Fil de presse 045

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

La canicule n’empêche pas de publier des livres sur la langue. Récolte récente ci-dessous.

Amaya Dal Bó, Gisèle, Martín Macías Sorondo, Sabrina Morán, Natalia Prunes et Agostina Weler (édit.), les Langues de l’émancipation. Quelles traductions pour la démocratie ?, Paris, L’Harmattan, coll. «La philosophie en commun», 2023, 190 p.

Cahiers de lexicologie, 122, 2023, 293 p. Dossier «Dictionnaires, ressources lexicales et didactique des langues», sous la direction d’Ophélie Tremblay et Paolo Frassi.

Cassin, Barbara, Plus d’une langue, Paris, Bayard, coll. «Les petites conférences», 2023, 80 p. Réédition.

Durand, Émeline, le Temps de la langue. Sur l’œuvre de Franz Rosenzweig, Paris, Vrin, coll. «Bibliothèque d’histoire de la philosophie», 2023, 296 p.

Galleron, Ioana et Geoffrey Williams (édit.), Dictionnaires et réseaux des lexicographes aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, coll. «Lexica Mots et dictionnaires», 42, 2023, 270 p.

GLAD ! Revue sur le langage, le genre, les sexualités, 14, 2023. Dossier «Varia».

Goasmat, Grégory, Langue des signes et malaise du sujet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 410 p. Préface de Jean-Claude Quentel.

Goux, Mathieu et Pascale Mounier (édit.), la Corrélation en diachronie longue (1450-1800). Phrase, texte et discours, Paris, Honoré Champion, coll. «Linguistique historique», 16, 2023, 356 p.

La Ramée, Pierre de, Grammaire (1572), Paris, Classiques Garnier, coll. «Textes de la Renaissance», 40, série «Traités sur la langue française», 3, 2023, 167 p. Édition de Colette Demaizière. Réimpression de l’édition de 2001.

Marcilhac, David et Miguel Rodriguez (édit.), À l’origine des études aréales. Langues et cultures étrangères en Sorbonne, Paris, Sorbonne université presses, 2023, 350 p.

Marouzeau, Jules, la Phrase à verbe être en latin, Paris, Honoré Champion, coll. «Bibliothèque de grammaire et de linguistique», 72, 2023, 514 p. Édition par Jorge Juan Vega y Vega, avec la participation de Jean-Paul Brachet . Suivi de Genèse linguistique du verbe être. Une approche cognitive, par Jorge Juan Vega y Vega.

Minon, Sophie (édit.), Lexonyme. Dictionnaire étymologique et sémantique des anthroponymes grecs antiques. Volume 1. A-E, Genève, Droz, coll. «Hautes études du monde gréco-romain», 2023, 496 p.

Nahon, Peter, les Parlers français des israélites du Midi, Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, 2023, xii/476 p.

Neologica, 17, 2023, 190 p. Dossier «Néologie et langues régionales», sous la direction de Pascale Erhart et Christophe Rey.

Ponsonnet, Aurore, le Français pour adultes consentants. Un livre aussi instructif que délirant pour réviser les bases du français, Paris, First éditions, 2023, 288 p. Illustrations de Rodolphe Urbs. Préface d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron.

Rapport annuel 2022 de la Commission d’enrichissement de la langue française, Paris, ministère de la Culture, Délégation générale à la langue française et aux langues de France, 2023, 171 p.

Sylvius, Jacques Dubois dit, Introduction à la langue française suivie d’une grammaire (1531), Paris, Classiques Garnier, coll. «Textes de la Renaissance», 22, série «Traités sur la langue française», 1, 2023, 443 p. Traduction et édition critique par Colette Demaizière. Réimpression de l’édition de 1998.

Verhaart, Floris et Laurence Brockliss (édit.), The Latin Language and the Enlightenment, Liverpool, Liverpool University Press, coll. «Oxford University Studies in the Enlightenment», 2023, 440 p. Ill.

Wagner, Jacques, Parler des livres, changer la langue au XVIIIe siècle d’après le Journal encyclopédique de Pierre Rousseau (1756-1785) et le Journal littéraire, des sciences et des arts de l’abbé Grosier (1756-1785), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2023, 266 p.

Xiyin, Zhou, Philosopher en chinois. À la croisée de la linguistique et de la philosophie avec Chen Jiaying, Paris, Hémisphères / Maisonneuve & Larose, 2023, 464 p.

La clinique des phrases (114)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Une communicatrice québécoise meurt. À ses funérailles, un chef politique, Paul Saint-Pierre Plamondon, est interrogé par un journaliste :

On retiendra de Mme Bombardier la capacité qu’elle avait, fidèle à ses convictions, de prendre sur soi des controverses. «Si on le pense, on le dit», a-t-il articulé.

Voilà un bien étrange choix de verbe pour une proposition incise. L’auteur a probablement voulu éviter la reprise de dire («on le dit», a-t-il dit) et celle d’autres verbes déjà utilisés dans l’article («affirmé», «a-t-elle laissé tomber»). Mais «articulé» ?!?! Pourquoi faire simple quand on peut faire approximatif ?

Simplifions, donc.

On retiendra de Mme Bombardier la capacité qu’elle avait, fidèle à ses convictions, de prendre sur soi des controverses. «Si on le pense, on le dit», a-t-il déclaré.

À votre service.

Chronique nautique

L’Oreille est tendue depuis quelques lustres déjà. Elle a recensé pas mal d’expressions du français québécois ou d’ailleurs. Quand elle repère une forme inconnue d’elle, elle est ravie.

Cela a été le cas la semaine dernière, dans un article de la Presse+ : «Le chef de l’opposition officielle [Pierre Poilievre] a plutôt choisi de tirer dans la chaloupe de ceux qui sauvent des vies.»

Tirer dans la chaloupe, donc. Il semble exister deux sens possibles à cette expression politiconautique.

On peut tirer dans la chaloupe de quelqu’un d’autre; c’est l’exemple ci-dessus.

On pourrait aussi, semble-t-il, tirer dans sa propre chaloupe : «Rester au caucus devient complètement intenable. On ne peut pas tirer dans la chaloupe puis rester dans la chaloupe» (Twitter). Synonymes : se tirer une balle dans le pied, scier la branche sur laquelle on est assis (merci, Reddit).

Quoi qu’il en soit, voilà qui est bien cruel.

Chapleau classique

Serge Chapleau, caricature de Bernard Drainville, inspirée par Jacques-Louis David, la Presse+, 23 avril 2023

Serge Chapleau est caricaturiste au quotidien montréalais la Presse depuis 1996, après avoir travaillé pour plusieurs autres publications. La plupart de ses caricatures sont des dessins, mais, depuis quelques années, il s’inspire à l’occasion de la peinture.

Il s’en explique dans son ouvrage Chapleau. Depuis mes débuts (2020).

Je me suis donc servi de cette quincaillerie-là [l’ordinateur, le logiciel Photoshop] pour faire des photomontages, mais aussi pour retravailler mes dessins en repositionnant ou en ajoutant des éléments.
Mais le plus beau, c’est que ça m’a permis de réunir deux passions : la caricature, bien sûr, et la peinture classique, héritage de mon passage à l’École des beaux-arts.
Je me suis donc fait un malin plaisir à insérer nos politiciens dans des tableaux de grands maîtres comme Hyacinthe Rigaud, Jacques-Louis David, Philippe de Champaigne, Jean-Auguste-Dominique Ingres (p. 198).

Parmi ces «grands maîtres», Chapleau se sert à l’occasion de peintres d’une période chère au cœur de l’Oreille tendue, le XVIIIe siècle.

En 2017, Michaëlle Jean, alors secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, apparaît dans un décor emprunté à François Boucher (Chapleau 2017, p. 114). Goya est mis à contribution pour une réunion du Parti québécois (Depuis mes débuts, p. 205) et pour la relation entre Donald Trump et Steve Bannon (Depuis mes débuts, p. 207).

Le peintre des Lumières vers lequel Chapleau se tourne le plus volontiers dans la Presse est Jacques-Louis David. Il s’en inspire pour le couronnement de Pauline Marois (Depuis mes débuts, p. 204) et pour les interventions du président de l’Assemblée nationale du Québec de Jacques Chagnon (Chapleau 2018, p. 19).

Dans l’œuvre de David, Chapleau a un faible pour le tableau «La mort de Marat» (1793). Il a remplacé la tête du révolutionnaire français par celles de l’ancien premier ministre canadien Paul Martin («Je n’ai rien à voir avec le scandale des commandites», Depuis mes débuts, p. 202), de Luc Ferrandez («Fuck you / Nous autres !», la Presse+, 16 mai 2019) et, hier, de Bernard Drainville («Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / », la Presse+, 23 avril 2023).

Le Siècle des lumières est bien vivant.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois qu’il est question ici d’un caricaturiste de la Presse. En 2018, il s’agissait de Jean-Pierre Girerd.

 

[Complément du 14 mai 2023]

Autre recours à Goya, en 2009, au sujet du Bye bye, spectacle télévisuel annuel (l’Année Chapleau 2009, p. 29).

 

Références

Chapleau, Serge, l’Année Chapleau 2009, Montréal, Boréal, 2009, 118 p.

Chapleau, Serge, Chapleau 2017, Montréal, Éditions La Presse, 2017, 127 p.

Chapleau, Serge, Chapleau 2018, Montréal, Éditions La Presse, 2018, 109 p.

Chapleau, Serge, Chapleau. Depuis mes débuts, Montréal, Éditions La Presse, 2020, 303 p. Textes d’Yves Boisvert, Jean-René Dufort, Lucien Bouchard, Guy A. Lepage, Pauline Marois, Jean Chrétien, Justin Trudeau, Jean Charest, François Cardinal, François Legault et Gilles Duceppe.

Hasards linguistiques

Tweet de Jean-François Roberge, 15 mars 2023

Le hasard fait (malheureusement) bien les choses.

La semaine prochaine, l’Oreille tendue sera à Halifax pour y présenter une conférence intitulée «Le français : une langue menacée ?» Parmi les menaces (supposées) qu’elle commentera, il devrait y avoir les nouvelles technologies, l’écriture inclusive, la domination mondiale de l’anglais et l’insécurité linguistique. Il sera aussi question du franglais. (Sur cette question, voir ici et .)

Hier, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, a mis en ligne une vidéo de trente secondes, accompagnée du texte suivant :

Au Québec, le français est en déclin. Ensemble, renversons la tendance.

Voici la nouvelle publicité du Ministère de la Langue française pour susciter une prise de conscience des Québécois au déclin du français au Québec.

L’objectif de la vidéo — qui associe la langue française à un oiseau de proie vulnérable — est clairement de s’en prendre à l’utilisation par les jeunes de mots anglais quand ils parlent français. En linguistique, on parlerait d’alternance codique (code-switching), mais, depuis un pauvre livre d’Étiemble, on utilise souvent le mot franglais pour désigner ce phénomène. Exemple : «Mais malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch

Il y aurait beaucoup de choses à dire de cette campagne publicitaire. Retenons-en trois.

Postuler que «le français est en déclin» au Québec est un discours alarmiste. L’est-il sur tous les plans ? Partout au Québec ? Pour toutes les tranches d’âge ? Dans toutes les situations de la vie privée et publique ? Le ministre ne pèche pas par excès de nuance. (Il n’est pas le seul.)

Laisser entendre que les phrases (évidemment inventées) de la publicité ne sont pas du français, ou sont du mauvais français, bute sur un écueil : ce sont des phrases en français — mais d’un registre tout à fait particulier. L’Oreille tendue a longtemps enseigné; elle n’a jamais lu de phrases semblables dans une copie d’étudiant. Autour d’une table, dans un repas familial, au stade ? C’est autre chose.

Penser que les jeunes Québécois vont changer leurs pratiques linguistiques parce que leur gouvernement s’attaque à celles-ci ne paraît pas être la stratégie la plus sûre pour qu’ils les transforment, si tant est qu’il soit impératif qu’ils le fassent.

 

P.-S.—Cela vous rappelle une publicité électorale du Parti québécois en 2022 ? Vous n’avez pas tort.

P.-P.-S.—Autre hasard : l’Oreille découvre cette vidéo au moment où elle lit un ouvrage d’Annette Boudreau, Dire le silence (2021). L’autrice y cite notamment deux extraits de chroniques rédigées pour le journal acadien l’Évangéline par Alain Gheerbrant en… 1967 et 1968 : «si personne ne se réveille, dans quinze ou vingt ans on ne parlera plus de l’Acadie comme d’une région de langue française» (20 novembre 1967, p. 164); «Personne ne peut nier de bonne foi que l’anglicisation ne galope — surtout dans certains secteurs comme les écoles — et c’est dans ce cas-là la faute des élèves» (10 septembre 1968, p. 165). Plus ça change…

 

Référence

Boudreau, Annette, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Sudbury, Prise de parole, coll. «Agora», 2021, 228 p.