’achètes un terrain, c’est la première acre qui coûte le plus cher»). François Hébert était le poète québécois que lisait le plus régulièrement l’Oreille : cela doit vouloir dire quelque chose, sur lui, sur elle. Il est cité une cinquantaine de fois ici : voir, par exemple, ceci, sur les gougounes, ou cela, sur un roman à clés.

Pas plus tard que lundi dernier, l’Oreille tendue écrivait à François au sujet d’un passage de Frank va parler. Ce courriel restera sans réponse.

 

Illustration : François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004

 

Références

Hébert, François, Montréal, Seyssel, Champ vallon, coll. «Des villes», 24, 1989, 103 p.

Hébert, François, De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p. Ill.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p., p. 45.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.

Signé Montréal, Montréal, Pointe-à-Callière. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 159 p. Ill. François Hébert : auteur. Moment Factory : visuels. Avec la collaboration de Sylvie Dufresne, Paul-André Linteau et Raymond Montpetit. Existe aussi en version anglaise.