Langue de lock-out

La Ligue nationale de hockey a mis ses joueurs en lock-out. Comment dire les conséquences de cela ?

Il y a le registre biblique : «Avec le lock-out vient l’exode» (Métro, 17 septembre 2012, p. 1).

Un partisan, interrogé dans un vox-pop, préférait la culture grecque : «Tragique. Ouin. Tragique » (merci à @OursAvecNous).

En matière littéraire, on peut faire appel à George Orwell : «Le lock-out de Big Brother

L’Oreille tendue ne sait pas si René Homier-Roy est fin psychologue, mais, le 17 septembre, à son émission radiophonique, C’est bien meilleur le matin, l’animateur disait du lock-out qu’il était un «psychodrame».

Il était prévisible qu’apparaissent de mauvais jeux de mots propres au sport concerné. La Presse : «La saison sur la glace» (17 septembre 2012, cahier Sports, p. 1).

Le lock-out pourrait pourtant avoir du bon : «Sans lock-out, le renvoi de Louis Leblanc à Hamilton aurait été la source d’une guerre civile autour du Centre Bell et dans les tribunes téléphoniques» (la Presse, 18 septembre 2012, cahier Sports, p. 3). Heureusement, on aura évité cette «guerre civile».

On pourrait donc «Survivre au lock-out de la LNH» (la Presse, 19 septembre, cahier Arts, p. 1).

Le lock-out a six jours. La saison ne devait commencer qu’au début octobre. Ça sera long longtemps.

P.-S. — Une chose est sûre : comme le faisait remarquer @PimpetteDunoyer sur Twitter, si le conflit dure quelques jours, ce sera une «saga».

Festival (orange)

On le sait : rien de tel que les festivals pour rassembler les Québécois. Il y en a de toutes sortes dans la Belle Province, à l’année longue.

La chose est tellement populaire que le mot qui la désigne a migré de ses usages circonscrits (le Festival du cochon de Sainte-Perpétue, par exemple) vers un emploi plus extensif. Deux exemples.

Au football (le canadien ou l’américain, pas le soccer), quand l’arbitre jette (trop) souvent son mouchoir (orange) — c’est le signe qu’une infraction a été commise —, on parle, du moins dans l’environnement sportif de l’aîné de l’Oreille tendue, de «festival du mouchoir».

À la radio de Radio-Canada, le 18 septembre, une mairesse d’arrondissement montréalais(e) se plaignait de la difficulté de circuler à Montréal. Ce serait la faute au «festival des cônes orange».

Des festivals ? Il y en a pour tous les goûts.

Restauration italienne + cônes orange = corruption ?

Une langue morte ?

Jean-François Cottier, Profession latiniste, 2008, couverture

Le 16 septembre, à l’émission Dessine-moi un dimanche de la radio de Radio-Canada, à laquelle l’Oreille collabore à l’occasion, on a pu entendre parler d’arguments ad populum et d’arguments ad misericordiam. Plus tôt cette année, il y avait été question de reductio ad Hitlerum et de reductio ad Prattum.

Le docteur Duguay du roman Arvida de Samuel Archibald «aimait saupoudrer du latin un peu partout dans ses phrases», par exemple felis concolor couguar (2011, p. 57). Six des chants poétiques de Toute l’œuvre incomplète de François Hébert comportent des mots dans cette langue : «C’est du latin, ici point incongru» (2010, p. 142).

Nulla dies sine linea, affirme un personnage de Vie et mort d’Anne-Sophie Bonenfant de François Blais (2009, p. 237). Dans Tiroir no 24 de Michael Delisle, c’est Ave Maria gratia plena qui remonte du passé (2010, p. 21). Hope, dans Tarmac de Nicolas Dickner, souffre d’amenorrhoea mysteriosa, «une “inexplicable absence de menstruation”» (2009, p. 98). Un personnage du Ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis hurle, «en polonais et en latin, une variante de vade retro Satanas» (2008, p. 77).

L’Oreille tendue elle-même ne dédaigne pas, à l’occasion, de montrer son intérêt pour les langues anciennes. Aux Presses de l’Université de Montréal, elle a fondé une collection appelée «Socius» et elle a publié, de Jean-François Cottier, un petit ouvrage intitulé Profession latiniste. Il lui est aussi arrivé, à Dessine-moi un dimanche, de s’emmêler les pinceaux en essayant de montrer sa connaissance de certaines phrases usuelles dans la langue de Cicéron.

Dans la langue de tous les jours, du moins au Québec, la popularité de versus ne se dément pas.

Pourquoi aborder cette question aujourd’hui ? Parce que le Devoir des 15-16 septembre faisait paraître un cahier spécial «Éducation. Écoles privées». Publicité de l’Académie Sainte-Thérèse : «L’éducation totale. Quo non ascendet» (p. G3). Publicité du Collège de Montréal : «Programme de concentration artistique artis magia» (p. G10).

Qui a dit que le latin était une langue morte ?

P.-S. — À une époque, il y avait même du latin aux murs du vestiaire des Canadiens de Montréal (c’est du hockey). Ça ne paraît plus être le cas.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Cottier, Jean-François, Profession latiniste, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Profession», 2008, 66 p. Ill.

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Mavrikakis, Catherine, le Ciel de Bay City, Montréal, Héliotrope, 2008, 291 p.

Proverbe du jour

Il y a presque trois ans, l’Oreille tendue énumérait ses «Six détestations du lundi matin». Elle a en effet des mots et expressions en horreur, mais elle essaie de ne pas perdre de vue qu’il n’y a pas lieu d’en faire des boutons : elle y a survécu, du moins jusqu’à ce jour.

Tout un chacun est dans la même situation. On dit que Voltaire n’aimait pas «cul-de-sac». Un professeur de l’Oreille en avait contre «contrer», qui évoquait trop le foot pour lui. Certains luttent (sans succès) contre les clichés, d’autres contre la langue de bois (bis).

Des collaborateurs de l’émission radiophonique Des Papous dans la tête — en l’occurrence Jean-Bernard Pouy, Patrice Delbourg, Jacques Vallet, Eva Almassy et Lucas Fournier — ont de la sorte égrené «les petites phrases et lieux communs qui [leur] sont insupportables». C’était dans l’émission du 4 septembre 2011, rediffusée le 5 août 2012. Échantillon tiré de cet «Inventaire pour mémoire» : «la perte des repères», «gérer», «en fait», «tout à fait» (pour «oui»), «pas de souci», «il n’y a pas de lézard», «c’est l’horreur», «véritable ovni littéraire», «restaurer la confiance des ménages», «la cerise sur le gâteau», «tu mérites mieux».

Dans un registre en apparence moins ludique — le titre de l’article était «Words Came In, Marked for Death…» —, l’édition du 23 avril du New Yorker se livrait à un exercice semblable, pour l’anglais. On avait demandé aux lecteurs du magazine quels mots ils souhaiteraient envoyer à la guillotine. Résultat (partiel) ? «Literally», «actually», «epic» (comme dans «epic fail», probablement), «swag», «like» (qui a donné genre en français), «moist». La récolte a été tellement imposante que les rédacteurs de l’article, faisant la synthèse des mots honnis, ont cru qu’ils ne resteraient plus de mots dans la langue anglaise : «It seemed as though if we lined up all the words people hated, there might be no words left.»

Les deux listes avaient un seul mot en commun : «impacter» / «impacted».

Le proverbe dit toujours vrai : «Tous les dégoûts sont dans la nature.»

P.-S. — Alerte lexicale. Des lecteurs du New Yorker en ont donc contre «epic». Faudra-t-il aussi se méfier du terme en français ? Un indice, tiré de Twitter : «Une jeune femme qui me dit qu’elle avait aimé mon discours et que c’était “épique”. #ehben #jevieillis.» Cet adjectif est peut-être «le nouveau cool». Tendons l’œil et ouvrons l’oreille.

 

[Complément du 8 septembre 2012]

Merci à @OursAvecNous pour ce complément visuel.

Un solde épique ?

Langue de campagne (17)

Très peu de néologismes ont été créés dans la campagne électorale québécoise de 2012.

Il a fallu inventer caquiste (pour la Coalition avenir Québec de François Legault) et oniste (pour l’Option nationale de Jean-Martin Aussant); rien là que d’utilitaire.

Félicitons toutefois Vincent Marissal de la Presse pour une trouvaille. Il y a des joueurnalistes, ces sportifs convertis en commentateurs médiatiques ? Parlons alors de policiens, «ces policiers à la retraite devenus candidats aux élections» (la Presse, 30 août 2012, p. A17). Bien vu.