Nouvelles du vivier scolaire

Périodiquement, l’Oreille tendue mène des enquêtes scientifiques dans les cours d’école montréalaises, histoire de suivre l’évolution du parler jeune. De ses plus récents sondages (n = 1), elle tire deux observations.

L’apocope est toujours aussi utilisée : dèg (pour dégueulasse) ou peurf (pour perfect, parfait).

Un nouvelle expression, du moins pour l’Oreille, se fait ouïr : sauce (ou, c’est pareil, tu dis de la sauce). Le mot, surtout populaire de la première à la troisième secondaire, aurait trois significations :

mentir (—Mon père est une vedette de la blogosphère. —Sauce !);

dire n’importe quoi (—Je suis une vedette de la blogosphère. —Tu dis de la sauce !);

ne pas avoir rapport (—J’ai regardé le match hier. —Le gardien est une vedette de la blogosphère. —Sauce !).

À votre service.

Non, pas du tout

L’autre jour, sur Twitter, l’Oreille tendue énumérait les traits du «lexique indispensable du Montréalais de 11 ans (du moins dans NDG)» :

Sérieux ?
Avoue
Super de + adjectif.
Shit !

Une publicité télévisée qui tourne actuellement a rappelé à l’Oreille une expression à ajouter à cette liste : tu me niaises (! / ?).

(Un restaurateur chinois a tout fait pour attirer la clientèle et il est découragé par l’offre imbattable d’un concurrent. Il explique cela à sa femme en chinois, qui lui répond dans la même langue. En sous-titre : «Tu me niaises !»)

L’expression marque l’incrédulité. Synonyme : tu te fous de ma gueule.

On la prononce d’au moins trois façons. Exclamative : Tu me niaises ! Interrogative : Tu me niaises ? Détachée : Tu me ni ai ses.

 

[Complément du 27 février 2016]

Il y a une gradation dans la niaiserie :

 

[Complément du 15 janvier 2021]

Littérairement et interrogativement, existe en au moins deux formes : «Tu me niaises ?» (Françoise en dernier, p. 137); «Tu me niaises-tu ?» (Chienne(s), p. 81)

 

Références

Grenier, Daniel, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p.

Milot, Marie-Ève et Marie-Claude St-Laurent, Chienne(s), Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 25, 2020, 155 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Cachez ce cerveau que je ne saurais voir» par Catherine Lord.

T’es mort

Soit, en français, le mot dead.

Quelque chose est out : c’est dead.

«Depuis Duchamp, [la peinture] c’est dead» (l’Écorchée vive, p. 182).

Vous clouez le bec à quelqu’un : vous le laissez dead.

«il l’a dead (i.e., laissé sans mot)» (@profenhistoire).

Il faut être attentif à la vie de la langue.

 

[Complément du 30 septembre 2019]

Le mot dead est toujours en vie. «J’ai dead la game», déclarait ainsi à son père le fils cadet de l’Oreille tendue après son match de football de vendredi dernier. Traduction : il avait dominé la partie. Ça se défend.

 

Référence

Legendre, Claire, l’Écorchée vive, Paris, Grasset, 2009, 249 p.

Youpi, en bien mieux

Soit le tweet suivant :

«CAVALCADE EN CYCLORAMA meilleur vendeur 2013 au Port de tête, booya !» (@K_Phaneuf)

Booya, donc.

Jusqu’alors, l’Oreille tendue n’avait entendu cette expression marquant une très grande (auto) satisfaction que dans son cercle familial élargi (n = 2).

Elle avait tout faux. Booya (en ses diverses graphies) est bien connu en anglais, ainsi que le révèle cette entrée du Urban Dictionary.

L’Oreille stands corrected.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Aveu de @K_Phaneuf : «J’ai adopté le “booya” en lisant les aventures parodiques de Chuck Norris

 

[Complément du 22 octobre 2019]

Variation graphique chez le Guillaume Corbeil du Meilleur des mondes (2019) : «Bouh-ya !» (p. 143)

 

Référence

Corbeil, Guillaume, le Meilleur des mondes. D’après Aldous Huxley. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 139, 2019, 238 p.

Extension du domaine du baveux

«Des mineures à la Nationale
Emmenez-en des baveux»
(Éric Lapointe,
«Rocket (On est tous des Maurice Richard)»,
chanson, 1998).

 

Le baveux est connu. Définition et exemple tirés du Dictionnaire québécois instantané, cosigné par l’Oreille tendue en 2004 :

Qui préfère l’arrogance à la déférence. Ne manque pas d’attitude. «Baveux et irrévérencieux. Le magazine p45 veut brasser la cage des publications alternatives» (la Presse, 7 mars 2001). «Lahaie préfère jouer la carte de la prudence lorsque vient le temps de parler de l’attitude des Huskies. Entre ses lèvres serrées, on peut quasiment déchiffrer le mot “baveux”» (le Soleil, 16 novembre 2001) (p. 26-27).

«Tu parles de moyens baveux» (le Devoir, 10-11 mai 2003) (p. 146).

L’autre jour, sur Twitter, @PimpetteDunoyer attirait l’attention de l’Oreille tendue, qui ne le connaissait pas, sur un synonyme de baveux, fréquent.

«@MlleAinee m’apprend expression “t’es fréquente” au sens de “t’es ben baveuse” exclusivement pour filles.»

Cette remarque a entraîné des débats twittériens sur trois aspects de la question.

@maxdenoncourt et @profenhistoire ont signalé que l’expression n’était pas récente, l’un et l’autre la connaissant depuis un certain temps.

Toujours selon @profenhistoire, fréquent s’emploierait aussi bien pour les garçons que pour les filles — d’où l’interrogation légitime de @PimpetteDunoyer :

«ds sa classe, utilisé qu’au féminin (à moins qu’elle soit la seule vrmt baveuse du groupe !).»

C’est surtout en matière de prévalence et d’origine ethnoculturelles que les débats ont été les plus troublants.

L’Oreille a sondé l’adolescent qu’elle a sous la main pour essayer de saisir l’extension du terme. Selon lui, l’expression serait populaire chez «les Albanais du Plateau» (quoi que soient les Albanais du Plateau).

Réponse de @PimpetteDunoyer :

«Ici, c’est véhiculé par les Marocains de la Petite Patrie !»

Suggestion de @profenhistoire :

«Je ne pense pas me tromper en suggérant d’en chercher l’origine chez la communauté haïtienne.»

Le mystère s’épaissit.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Exemple cinématographique : «MlleAinée : “wow, Sophie Tremblay, è fréquente” #GuerreDesTuques actualisée» (@PimpetteDunoyer).

 

[Complément du 18 septembre 2016]

Il est des domaines du savoir que l’Oreille tendue arpente plus rarement que d’autres. Ainsi, le monde du maquillage féminin lui est presque totalement inconnu. On imaginera donc sans mal son étonnement quand elle a découvert que le baveux, en ce domaine, serait connoté positivement. C’est du moins ce que laisse entendre cette publicité, parue dans la Presse+ du 15 septembre dernier. L’Oreille ne sait cependant pas si l’on peut dire d’un maquillage qu’il est fréquent.

Maquillage «baveux», la Presse+, 15 septembre 2016

 

[Complément du 23 août 2022]

Dans un article sur le contact des langues à Montréal, le Devoir des 20-21 août 2022 indique que frekan, au sens d’irrespectueux, vient du créole.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture