Divergences transatlantiques 038

Sieste. Vie hôtelière. Dans le reste du monde, synonyme de repos. Au Québec, synonyme de fornication, peut-être même d’adultère. Tarif sieste au Môtel Chez Robert et Céline.

P.-S.—L’Oreille tendue était à la radio hier, où elle parlait d’un bar à sieste. On ne confondra pas cette entreprise parisienne avec l’infrastructure adultérine dont il est question ci-dessus.

P.-P.-S.—La définition de la sieste québécoise est tirée du Dictionnaire québécois instantané (2004, p. 205).

 

[Complément du 11 août 2020]

Dans le polar Eight Million Ways to Die, Lawrence Block parle, pour ce genre d’établissement destiné aux couples en chaleur, de «hot-pillow joint», là où a cours le «hot-sheet trade». Et que ça saute !

 

[Complément du 26 septembre 2021]

Georges Simenon aborde aussi le sujet dans l’Amie de madame Maigret (1952) :

Dans ces hôtels-là, on réserve le plus souvent les chambres du premier étage pour les couples de rencontre, qui montent pour un moment ou pour une heure.
— Il y a toujours les chambres du «casuel», répondit-elle, employant le terme consacré (éd. de 1974, p. 57).

 

[Complément du 4 septembre 2023]

Variation simenonienne sur le même thème : «Il entra dans un bureau de l’hôtel et rougit quand le gardien de nuit lui demanda : — C’est pour la nuit ou pour un moment ?» (la Première Enquête de Maigret, p. 439)

 

Références

Block, Lawrence, Eight Million Ways to Die. A Matthew Scudder Crime Novel, New York, Avon Books, 2002. Édition numérique. Édition originale : 1982.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Simenon, Georges, l’Amie de madame Maigret, Paris, Presses Pocket, coll. «Presses Pocket», 1066, 1974, 187 p. Édition originale : 1952.

Simenon, Georges, la Première Enquête de Maigret, dans les Essentiels de Maigret, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 387-506. Présentation de Benoît Denis. Édition originale : 1949.

 

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Commencez par celui-là

Simenon, l’Horloger d’Everton, 1954, couverture

Même les inconditionnels le reconnaîtront : dans le conteneur de romans écrits par Georges Simenon, il y a des œuvres sans intérêt.

L’Horloger d’Everton (1954), c’est autre chose. Un samedi soir, Dave Galloway, l’horloger du titre, constate que son fils, Ben, seize ans, a pris sa camionnette et s’est enfui avec sa petite amie. Ça finira mal.

Le roman que tire Simenon de ce fait divers est une exploration douloureuse tant de la paternité («Ben, c’était lui […]», p. 636) que de l’amitié (celle que se découvre Galloway père avec Frank Musak). On entre dans l’univers de la petite ville d’Everton et dans ce qu’il reste de la famille Galloway de but en blanc. Un monde s’écroule et le lecteur est emporté dès l’incipit. L’horloger trouvera une logique (héréditaire) à ce qui s’est passé. Ça le rassurera; pas le lecteur.

Voilà une excellente porte d’entrée dans l’œuvre de Simenon.

P.-S. — Il est souvent question de baseball dans ce roman. Les éditeurs — des amis de l’Oreille tendue — se sentent obligés d’expliquer des termes du lexique de ce sport. À home run — ce que les Québécois appellent coup de circuit —, ils écrivent : «Au base-ball, le “home run” est le point marqué par le batteur lorsqu’il a réussi à accomplir un tour complet de terrain en passant par toutes les bases» (p. 1580 n. 12). Non. Il manque l’essentiel à cette définition : dans la plupart des cas, si le frappeur fait ainsi le tour des buts, c’est qu’il a envoyé la balle par-dessus la clôture avec son bâton.

 

Référence

Simenon, l’Horloger d’Everton, dans Romans. II, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 567-691 et 1569-1582. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1954.

L’art du portrait nucléaire

Simenon, la Mort de Belle, 1952, couverture

«Cependant, quand Miss Moeller vint enfin le prier d’entrer, il y avait dans un coin un grand jeune homme aux cheveux coupés en brosse.

On ne le lui présenta pas. On fit comme s’il n’existait pas. Il resta assis dans l’ombre, ses longues jambes croisées. Il portait un complet sobre, très Nouvelle-Angleterre, avait cet air sérieux, détaché, des jeunes savants qui s’occupent de physique nucléaire.»

Simenon, la Mort de Belle, dans Romans. II, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 307-435 et 1544-1560, p. 408. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1952.

Accouplements 19

Arnaldur Indridason, les Nuits de Reykjavik, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue a lu plusieurs romans de l’Islandais Arnaldur Indridason. Elle a souvent été frappée du souci de correction linguistique du personnage principal de ces romans, le policier Erlendur. Celui-ci corrige à l’occasion la langue de ses interlocuteurs (voir, ici même, les entrées du 25 juin et du 8 octobre 2009).

Il en va de même dans les Nuits de Reykjavik, qui vient de paraître en français :

— Ah, et vous en faites quoi ?
— Rien, répondit le gamin, prêt à repartir. On les balance dans les mares. C’est pas des trucs dont j’ai envie de garder.
Que j’ai envie de garder serait plus correct.
— Ok (p. 25).

Le personnage (fictif) d’Erlendur aurait été probablement fort marri d’une faute de langue du traducteur (réel) du roman de son concepteur :

Erlendur s’apprêtait à débuter une nouvelle nuit de travail quand, tard dans la soirée, il aperçut Thuri à Hlemmur (p. 184).

Commencer une nouvelle nuit serait plus correct, aurait-il pu lui dire, en lui rappelant que débuter est un verbe intransitif et qu’il ne peut donc pas avoir de complément d’objet direct.

Malheureusement, les personnages et les traducteurs se rencontrent peu fréquemment.

 

Référence

Indridason, Arnaldur, les Nuits de Reykjavik, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2015, 259 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2012.

La mort du sens

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) donne une étymologie et plusieurs exemples à -cide : «Élément, du latin cædere “tuer” : coricide, fratricide, génocide, homicide, insecticide, parricide, régicide, suicide

On a vu d’autres variantes ici : amicide; belle-mèreicide, fœticide, grand-pèreicide, infanticide, matricide, onclicide, spermicide, tanticide; linguicide.

Le romancier Jean-François Vilar, qui vient de mourir, proposait incesticide en 1982 (éd. de 1986, p. 166).

Certains, donc, créent les mots dont ils ont besoin. D’autres, en revanche, manquent cruellement d’imagination, par exemple les personnes qui ont conçu cette pancarte, vue rue Jean-Talon à Montréal.

«Génocide industriel» (pancarte, Montréal, 2014)

 

Un «génocide industriel» ? Non.

 

Référence

Vilar, Jean-François, C’est toujours les autres qui meurent, Paris, J’ai lu, coll. «Romans policiers», 1979, 1986, 211 p. Édition originale : 1982.