Portrait fruitier du jour

Gregory Mcdonald, Flynn, 1977, couverture

«Grover’s face worked only when it was taut with anger, yelling at someone, usually as close to the other person’s nose as possible. Normally, it looked like an eaten half-grapefruit in a kitchen sink

Gregory Mcdonald, Flynn, New York, Avon Books, 1977, 255 p., p. 30.

Accouplements 86

Panneaux indicateurs pour les toilettes (source : Flickr)(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

La question du genre (gender) occupe l’espace public. Ce ne date pas d’hier.

Florence Degarve, «Genre», dans Pascal Durand (édit.), les Nouveaux Mots du pouvoir. Abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007, 461 p., p. 251-254.

«Un autre écueil consiste à resignifier “femmes” en disant genre : combien de recherches sur “le genre et la politique” portent-elles en réalité sur “les femmes et la politique” ?» (p. 253)

Mcdonald, Gregory, Fletch and the Widow Bradley, New York, Warner Books, 1981, 285 p.

«How come men are Chairmen and women Chairpersons ?» (p. 177)

Un mot (genre, person) peut (ne pas) cacher un genre.

Les zeugmes du dimanche matin et de Patrick Senécal

Patrick Senécal, Malphas, couvertures des quatre tomes

«Seule la Black à la queue de cheval inscrit les titres des livres avec un large sourire et un stylo» (2011, p. 39).

«Je ne sais pas si [Valaire] est rentrée tard, mais elle a le même air que la veille : en forme et en criss» (2011, p. 90).

«Haletante, Paméla revint à la cuisine et décrocha le téléphone. Au même moment, la porte s’ouvrit et un bel homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un manteau de qualité et d’un chapeau sombre, fit son entrée avec calme, en exhibant un sourire et la clé qui lui avait permis de déjouer la serrure» (2013, p. 2).

«Recevoir un coup de téléphone, de la visite et de la marde» (2013, p. 55).

«Je retourne à la cuisine et à mes moutons […]» (2013, p. 65).

«Prendre un joint, son pied et quatre verres» (2013, p. 129).

«Il doit le canaliser [ce «hurlement intérieur»], le transformer en autre chose, et il sait comment : aussitôt chez lui, il se masturbera sur les photos de Rachel, et il laissera jaillir autant son foutre que son cri, un long cri de jouissance qui camouflera le désespoir qu’il contient…» (2014, p. 300-301).

 

Références

Senécal, Patrick, Malphas 1. Le cas des casiers carnassiers, Québec, Alire, coll. «GF», 16, 2011, 337 p.

Senécal, Patrick, Malphas 3. Ce qui se passe dans la cave reste dans la cave, Québec, Alire, coll. «GF», 24, 2013, 562 p.

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 83

Patrick Senécal, Malphas, tome 2, 2012, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Vincent Laisney publie un ouvrage intitulé En lisant, en écoutant. Dixit la maison d’édition : «Cet ouvrage s’intéresse à un phénomène capital, quoique méconnu, de l’histoire littéraire du XIXe siècle : la lecture à haute voix en petit comité.» Ce n’est pas l’Oreille tendue qui va la contredire; voir — littéralement — ici.

Il est malheureux que Laisney se limite au XIXe siècle : aurait-il voulu étendre son corpus que le deuxième volume de la série Malphas de Patrick Senécal, Torture, luxure et lecture (2012), l’aurait sûrement passionné. Démonstration.

Le Québécois Julien Sarkozy — toute l’onomastique est certifiée d’origine — enseigne la littérature au cégep (fictif) Malphas, à Saint-Trailouin. Un nouvel enseignant y est engagé, Michel Condé, qui décide de fonder un club de lecture. Les choses ne se passeront pas exactement comme il l’avait prévu : quand un participant du club lit un extrait d’œuvre à haute voix, le besoin lui vient impérieusement de vivre cette œuvre. Marqué par la lecture des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, Rémi Mortafer devient lubrique au point de se masturber, en classe, devant ses étudiantes. Une enseignante d’histoire, Mireille Kristin, se suicide en mangeant les pages d’un livre, comme dans le Nom de la rose, d’Umberto Eco. Si un nénuphar pousse à l’intérieur du personnage de l’Écume des jours de Boris Vian, «la timide Hamelin» (p. 81) se rendra compte qu’il ne sert à rien de planter des fleurs dans le corps des hommes qu’on aime; ça ne marche pas. Nadine Limon devient alcoolique, l’Assommoir de Zola oblige. Il est facile d’imaginer que les choses vireront au pire — si c’est encore possible — quand Michel Condé, en fervent adepte du sadomasochisme, lira un extrait du septième dialogue de la Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade, qu’il considère comme «non seulement le plus grand écrivain du XVIIIe siècle, mais le plus grand artiste de tous les temps» (p. 295) : les cadavres seront nombreux et l’hémoglobine coulera à flots.

La lecture à haute voix, en petit comité, ce serait aussi cela.

P.-S. — La présentation de Malphas est tirée d’un texte à paraître, dans les Cahiers Voltaire, sur la représentation du XVIIIe siècle dans cette série policière gore.

 

[Complément du 10 avril 2023]

Le texte a paru, deux fois plutôt qu’une : «Pot-pourri. Le projet Voltaire», Cahiers Voltaire, 16, 2017, p. 189-192; repris, sous le titre «Drame sadovoltairien chez Patrick Senécal», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 82-88.

 

Références

Laisney, Vincent, En lisant, en écoutant, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, coll. «Réflexions faites», 2017, 224 p.

Senécal, Patrick, Malphas 2. Torture, luxure et lecture, Québec, Alire, coll. «GF», 18, 2012, 498 p.