L’univers des vidanges

Conteneur à déchets

Récapitulons quelques épisodes antérieurs.

Au Québec, surtout dans la langue populaire, les ordures sont des vidanges (au pluriel). Les vidangeurs sont responsables de leur collecte. Cette collecte a lieu le jour des vidanges. Elle requiert des camions de vidange.

Précisons.

Existe aussi le camion à vidanges (Créatures du hasard, p. 125).

Une personne, on ne le sait que trop, peut être une ordure : «Pis moi tu penses que j’le sais pas pourquoi t’étais dans la cour, osti de vidange ?» (Chevtchenko, p. 24)

Au hockey, un but marqué sans élégance ni véritable adresse, est un but (de) vidange; dans la langue de Phil Esposito, on dit garbage goal.

Pendant longtemps — un peu moins aujourd’hui —, on a plus volontiers pratiqué, au Québec, le changement d’huile (oil change) que la vidange.

Les plus vieux s’en souviendront : le film Vie d’ange, de Pierre Harel, en 1979, contient ce qui doit être une des plus longues scènes de coït non interrompu de l’histoire du cinéma.

À votre service.

 

Références

Carballo, Lula, Créatures du hasard. Récit, Montréal, Cheval d’août, 2018, 144 p. Ill.

Chapnick, Guillaume, Chevtchenko, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 39, 78 p. Ill. Précédé d’un «Mot de l’auteur» et suivi d’un «Contrepoint. Les racines et la pluie», de Nathalie Plaat.

Les zeugmes du dimanche matin et de Biz

Biz, Cadillac, 2018, couverture

«Tout le monde enfile son équipement de hockey dans une joyeuse cacophonie de rires et de velcro» (p. 12).

«Toute en courbe et en sourire, la serveuse arrive avec des pichets» (p. 19).

«Les spectateurs quittent le stade en chantant, ivres de bière autant que de victoire» (p. 72).

Biz, Cadillac. Roman, Montréal, Leméac, 2018, 92 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Qu’on se le magne !

Fromage Déguédine !, emballage

S’agissant de fromage, l’Oreille tendue, il y a jadis naguère, annonçait qu’il lui faudrait bien, un de ces jours, se pencher sur déguédine. Ce jour est arrivé.

Soit les quatre phrases suivantes :

«Calmez-vous, calmez-vous, comment ça, me calmer ? Toi, fais ta job de 911 pis déguédine, si j’étais calme, madame, je serais pas normalement constituée» (Venir au monde, p. 30).

«Laisse faire, on va protéger la tienne ! Viens-t’en, passe en avant, déguédine ! lui cria Lalonde» (Atavismes, p. 173).

«Enwèye, dégéduine» (publicité).

«Déguédine Dan déguédine Dan Dan comme Zinédine Zidane» (Loco Locass, «Groove Grave», Amour oral, 2004).

Déguédine, donc, du verbe déguédiner. Il s’agit, dans le français populaire du Québec, d’une injonction de mouvement : allez, hop ! On se grouille !

Phonétiquement (façon de parler), Pierre Corbeil propose «Dziguédzine» (p. 131). De même, Léandre Bergeron connaît aussi bien «déguédine» que «diguidine» (p. 91).

Quelle serait l’étymologie de ce mot ? Sur Twitter, en 2019, on proposait ceci : «“Déguédine” vient de l’anglais “dig it in”. Ordre du foreman au bûcheron pour dégager un arbre avant de le couper.» En 2022, Gabriel Martin est bien sceptique devant cette explication : «Elle semble donc inventée de toutes pièces» (p. 32). Mais alors ? «Sans qu’on puisse l’affirmer avec fermeté, il se pourrait que ce mot puise ses origines dans la vocalisation onomatopéïque diguedaine à laquelle recouraient fréquemment les chansons populaires d’autrefois» (p. 32).

Depuis peu, ce verbe, employé «surtout à l’impératif», se trouve dans la nomenclature du dictionnaire le Robert; voir ici.

À votre service — et plus vite que ça !

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011 (troisième édition), 186 p. Ill.

Martin, Gabriel, «L’origine du québécisme déguédiner », Histoire Québec, 28, 1, 2022, p. 32-33.  https://id.erudit.org/iderudit/100334ac

Olivier, Anne-Marie, Venir au monde, précédé d’un «Mot de la metteure en scène», Véronique Côté, suivi de «Contrepoint. Tenir bon», par Catherine-Amélie Côté, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 14, 2017, 101 p.

Autopromotion 777

[En librairie durant la semaine du 21 octobre 2024 : Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso. ISBN : 978-2-925079-71-2.]

Benoît Melançon, Langue de puck, édition revue et augmentée, 2024, projet de couverture

Au printemps 2013, pendant les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, l’Oreille tendue a publié quotidiennement les entrées de son «Dictionnaire des séries», auquel elle a fait des ajouts au fil du temps.

L’année suivante, elle en tirait un petit livre intitulé Langue de puck. Abécédaire du hockey (voir ici).

Une version revue et augmentée de ce livre paraîtra en octobre, toujours chez Del Busso éditeur, avec une préface d’Olivier Niquet (merci !) et des illustrations de Julien Del Busso (bis).

L’abécédaire a été actualisé et six textes synthétiques ont été ajoutés : «Le gardien et les autres», «Le bal du printemps», «Les temps d’une puck», «La chaise du gestionnaire», «Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini», «Et maintenant ?»

En primeur : un projet de couverture (ci-dessus); sa quatrième de couverture (ci-dessous).

Pourquoi faut-il que les joueurs de hockey trouvent leur chaise ? Qu’arrive-t-il quand on leur donne du temps et de l’espace ? Trouvez-vous acceptable qu’ils purgent une mineure sur le banc ? Qui est ce l’aveuglette à qui tant de passes sont destinées ?

En 2014, avec Langue de puck, Benoît Melançon proposait un premier périple dans les mots du hockey. Il a séduit la critique et les lecteurs, amateurs ou pas.

Aujourd’hui, plutôt que de couper son banc, il offre une version revue et augmentée de son Abécédaire du hockey. Il continue à marier sa passion pour les mots à son amour du sport.

Professeur émérite de l’Université de Montréal, Benoît Melançon est essayiste et blogueur (oreilletendue.com). Dix-huitiémiste de formation, il travaille actuellement sur les questions de langue au Québec et sur les rapports du sport et de la culture. Lauréat du prix Georges-Émile-Lapalme, la plus haute distinction du gouvernement du Québec en matière de rayonnement et de qualité de la langue française, il patine sur la bottine.

 

[Complément du 20 octobre 2024]

Pour les amateurs de statistiques…

Plus de 900 mots et expressions du hockey

200 citations, de sources diverses : médias, roman, poésie, théâtre, chanson, cinéma, etc.

Un abécédaire de 61 entrées, certaines revues depuis l’édition de 2014

23 illustrations

Six textes complètement nouveaux

Une préface, mais d’Olivier Niquet

Mémoires richardiennes de Montréal

En masse, «Vibrante Montréal», 2022, murale, MEM — Centre des mémoires montréalaises, détail

Maurice Richard est le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur lui (voir ici).

Le visage de Richard orne plusieurs murs de Montréal : sur un restaurant, rue Ontario Est, et à l’intérieur d’un café-friperie, boulevard Saint-Laurent (); sur un immeuble de la rue Fleury, au siège social montréalais de la banque TD et dans l’enceinte de l’ancien Forum de Montréal (de ce côté-ci); dans deux hôtels montréalais (de ce côté-là).

Le MEM — Centre des mémoires montréalaises, le ci-devant Centre d’histoire de Montréal, accueille dorénavant ses visiteurs avec une murale du collectif En masse, «Vibrante Montréal» (2022). Au centre, en haut, on y voit Richard.

S’agissant de sport, il est entouré d’une enseigne du Forum, du logo des Canadiens, du stade olympique et du portrait d’un célèbre homme fort du Québec, Louis Cyr. Ce voisinage n’est pas étonnant. Dans une pièce de théâtre de 1976, Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain a en effet fait se rencontrer les deux hommes, même si c’est impossible : Cyr est mort en 1912, neuf ans avant la naissance de Richard.

Cette «grande gigue épique» en huit tableaux et deux épilogues fait dialoguer Berthelot Petitboire et Épisode Surprenant, comédiens ambulants dont les spécialités sont les «Sketches d’hiver» et les «Tableaux d’histoire du pays». De la Nouvelle-France au Québec des années 1950, ils rejouent des événements de l’histoire nationale. Les deux derniers tableaux et le deuxième épilogue font se côtoyer le célèbre hockeyeur et le non moins célèbre homme fort.

Le dramaturge fait d’abord discourir Louis Cyr sur sa propre difficulté à s’assumer en tant que légende vivante (septième tableau). Il fait ensuite entendre l’enregistrement d’une entrevue de Maurice Richard avec le commentateur Michel Normandin, puis monologuer un Richard furieux à cause de son double statut, de dieu lorsqu’il est sur la glace et d’«arriéré» dès qu’il la quitte (huitième tableau). Il organise finalement la rencontre des deux légendes nationales que sont Cyr et Richard (deuxième épilogue). Cyr se voit obligé de rassurer Richard sur sa valeur et de lui expliquer sa place dans l’imaginaire québécois. À une remarque de son interlocuteur — «Chus même pas sûr d’êtte encore un souvnir !» —, Cyr répond :

Toué un souvnir ? Même si tu voulais vieillir tranquille, ben au chaud dans les pages jaunies d’un album de vieilles photos pis d’découpures de presse… t’es pas un souvnir pis t’en seras jamais un !… T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !

Maurice Richard n’aurait pas de raison d’être inquiet en ce qui concerne l’Histoire : sa nature de mythe lui permettrait de s’éterniser dans un présent immobile («çé là astheure pour tout ltemps !»). Louis Cyr, lui, pourrait disparaître; de fait, c’était assez largement le cas avant que Paul Ohl ne lui consacre un livre en 2005. Maurice Richard n’est jamais disparu et il ne pourra pas disparaître.

Les murs de Montréal ne cessent de le répéter.

 

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Ohl, Paul, Louis Cyr, une épopée légendaire, Montréal, Libre expression, 2005, 632 p. Ill.

Benoît Melançon, les Yeux de Maurice Richard, éd. de 2012, couverture