Fil de presse 027

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Ci-dessous, quelques ouvrages récents sur la langue, classés, comme il se doit, par nombre de pages (en ordre décroissant).

Œuvres complètes. Tome X. La langue du cardinal de Retz, Paris, Honoré Champion, coll. «Sources classiques», 133, 2018, 2 vol., 986 p. Édition de Jacques Delon.

Colombat, Bernard, Jean-Marie Fournier et Valérie Raby (édit.), Vers une histoire générale de la grammaire française. Matériaux et perspectives. Actes du colloque international de Paris (HTL/SHESL, 27-29 janvier 2011), Paris, Honoré Champion, coll. «Linguistique historique», 4, 2018, 896 p. Édition originale : 2012.

Pruvost, Jean, Pleins feux sur nos dictionnaires en 2500 citations et 700 auteurs du XVIe au XXIe siècle, Paris, Honoré Champion, coll. «Champion Les dictionnaires», 2018, 664 p.

Saussure, Ferdinand de, la Grammaire du gotique. Deux courts inédits. 1. Cours de grammaire gotique (1890-1891). 2. Cours de grammaire gothique (1881-1882). Accompagnés d’autres articles de Saussure sur le gotique, Paris, Honoré Champion, coll. «Bibliothèque de grammaire et de linguistique», 54, 2018, 504 p. Édités avec notes et commentaires par André Rousseau.

Soutet, Olivier, Salah Mejri et Inès Sfar (édit.), la Phraséologie : théories et applications, Paris, Honoré Champion, coll. «Bibliothèque de grammaire et de linguistique», 57, 2018, 464 p.

Soutet, Olivier, Inès Sfar et Salah Mejri (édit.), Phraséologie et discours, Paris, Honoré Champion, coll. «Bibliothèque de grammaire et de linguistique», 59, 2018, 452 p.

Les Anglicismes : des emprunts à intérêt variable ? Recueil des Actes. Colloque du réseau des organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques (OPALE). 18 et 19 octobre 2016, Montréal, Office québécois de la langue française, 2017, 448 p.

Vincent, Nadine et Sophie Piron (édit.), la Linguistique et le dictionnaire au service de l’enseignement du français au Québec. Mélanges offerts à Hélène Cajolet-Laganière, Montréal, Nota bene, 2018, 440 p.

Décharné, Max, Vulgar Tongues. An Alternative History of English Slang, New York, Pegasus, 2017, 388 p.

Rondeau, Michel, l’Insidieuse invasion. Observations sur l’anglicisation, Montréal, Somme toute, 2018, 352 p.

Soutet, Olivier, Inès Sfar et Salah Mejri (édit.), la Phraséologie contrastive, Paris, Honoré Champion, coll. «Bibliothèque de grammaire et de linguistique», 58, 2018, 342 p.

Martin, Marcienne, Toponymie et ressources géologiques en Amérique du nord (Québec), Paris, L’Harmattan, coll. «Nomino ergo sum», 2018, 316 p.

Leca-Mercier, Florence et Anne-Marie Paillet (édit.), le Sens de l’humour. Style, genres, contextes, Louvain-la-Neuve, Éditions Academia, coll. «Au cœur des textes», 2018, 314 p.

Doutrery, Franck, Ces mots qui nous mènent, Louvain-la-Neuve, EME éditions, 2018, 293 p.

Crystal, David, Making Sense. The Glamorous Story of English Grammar, Oxford, Oxford University Press, 2017, 281 p.

Philippe, Gilles et Joël Zufferey, le Style indirect libre. Naissance d’une catégorie (1894-1914), Limoges, Lambert Lucas, coll. «Classiques des sciences du langage», 2018, 280 p.

Fitzsimmons, Michael P., The Place of Words : The Académie Française and its Dictionary during an Age of Revolution, New York, Oxford University Press, 2017, xv/259 p.

Urrutikoetxea, Egoitz, la Politique linguistique de la Révolution française et la langue basque, Bayonne et Pau, Elkar et PUPPA, coll. «Histoire», 2018, 270 p.

Jonathan Swift’s Word-Book. A Vocabulary Compiled for Esther Johnston and Copied in Her Own Hand, Newark / Lanham et Plymouth, University of Delaware Press / Rowman and Littlefield, 2017, xxxvi/222 p. Edited by A.C. Elias Jr. and John Irwin Fischer. Continued by Panthea Reid.

Bonazzi, Mathilde, Cécile Narjoux et Isabelle Serça (édit.), la Langue de Maylis de Kerangal. «Étirer l’espace, allonger le temps», Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2017, 228 p.

Halté, Pierre, les Émoticônes et les interjections dans le tchat, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, coll. «Linguistique et sociolinguistique», 2018, 224 p.

Dubois, Sylvie, Émilie Gagnet Leumas et Malcom Richardson, Speaking French in Louisiana 1720-1955, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2018, 213 p.

Ausoni, Alain, Mémoires d’outre-langue. L’écriture translingue de soi, Genève, Slatkine, 2018, 200 p.

Bernier, Gaston, En garde, messager ! Tics langagiers des médias québécois, Éditions Sancho Panza, 2018, 182 p. Préface d’Antoine Robitaille. Illustrations de Rémy Guenin. Édition de Catherine Bernier.

Regards croisés sur le langage. Entretiens avec N. Chomsky, A. Culioli, M. Halle, B. Pottier, A. Rey, J. Searle, H. Walter, Paris, Classiques Garnier, coll. «Domaines linguistiques», 12, 2018, 181 p.

Francard, Michel, Vous avez de ces mots… Le français d’aujourd’hui et de demain, Bruxelles, Racine, 2018, 176 p. Illustrations de Jean Bourguignon.

Sigaud, Dominique, Dans nos langues, Lagrasse, Verdier, 2018, 140 p.

Serres, Michel, Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Paris, Le Pommier, 2018, 130 p.

Legrand, Thomas et Laure Watrin, les 100 Mots des bobos, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 4131, 2018, 128 p.

Vincenti, Aurore, les Mots du bitume. De Rabelais aux rappeurs, petit dictionnaire de la langue de la rue, Paris, Le Robert, 2017, 128 p. Préface d’Alain Rey.

Fottorino, Éric (édit.), Le Français a-t-il perdu sa langue ?, Paris, Philippe Rey, 2018, 96 p.

Desautels, Éric, Langue de l’affichage public des entreprises de l’île de Montréal. De février à mai 2017, Montéal, Office québécois de la langue française, 2018, 43 p.

Citation électorale du jour

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1966, couverture

«Mais les paysans étaient plus nombreux et les jours de marché, M. de Faverges, se promenant sur la place, s’informait de leurs besoins, tâchait de les convertir à ses idées. Ils écoutaient sans répondre, comme le père Gouy, prêt à accepter tout gouvernement pourvu qu’on diminuât les impôts.

À force de bavarder, Gorju se fit un nom. Peut-être qu’on le porterait à l’Assemblée.

M. de Faverges y pensait comme lui, tout en cherchant à ne pas se compromettre. Les conservateurs balançaient entre Foureau et Marescot. Mais le notaire tenant à son étude, Foureau fut choisi; un rustre, un crétin. Le docteur s’en indigna.

Fruit sec des concours, il regrettait Paris, et c’était la conscience de sa vie manquée qui lui donnait un air morose. Une carrière plus vaste allait se développer; quelle revanche ! Il rédigea une profession de foi et vint la lire à MM. Bouvard et Pécuchet.

Ils l’en félicitèrent; leurs doctrines étaient les mêmes. Cependant, ils écrivaient mieux, connaissaient l’histoire, pouvaient aussi bien que lui figurer à la Chambre. Pourquoi pas ? Mais lequel devait se présenter ? Et une lutte de délicatesse s’engagea. Pécuchet préférait à lui-même son ami. “Non, ça te revient ! tu as plus de prestance !

— Peut-être, répondait Bouvard, mais toi plus de toupet !” Et, sans résoudre la difficulté, ils dressèrent des plans de conduite.

Ce vertige de la députation en avait gagné d’autres.»

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 103, 1966, 378 p., p. 179-180. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1881 (posthume).

Accouplements 119

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Un jour d’août 2017, l’Oreille tendue se baladait, conjugalement, dans son quartier, quand elle est tombée sur cette publicité électorale un brin éloignée de son public cible.

Publicité électorales pour Barack Obama, Montréal, août 2017

(Commentaire d’un voisin : «This is an Obama-type of neighborhood.»)

L’année suivante, Pierre Ménard, dans sa «Dérive à travers les rues de Montréal» (Liminaire), découvre, lui, un «Panneau abandonné dans une friche Rue Saint-Denis, souvenir de la campagne d’Hilary Clinton en 2015 : L’amour l’emporte sur la haine.»

Obama, Clinton — dans les rues de Montréal : les frontières géopolitiques du Canada seraient-elles en train de bouger ?

Poésie(s) sur glace

Yvon d’Anjou, Quelques arpents de ruines, 2016, couverture

Tout le monde sait ça : l’Oreille tendue collectionne les occurrences, surtout québécoises, de l’expression «quelques arpents de». Elles renvoient à un passage du début du vingt-troisième chapitre du conte Candide (1759), de Voltaire, «Candide et Martin vont sur les côtes d’Angleterre; ce qu’ils y voient». Candide discute avec Martin sur le pont d’un navire hollandais : «Vous connaissez l’Angleterre; y est-on aussi fou qu’en France ? — C’est une autre espèce de folie, dit Martin. Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut.» (Pour une vidéo explicative, c’est ici. Pour un florilège, .)

L’Oreille s’intéresse aussi à la poésie hockeyistique; on ne l’ignore pas non plus, comme l’attestent ceci et cela, par exemple.

Découvrant le recueil de poèmes Quelques arpents de ruines (2016), signé Yvon d’Anjou, elle est allée le lire pour voir ce qu’il pouvait bien dire de Voltaire.

Sur ce plan, la récolte n’a pas été fructueuse. Le nom de Voltaire n’apparaît pas dans le livre — contrairement à ceux de William Blake (p. 41, p. 123), de Joseph de Maistre (p. 66) et de Sade (p. 72), pour ne parler que du XVIIIe siècle. En matière d’«arpents», Yvon d’Anjou parle, en plus des «ruines» du titre, de «nuits» (p. 31) et de «neige» (p. 96), mais il ne sent pas le besoin de lier cette expression figée à son auteur. Cela va de soi : tout Québécois devrait faire le lien tout seul et spontanément. (L’Oreille tendue a souvent abordé cet automatisme dans des notes de lecture publiées dans les Cahiers Voltaire.)

En revanche, l’amatrice de hockey qu’est l’Oreille est tombée sur trois poèmes évoquant ce sport.

(Les poèmes de Quelques arpents de ruines ne sont pas titrés. Ils sont tous faits de vers libres, centrés sur la page, et vont d’une majuscule à un point. Autrement, ils ne sont pas ponctués.)

Le premier comporte une strophe sur la patinoire et la surfaceuse :

blanc comme une glace
la zamboni lustre son charcutage
dans les aléas de la trajectoire
puis les bandes s’annoncent
affichant du coup cascade de pub
le fruit de ses couleurs de marque (p. 53)

Le troisième se termine sur le nom du plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey, les Canadiens de Montréal, le «tricolore» :

une lettre de Sand datant de cette époque [1839]
le monde après le déluge
fléché disparate tricolore
le monde avant les rockets
le roman du tout autre célèbre grand monde
avant Maurice Richard (p. 115).

Le deuxième est le plus intéressant (façon de parler) des trois. Citons-le au complet :

Tout le monde sait ça
que si Jack Kerouac
avait été élevé
au Québec
il aurait écrit
sur la glace comme un rocket
et qu’après avoir gagné la coupe Stanley
pendant une couple d’années
il aurait été un grand tribun felquiste
aurait fait sauter pas mal de concepts
surtout les clichés
de la poésie religieuse
prise aux arpents la neige du sérac formatif
dans les girouettes de clochers
un peuple sans soleil n’a que la spontanéité
de son triste spasme de givre
accroché au dortoir de la folie (p. 96)

Passons sur le «Tout le monde sait ça» initial; celui-là est abusif. Signalons plutôt l’association entre l’écrivain franco-américain Jack Kerouac et l’ailier droit des Canadiens Maurice «Le Rocket» Richard; ce dernier a remporté huit fois, lui, la coupe Stanley, l’emblème du championnat de la Ligue nationale de hockey. S’il «avait été élevé / au Québec», Kerouac aurait aussi été, écrit le poète, «un grand tribun felquiste», autrement dit un porte-parole du Front de libération du Québec, et il s’en serait pris à «poésie religieuse», aux «girouettes de clochers», aux «clichés» et aux «concepts». Le cadre du poème est nordique : «neige» (comme chez Voltaire), «sérac» («Dans un glacier, Bloc de glace qui se forme, aux ruptures de pente, quand se produisent des crevasses transversales élargies par la fusion», dixit le Petit Robert, édition numérique de 2014), «givre» — ce dernier mot, dans «triste spasme de givre», renvoyant directement au poème «Soir d’hiver» d’Émile Nelligan.

L’amalgame Kerouac-Richard-Voltaire-Nelligan peut étonner.

P.-S.—Maurice Richard a lui aussi été rapproché du FLQ, au moins indirectement, en couverture du magazine Nous, en février 1977, par Hélène Racicot. On y voit Le Rocket revêtu du costume des Patriotes, ce costume faisant partie d’une iconographie revendiquée notamment par les felquistes. L’image est reprise en couverture de l’ouvrage Maurice Richard. Le mythe québécois aux 626 rondelles (2006), de Paul Daoust. (Avis aux intéressés : l’Oreille tendue essaie depuis des années de mettre la main sur ce numéro de Nous, sans succès).

 

Hélène Racicot, couverture du magazine Nous, février 1977

P.-P.-S.—La poésie d’Yvon d’Anjou ? Prévisible : la rue, l’anglais, la musique (jazz, rock), Rimbaud / Verlaine, les États-Unis, l’allitération et le jeu sur les sonorités. Ce n’est pas pour rien que le recueil est dédié à «l’incomparable / Lucien Francœur» et que ledit Francœur en signe la préface.

 

Références

Anjou, Yvon d’, Quelques arpents de ruines. Poésie, Montréal, Les Éditions de l’Étoile de mer, 2016, 136 p. Préface de Lucien Francœur.

Daoust, Paul, Maurice Richard. Le mythe québécois aux 626 rondelles, Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2006, 301 p. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Créativité linguistico-commerciale

L’Assemblée nationale du Québec n’aime pas le «Bonjour / Hi», cette entrée en matière que l’on entend beaucoup dans les commerces montréalais. Les 29 et 30 novembre 2017, une motion proposée par le Parti québécois portait sur cette question.

Comment respecter le souhait de l’Assemblée nationale de ne pas utiliser cette formule et continuer à pratiquer le bilinguisme d’accueil commercial ?

Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue lui font découvrir le «Hi / Bonjour». C’est la même chose, mais ce n’est pas pareil.