L’oreille tendue de… Fatou Diome

Fatou Diome, le Ventre de l’Atlantique, éd. de 2010, couverture

«La chanson qui me parvint acheva de me le signifier. Son air était propre aux chants des séances de lutte. Nulle équivoque quant au sens : c’était un appel à la vanité masculine, déclamé par des sirènes d’ébène. Je tendis l’oreille, puis me mis à siffloter :

Lambe niila. (Trois fois)
Domou mbeur djéngoul, beuré, dane.
Do sène morôme.

Ce qui signifie :

La lutte, c’est ainsi. (Trois fois)
Toi, fils de lutteur, attache ta ceinture, lutte et terrasse.
Tu n’es pas leur égal.»

Fatou Diome, le Ventre de l’Atlantique, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 2010, 254 p., p. 194. Édition originale : 2003.

Glanes péritouristiques

«Ah, les régions.»
Christophe Bernard, la Bête creuse

 

L’Oreille tendue revient. Pendant son absence, elle a pris des notes.

C’est la saison des festivals ? Désolé, l’Oreille ne croit ni à la communion individuelle ni à la communion collective.

Vacances au Québec en PPP : Pas de Problème de Passeport.

Marcel semble avoir pris le relais de Mario.

Marcel à marde, camion, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 1 (forme du verbe) : s’agissant du verbe fitter, l’Oreille aurait écrit «fitte» plutôt que «fit».

Affichage, Canadian Tire, Joliette, juillet 2022

Signalétique régionale 2 (accord de l’adjectif) : «privé» du féminin ?

Signalétique, Saint-Côme, juillet 2022

Bien que dans Lanaudière, l’Oreille s’est sentie, à un moment, comme dans le Dégelis de l’excellent film Arsenault & fils de Rafaël Ouellet.

Animal en liberté, Saint-Côme, juillet 2022

La guichetière (vingtenaire ? trentenaire ?) aux randonneurs sexagénaires : «Pour aller aux chutes, ça me prend sept-huit minutes. Ça vous en prendra une quinzaine.» Ils en mirent sept, pas une de plus.

Entendu en randonnée pédestre (un autre jour) : «J’ai beaucoup étudié la littérature belge. C’est ça qui m’a endurci.» Durant la même randonnée : Elle : «Fais-toi désirer.» Lui : «Personne ne me désire, moi.»

Signalétique régionale 3 (accord du verbe avec le sujet) : «ont» ?

Signalétique, Parc Régional des Chutes-Monte-à-Peine-et-des-Dalles, juillet 2022

Patate au carré, voire métapatate.

La Patate à patate, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 4 : quelque chose s’en vient — mais quoi ?

Signalétique, panneau vide, Saint-Côme, juillet 2022

L’Oreille a passé beaucoup (trop) de temps sur la route récemment. Elle a (donc) pensé beaucoup (trop) aux Cracker Jacks.

Un cycliste québécois remporte une étape du Tour de France. Sa PQ ? «Le petit gars de Saint-Perpétue.»

Nous ne l’avons pas vu. Si nous l’avions vu, comment l’aurions-nous appelé ?

Signalétique, parc du Mont-Tremblant, juillet 2022

On dit qu’un pape est venu au Québec en juillet. C’est aussi rare que…

Signalétique régionale 5 : les «guillemets» sont, «parfois», une «source» d’«étonnement».

Signalétique, Saint-Côme, juillet 2022

Signalétique régionale 6 : quelqu’un l’a mal été.

Annonce de poste, Sainte-Julienne, août 2022

Tout ce temps, sans le savoir, dans une capitale !

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

 

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

La langue de puck en 1958

René de Chantal, «Défense et illustration de la langue française. Gouret ou hockey», le Droit, 1er mai 1958, titre

René de Chantal (1923-1998) a été professeur de littérature, administrateur universitaire, diplomate et chroniqueur de langue. En 1958, dans le Droit (Ottawa), il consacre trois textes à la langue de puck.

Dans sa première chronique, le 1er mai, il cite longuement une lettre du père X, «professeur de français dans un collège de la province de Québec», qui s’interroge sur les mots du sport en français, sur leur rapport à l’anglais, sur la façon de les construire. Comment faire pour que, «chez la jeunesse trépidante de vie», on accepte un lexique français fait «de termes exacts, précis, vifs pour répondre au besoin de l’action» ?

Dans sa réponse initiale, se reconnaissant «un peu profane en la matière», le chroniqueur reprend les propos du commentateur sportif Michel Normandin dans un texte de 1957 («Il est […] impérieux que nous soyons plus français que les Français […]»), lui-même citant Étienne Blanchard. Le texte s’achève sur une question : qui doit-on suivre, les professeurs, comme René de Chantal, ou les rédacteurs et commentateurs, comme Normandin ?

Le 8 mai, le professeur donne ses choix. Il apprécie «mise en échec» (pour «body-checking»), «se replier» et «repli» (pour «back-checking» — mais pas «replié», et plutôt que «retraite»), et «garder le but» (mais ni «gauler» ni «gauleur», mentionnés par le père X). Il ne connaît pas d’équivalent à «cross-checking» («arrêt croisé» est «peut-être la moins mauvaise» solution). Il propose «tir envolé» pour «slap shot», alors que son correspondant retenait «lancer frappé», voire, tout simplement, «frappé».

La troisième chronique, le 15 mai, est destinée à comparer le vocabulaire québécois et le vocabulaire français du hockey : défenses / arrières, bâton / crosse (canne, en Suisse), rondelle (disque, caoutchouc) / palet, mise au jeu / engagement (citation de Beaumarchais à l’appui), tricoter / dribbler, lancer / shooter, lancer / tir (ou shoot), retour / rebond, compter un but / marquer un but, couvrir un joueur / marquer un joueur, tour (ou truc) du chapeau / coup du chapeau, punition / pénalité, égaler / égaliser, semi-finales / demi-finales, période supplémentaire / prolongation. Pour la période, les choix ne manquent pas, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique : engagement, strophe (!), stance (!!), tiers-temps, reprise. On dit aujourd’hui punition pour mauvaise conduite; René de Chantal trouvait que punition de méconduite rendait «admirablement» misconduct penalty.

René de Chantal s’appuie sur des travaux de linguistique ou de lexicographie (Georges et Robert Le Bidois, Ferdinand Brunot, Jacques Pignon, «qui fut mon professeur de vocabulaire en Sorbonne»), sur des dictionnaires (Robert, Larousse, Harrap, Quillet, Bénac), sur des vocabulaires français (le Rugby, l’Encyclopédie des sports modernes, le Hockey sur gazon, l’Art et la pratique du hockey [sur gazon]) et sur «le programme d’un match de hockey auquel [il a] assisté dernièrement au Palais des sports de Paris» ! Écrivant de Paris, il a même interrogé un «jeune joueur de hockey français» et «quelques Canadiens qui ont l’occasion de jouer au hockey ici».

Conclusion ?

Si les mêmes expressions ne coïncident pas toujours des deux côtés de l’Atlantique, le vocabulaire canadien-français est, règle générale, fort honnête […]. Il faudrait faire profiter les sportifs français de nos trouvailles. […] Si ce n’est déjà fait,  le Canadien qui rédigerait, dans une langue correcte, un petit ouvrage sur notre sport national, rendrait service, non seulement à ses compatriotes, mais aussi aux Français qui s’intéressent de plus en plus à ce magnifique sport.

Dont acte.

P.-S.—Il est même question du détail.

P.-P.-S.—René de Chantal a beau être «profane», le 15 mai, il évoque «le sensationnel Doug Harvey» et Maurice Richard.

 

Références

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Gouret ou hockey», le Droit, 1er mai 1958, p. 2.

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. “Back-checking” et “slap shot”», le Droit, 8 mai 1958, p. 2.

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Termes de hockey. En France, on shoote», le Droit, 15 mai 1958, p. 2.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Normandin, Michel, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

La confusion des langues

Machine à sous

Les entreprises de paris sportifs polluent de plus en plus les ondes télévisuelles. Cela entraîne parfois des problèmes de prononciation.

Prenons Bet99.

Dans ses publicités, cette entreprise pratique l’alternance codique : on commence en anglais avec «Bet ninety nine», puis on continue en français avec «point net».

Un des commentateurs sportifs préférés de l’Oreille tendue a bien vu le problème. On lui doit (au moins ?) trois prononciations. La première toute en français : «Bet quatre-vingt-dix-neuf point net.» La deuxième toute en anglais : «Bet ninety nine dot net.» La troisième plus économique, mais en anglais : «Bet ninety nine.»

D’autres prononciations sont-elles possibles ? Les paris sont ouverts.