Métier du jour, bis

Les Sept Jours de Simon Labrosse, 2003, couverture

«SIMON (baissant son journal et leur tendant sa carte). Je me présente : Simon Labrosse, finisseur.

LE GARS (LÉO). Simon qui ?

SIMON. Labrosse, finisseur.

LA FILLE (NATHALIE). Comment ça, finisseur ?

SIMON. Finisseur de phrases. C’est ma profession.

LA FILLE (NATHALIE). Vous voulez dire que vous, euh…

SIMON. …que vous finissez les phrases laissées en suspens ?

LA FILLE (NATHALIE). Ouin c’est ça que je voulais dire mais…

SIMON. Vous voyez. Ça marche parfaitement.

LA FILLE (NATHALIE). Non mais là, je comprends pas. Je veux dire, c’est quoi la…

SIMON. C’est quoi l’idée au juste ?

LA FILLE (NATHALIE). Ouin, c’est quoi ?

SIMON. L’idée c’est d’aller au bout.

LE GARS (LÉO). Tu veux dire aller au bout de…

SIMON. …au bout de votre idée. Je vous écoute depuis tout à l’heure. Vous avez des choses à dire, des choses très importantes…

LA FILLE (NATHALIE). Ouin, ça c’est vrai, mais, euh…

SIMON. Malheureusement, c’est pas de votre faute, mais vous êtes incapables d’aller au bout de votre pensée. Moi, si vous voulez, je peux y aller pour vous. “Aller au bout”, c’est ma spécialité. Comprenez-vous ?

LA FILLE (NATHALIE). Je suis pas sûre, là…»

 

Carole Fréchette, les Sept Jours de Simon Labrosse. Si sa vie vous intéresse, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, coll. «Papiers», 2003, 61 p., p. 30. Édition originale : 1999.

 

P.-S.—Ce métier, l’Oreille tendue l’a découvert en entendant Carole Fréchette au micro de Marie-Louise Arsenault, dans le cadre de l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada, le 16 janvier 2018.

P.-P.-S.—Pour un autre métier du jour, voyez ici.

 

[Complément du 18 février]

Dans le 174e épisode de la série télévisée Seinfeld (saison 9, épisode 18), «The Frogger» (1998), Jerry fréquente Lisi, une amie d’Elaine. Sa principale caractéristique ? «She’s a sentence finisher

Les langues du hockey

Olivier Niquet, Dans mon livre à moi, 2017, couverture

«Lorsqu’il est question de tout ce qui se passe sur une patinoire,
la syntaxe mange souvent une claque.»

L’Oreille tendue et Olivier Niquet aiment entendre parler de hockey. La première a consacré un livre aux mots du hockey, Langue de puck (2014). Le second a rassemblé, sous le titre Dans mon livre à moi, 436 citations, de 122 commentateurs, citations véridiques toutes plus boiteuses les unes que les autres. Elles sont datées (de 2004 à 2017), regroupées thématiquement et indexées. Parmi les «commentateurs», il y a beaucoup de joueurnalistes, mais on entend aussi des joueurs, des entraîneurs et des administrateurs; quelques-uns ont droit à leur carte, avec photo, présentation et statistiques. Le hockey domine, mais d’autres sports sont convoqués à l’occasion. Des quiz permettent au lecteur de vérifier ses connaissances.

Chacun choisira sa citation favorite. Voici quelques-unes de celles que chérit l’Oreille : «Il en a vu des roses et des pas mûres» (Benoît Brunet, p. 35); «On ne peut pas jouer à la chaise roulante continuellement» (Michel Bergeron, p. 41); «Pis je trouve que Shaw, c’t’un gars qui a beaucoup plus de chien» (Vincent Damphousse, p. 61); «Les partisans du Canadien, ils veulent le beurre et le pain du beurre» (Michel Villeneuve, p. 174); «Quand t’as un jeune défenseur là, ta lèche est courte» (Marc Bergevin, p. 196); «Les drapeaux viennent d’érecter d’eux-mêmes» (Jean-Charles Lajoie, p. 214); «La rondelle est restée coincée dans les airs» (Pierre Houde, p. 255).

Toute la section «Le sixième sens des experts sportifs» (p. 144-155) est une merveille. Un exemple ? «Je pense qu’il faut le voir du bon pied» (Guillaume Latendresse, p. 152).

Morale de cette histoire ? «Souvent on parle pour absolument rien, mais ça fait partie du sujet» (Rodger Brulotte, p. 11).

Des heures de plaisir.

P.-S.—Les amateurs de l’émission de radio La soirée est encore jeune, à laquelle participe Olivier Niquet, apprécieront un des choix de réponse proposé à la p. 266 : «C’était un Mongol de Québec.»

P.-P.-S.—La section finale, «Un peu d’inspiration» (p. 268-273), rassemble des citations édifiantes. Que vient-elle faire là ?

P.-P.-P.-S.—Gabriel Grégoire n’a pas été «défenseur» pour les Alouettes de Montréal — c’est du football —, mais joueur de ligne défensive (p. 183).

P.-P.-P.-P.-S.—Si les réviseurs de l’ouvrage ne connaissent pas une meilleure saison en 2018, ils risquent de se retrouver dans les mineures : ils ont laissé plusieurs fois «parlé» au lieu de «parler» (p. 4-6); ils n’ont pas relevé des constructions fautives (deux à la p. 9, une à la p. 176); ils ne semblent pas toujours savoir quand utiliser l’italique (p. 5, p. 185, p. 186); des coquilles leur ont échappé (p. 17, p. 111, p. 129, p. 183, p. 193, p. 195, p. 216, p. 219, p. 221, p. 223, p. 226, p. 263, p. 267, p. 270, p. 271, p. 272, p. 277, p. 279, p. 281). Peut-être n’ont-ils pas donné leur 110 %.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Niquet, Olivier, Dans mon livre à moi, Montréal, Duchesne et du Rêve, 2017, 295 p. Ill. Mot de l’éditeur (Patrice Duchesne). Préface de Jean-René Dufort.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

 

 

Noms d’oiseaux

Stéfanie Clermont, le Jeu de la musique, 2017, couverture

Elles ont des patronymes d’oiseaux : Sabrina Cormoran, Céline Milan, Julie Grive. Elles ont été adolescentes ensemble à Ottawa. Leurs chemins se sont séparés, puis ils se recroisent. Elles ont des amis (Vincent, qui se suicide, Kat, Tahar, Estella, Jess) et des amants, dont l’identité sexuelle n’est pas toujours arrêtée («Tu disparais sous le poids de ton amour pour quelqu’un qui n’a plus de sexe […]», p. 299). Elles sont nourries de culture populaire (chanson, cinéma, télé, Internet). Seules ou ensemble, elles apparaissent dans la plupart des nouvelles du recueil le Jeu de la musique de Stéfanie Clermont (2017), souvent dans des moments de crise.

Comme presque tous les autres personnages — à l’exception de quelques enfants, et des parents de Céline, Vivianne et Pierre —, elles sont dans un entre-deux, jamais tout à fait ici ni parfaitement là : «Elle guette les occasions de commencer à vivre “vraiment”, qui ne viennent pas» (p. 83); «Tu attends que quelqu’un vienne te chercher» (p. 101); «Mon seul souvenir du temps, c’est : j’aurais pu» (p. 262). Leur monde est plein de souffrances et de violences : verbale, physique, sexuelle, sociale, raciale, politique.

Qu’elles soient brèves (la parfaite «L’enfant» [p. 96] fait cinq lignes) ou longues, les nouvelles de Stéfanie Clermont sont dures, à l’avenant.

 

Référence

Clermont, Stéfanie, le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p.

La clinique des phrases (n)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, lue dans la Presse+ du 11 novembre 2017 :

«Sur papier, cette télésérie, qui nous sortira de l’urbanité montréalaise, promet.»

Proposons une traduction libre :

Sur papier, cette télésérie, qui nous sortira de Montréal, promet.

À votre service.

Accouplements 101

Jean-Simon DesRochers, les Inquiétudes, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

La langue nous arrive souvent chargée de préjugés ethniques, auxquels nous ne prêtons peut-être pas toujours l’attention nécessaire. Ci-dessous, on trouvera trois occurrences tirées de lectures de l’Oreille, deux récentes, l’une plus ancienne, d’expressions québécoises que l’on pouvait encore récemment entendre, l’une évoquant les Chinois, l’autre, les Juifs. Le travail des romanciers est de les faire entendre; le nôtre, de leur résister

Tremblay, Michel, Survivre ! Survivre !, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1101-1251. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2014.

«La chose se produit avec une telle rapidité que Victoire n’a pas le temps de réfléchir à ce qu’elle fait. Elle voit la tête de son mari rebondir avant de comprendre qu’elle vient de lui donner une claque chinoise (si tu restes pas tranquille, moman va te donner une claque chinoise en arrière de la tête pis tu vas rester empesée pour le reste de la journée) dans ses cheveux gras et humides» (p. 1174).

DesRochers, Jean-Simon, les Inquiétudes. L’année noire – 1. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 591 p.

«Aimée, c’est toi qui as pris le sucre en poudre ?
Non, maman, c’est pas moi.
Pourquoi tu as du sucre en poudre autour de la bouche, d’abord ?
Parce que c’est Ovide qui m’en a donné.
Arrête de conter des menteries !
Mais…
Tais-toi ! Pis baisse les yeux !

Mettre ça su’l dos de ton p’tit frère qui est au ciel… Ça, ma p’tite Juive, tu l’f’ras pas deux fois… Attends que j’le dise à ton père, ma noire !» (p. 492)

Gottheil, Allen, «Nancy Neamtan», dans les Juifs progressistes au Québec, Montréal, Éditions par ailleurs…, 1988, p. 269-296.

«Lorsque j’habitais Saint-Henri, j’étais liée d’amitié avec une famille québécoise qui comptait trois jeunes filles, dont Huguette. Quand la petite gamine faisait des coups et que ses parents se fâchaient, ils l’apostrophaient d’une épithète que je ne comprenais pas, même après l’avoir entendue plusieurs fois. Un jour, j’ai pigé ce qu’ils grondaient : “Fais pas ta petite Juive !” Ça m’a surprise mais je ne savais trop comment réagir. Ça m’a pris du temps, peut-être un mois ou deux, avant de pouvoir dire à ces gens que moi, j’étais Juive. J’étais trop gênée, et lorsque je leur ai dévoilé mes origines, il n’y a pas eu de grosses discussions sur ce que cela pouvait représenter. Après, ils ont continué de la traiter de “petite Juive” sans toutefois faire d’association entre l’expression et moi. Soulignons que l’incident n’a aucunement changé nos rapports» (p. 285-286).

 

[Complément du jour]

Exactement dans le même sens que ce qui précède, ceci, sur Twitter :

http://twitter.com/TuThanhHa/status/927618769819750400

 

[Complément du 28 novembre 2017]

L’Oreille tendue a été interrogée plus tôt aujourd’hui par la journaliste Maya Johnson, du réseau de télévision CTV, sur l’utilisation de l’expression «travailler comme un nègre» par un député du parlement québécois, François Gendron. Ça se trouve ici.