Épistoliers d’aujourd’hui

Projet «Lettre à toi», Québec, 2017-2018

L’Oreille tendue n’a pas peur de se répéter. Depuis plus de 20 ans, elle raconte à qui veut l’entendre (ou pas) que la forme épistolaire, malgré le discours ambiant, n’est pas appelée à disparaître. On écrit moins de lettres qu’auparavant ? Évidemment. On va cesser d’écrire des lettres ? Pas du tout. Ce qui a changé, c’est le contexte dans lequel l’épistolarité paraît s’imposer comme la forme de communication la plus appropriée. Pour le dire dire d’un mot : devant la mort, par exemple, la lettre garde tout son poids.

Des exemples ? Quand meurent le chanteur John Lennon en 1980, la princesse Diana en 1997 ou le joueur de hockey Maurice Richard en 2000, leurs admirateurs leur dressent des autels spontanés où ils déposent des objets et par lesquels ils s’adressent à leur idole disparue : on écrit à un mort, auquel on confie sa peine. Ce n’est donc pas d’hier qu’on se livre à cette forme d’hommage, mais cela continue à se faire, en cette ère du tout-numérique (dit-on). Quand un train déraille au cœur de Lac-Mégantic le 6 juillet 2013, faisant 47 morts, l’église de cette petite ville québécoise réserve un espace où punaiser des courts messages destinés tant aux survivants qu’aux victimes. On fera la même chose en Corée du Sud, au moment du naufrage du Sewol le 16 avril 2014 (plus de 300 disparus), et on l’avait fait lors de la tuerie de l’école états-unienne Sandy Hook en 2012. À la mort de l’écrivain Gabriel García Márquez (2014), on met à la disposition de ses admirateurs une murale à Barcelone : les témoignages manuscrits affluent. Il est manifestement des moments où le courriel, le SMS, Twitter, Instagram, Snapchat et Facebook ne suffisent pas; il faut revenir à l’écriture manuscrite, et à une écriture manuscrite partagée.

Cela a encore été le cas dans la ville de Québec l’an dernier. Après un attentat dans sa grande mosquée, le 29 janvier 2017, des citoyens se sont mobilisés pour lutter contre l’intolérance. Ils ont d’abord organisé une vigile de solidarité en servant des réseaux sociaux. Puis autre chose leur est apparu nécessaire.

À la suite de la veillée, le groupe s’est réuni de nouveau pour en prolonger l’effet. Est née alors l’idée d’envoyer des lettres de réconfort aux familles des victimes et à leurs proches. Baptisée «Lettre à toi», cette initiative a permis de recueillir au sein du public plus de 350 lettres manuscrites en provenance de partout. «Malgré mes faibles moyens, je te promets de mettre tout en œuvre pour faire tomber autour de moi les préjugés qui divisent et pour bâtir les ponts qui nous unissent», peut-on lire dans l’une d’entre elles. «S’il te plaît ne perds pas espoir.»

«Les lettres ont été photocopiées et on a fait une quinzaine de cartables, raconte Annie Demers-Caron. On les a distribués dans des mosquées, mais aussi dans des lieux non religieux [comme des organismes communautaires]. Parce qu’on l’oublie, mais il y a seulement 40 % des personnes de confession musulmane qui fréquentent les mosquées.»

Le groupe a aussi conçu 11 boîtes à partir des 100 plus belles lettres à l’intention des familles des victimes et des blessés. Certains les ont reçues tout récemment. «L’idée, c’était de faire perdurer la solidarité dans le temps», résument Annie et Tommy [Bureau] (Isabelle Porter, «Des lettres pour panser les plaies», le Devoir, 20-21 janvier 2018, p. B2).

La lettre reste utile.

Illustration : détail de la photo de Renaud Philippe qui accompagnait l’article d’Isabelle Porter dans le Devoir.

P.-S.—Ce texte reprend un passage d’un texte publié par l’Oreille il y a quelques années : Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 40, 2014, p. 257-259.

 

[Complément du 26 novembre 2020]

Sur Twitter, que suggère la (future) vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, en ce jour de l’Action de grâce (Thanksgiving) ? D’écrire, enfin, la lettre dont on ne cesse de différer l’écriture.

 

[Complément du 5 décembre 2020]

L’Oreille tendue est citée dans le Devoir du jour, au sujet de l’envoi des cartes de Noël et de ce que cela révèle de la lettre aujourd’hui : «Dès qu’une tragédie se produit, qu’il s’agisse de la mort de la princesse Diana ou celle de Lac-Mégantic, les gens ont le réflexe d’écrire des lettres […]. Et disons-le : la pandémie actuelle est sans aucun doute LA circonstance spéciale, d’autant que les gens se voient beaucoup moins.»

Dans la Presse+, au même moment, elle découvre l’existence du projet «Le moment de votre lettre», «ce courrier du cœur pandémique» : «Lancée en avril dernier, l’initiative est à la fois toute simple et lumineuse : en ces temps si difficiles, il s’agit de permettre à des personnes âgées esseulées de recevoir gratuitement chaque semaine, pendant un an, une lettre rédigée pour elles par des artistes québécois.» Cela circule par courriel, photocopieuse, Facebook.

CQFD.

Autopromotion 345

Collection «Paragraphes», 29, 2010, couverture

Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — affrontent ce soir les Capitals de Washington et leur formidable numéro 8, Alexander Ovechkin.

En 2010, l’Oreille tendue, alors qu’elle rendait hommage à son collègue et ami Pierre Nepveu, a écrit quelques lignes sur le pied (gauche) d’Ovechkin. (On peut les lire ici, en PDF.) Plus largement, le texte porte sur le sport et l’imaginaire du pied.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Hendécasyllabe sportif», dans Marie-Andrée Beaudet et Karim Larose (édit.), le Marcheur des Amériques. Mélanges offerts à Pierre Nepveu, Montréal, Université de Montréal, Département des littératures de langue française, coll. «Paragraphes», 29, 2010, p. 173-180. https://doi.org/1866/19742

La clinique des phrases (r)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Piste de ski La Streif, Kitzbühel, Autriche

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ du 18 janvier 2018 :

La Streif, située à Kitzbühel, en Autriche, est considérée par les skieurs professionnels comme étant la piste la plus difficile et la plus dangereuse au monde.

Faisons, évidemment, l’économie du «comme étant» :

La Streif, située à Kitzbühel, en Autriche, est considérée par les skieurs professionnels comme la piste la plus difficile et la plus dangereuse au monde.

À votre service.

P.-S.—C’est un fait : l’Oreille tendue n’aime pas «comme étant» (voyez le vingt-septième de ses «Dix commandements»).

Les langues du hockey

Olivier Niquet, Dans mon livre à moi, 2017, couverture

«Lorsqu’il est question de tout ce qui se passe sur une patinoire,
la syntaxe mange souvent une claque.»

L’Oreille tendue et Olivier Niquet aiment entendre parler de hockey. La première a consacré un livre aux mots du hockey, Langue de puck (2014). Le second a rassemblé, sous le titre Dans mon livre à moi, 436 citations, de 122 commentateurs, citations véridiques toutes plus boiteuses les unes que les autres. Elles sont datées (de 2004 à 2017), regroupées thématiquement et indexées. Parmi les «commentateurs», il y a beaucoup de joueurnalistes, mais on entend aussi des joueurs, des entraîneurs et des administrateurs; quelques-uns ont droit à leur carte, avec photo, présentation et statistiques. Le hockey domine, mais d’autres sports sont convoqués à l’occasion. Des quiz permettent au lecteur de vérifier ses connaissances.

Chacun choisira sa citation favorite. Voici quelques-unes de celles que chérit l’Oreille : «Il en a vu des roses et des pas mûres» (Benoît Brunet, p. 35); «On ne peut pas jouer à la chaise roulante continuellement» (Michel Bergeron, p. 41); «Pis je trouve que Shaw, c’t’un gars qui a beaucoup plus de chien» (Vincent Damphousse, p. 61); «Les partisans du Canadien, ils veulent le beurre et le pain du beurre» (Michel Villeneuve, p. 174); «Quand t’as un jeune défenseur là, ta lèche est courte» (Marc Bergevin, p. 196); «Les drapeaux viennent d’érecter d’eux-mêmes» (Jean-Charles Lajoie, p. 214); «La rondelle est restée coincée dans les airs» (Pierre Houde, p. 255).

Toute la section «Le sixième sens des experts sportifs» (p. 144-155) est une merveille. Un exemple ? «Je pense qu’il faut le voir du bon pied» (Guillaume Latendresse, p. 152).

Morale de cette histoire ? «Souvent on parle pour absolument rien, mais ça fait partie du sujet» (Rodger Brulotte, p. 11).

Des heures de plaisir.

P.-S.—Les amateurs de l’émission de radio La soirée est encore jeune, à laquelle participe Olivier Niquet, apprécieront un des choix de réponse proposé à la p. 266 : «C’était un Mongol de Québec.»

P.-P.-S.—La section finale, «Un peu d’inspiration» (p. 268-273), rassemble des citations édifiantes. Que vient-elle faire là ?

P.-P.-P.-S.—Gabriel Grégoire n’a pas été «défenseur» pour les Alouettes de Montréal — c’est du football —, mais joueur de ligne défensive (p. 183).

P.-P.-P.-P.-S.—Si les réviseurs de l’ouvrage ne connaissent pas une meilleure saison en 2018, ils risquent de se retrouver dans les mineures : ils ont laissé plusieurs fois «parlé» au lieu de «parler» (p. 4-6); ils n’ont pas relevé des constructions fautives (deux à la p. 9, une à la p. 176); ils ne semblent pas toujours savoir quand utiliser l’italique (p. 5, p. 185, p. 186); des coquilles leur ont échappé (p. 17, p. 111, p. 129, p. 183, p. 193, p. 195, p. 216, p. 219, p. 221, p. 223, p. 226, p. 263, p. 267, p. 270, p. 271, p. 272, p. 277, p. 279, p. 281). Peut-être n’ont-ils pas donné leur 110 %.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Niquet, Olivier, Dans mon livre à moi, Montréal, Duchesne et du Rêve, 2017, 295 p. Ill. Mot de l’éditeur (Patrice Duchesne). Préface de Jean-René Dufort.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

 

Histoires de famille

Réjean Ducharme, l’Hiver de force, éd. de 1984, couverture

C’est dans l’Hiver de force, de Réjean Ducharme. Il est question des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

D’abord, page 51 :

Tout à l’heure (c’est encore chaud), on s’est fait battre 6 à 2 à New York. Les Rangers, profitant d’une zone de basse pression de nos frères Mahovlich, ont écrasé, défoncé, déclassé nos Canadiens; (ils n’en ont fait qu’une poignée, qu’une bouchée, qu’une pincée). Hé Frank ! Hé Pete ! Wake up ! C’est les éliminatoires mondiales de hockey ! C’est pas la Pavane pour une infante défunte !

— Cesse, cher ! Les joueurs qu’on aime c’est pour qu’on leur soit fidèles. Quand ils font des erreurs c’est pour qu’on les aime plus, sinon davantage !

Puis, page 59 :

Les Canadiens se sont fait éliminer comme des grands veaux. Seuls [Henri] Richard et [Jacques] Lemaire n’ont pas joué comme des cochons. Nos frères Mahovlich ont traîné la patte tout le long de la série comme s’ils se l’étaient laissé graisser. On s’est fait arranger correct. Ça nous a mis le moral à terre. 3 à 2 pour New York; dernière période, dernières dix secondes; mise au jeu à la droite de leur gardien : Richard l’emporte, passe à Frank dans le coin; [Brad] Park guette Frank et Lemaire bataille pour rester en position devant le filet; Frank lance vers Lemaire à travers les jambes de Park, la rondelle vole par-dessus le bâton de Lemaire, Lemaire frappe de l’air. La sirène crie, en plein dans nos cœurs. C’est fini, c’est effrayant, Nicole pleure.

Réjean Ducharme est mort le 21 août 2017, et Maurice Ravel le 28 décembre 1937. Frank Mahovlich est né le 10 janvier 1938.

Joyeux anniversaire.

 

Référence

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.