Le niveau baisse ! (1957)

«Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus le sens de la langue, ne connaissent plus la syntaxe, s’égarent dans la loi de la concordance des temps, ils s’expriment par des exclamations, des vocatifs, des phrases tronquées du verbe principal ou du complément direct.»

Source : Gérard Filion, le Devoir, 1957.

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

 

Enquête : l’est-ce ?

Donc ce tweet de François Bon. Il y épingle trois tics linguistiques de notre époque. Deux ont déjà été abordés ici : au final et genre. On les trouverait en France comme au Québec. Mais le troisième (grave) ?

Son emploi adverbial est avéré dans l’Hexagone depuis au moins vingt ans. Sylvie Brunet le recensait dès 1996 dans son excellent livre les Mots de la fin du siècle (p. 40). Exemple chez Claire Legendre dans Viande en 1999 : «Je ne rase plus mes poils qui ont poussé grave avec la testostérone» (p. 172).

Mais au Québec ? L’enquête est ouverte : l’emploi adverbial de grave l’est-il en nos terres ? (L’Oreille tendue a elle-même utilisé le mot ici, mais ça compte à peine.)

P.-S. — L’adjectif grave, au Québec, peut désigner une personne. Voici ce qu’en co-écrivait l’Oreille en 2004 dans le Dictionnaire québécois instantané : «Caractéristique surtout masculine. Un gars grave est parfois un gars différent, voire spécial; c’est toujours un gars pas comme les autres par excès. Voir malade. / Était beaucoup utilisé dans les années soixante-dix; devrait donc revenir à la mode» (p. 112).

 

Références

Brunet, Sylvie, les Mots de la fin du siècle, Paris, Belin, coll. «Le français retrouvé», 29, 1996, 254 p.

Legendre, Claire, Viande, Paris, Grasset, 1999, 187 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Trente et unième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Jean Echenoz, Envoyée spéciale, 2016, couverture

Énumération

Définition

«Dénombrement des divers éléments dont se composent un concept générique ou une idée d’ensemble, éventuellement à des fins de récapitulation : “Que la terre, le ciel, que toute la nature…” (Racine, Phèdre, IV, 2, 1677)» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 174).

Exemples

«Ce boulevard [de Belleville], il n’y a pas si longtemps — et même encore parfois de nos jours —, s’y trouvait une sorte de marché sauvage épars comme un terrain vague et où, à même le trottoir, des pauvres vendaient à des pauvres toute pauvre sorte d’objets de troisième main, sorbetière ou centrifugeuse sous blister crevé, jeu de tasses ébréchées, lots de yaourts discrets sur leur péremption, grille-pain sans prise électrique, mixeur insoucieux de garantie, liasses d’anciens magazines télé sans illusions sur leur avenir, vieux jouets, gants dépareillés, vieilles fringues et tout ce que l’on pourrait encore énumérer.

Mais, d’abord, alertées par les riverains qui ont vu là une nuisance et fini par se plaindre, les forces de l’ordre ont fait un peu de ménage en dispersant ces négociants amateurs qu’elles ont refoulés vers les portes est et nord de Paris. Et puis ce qu’il y a, ensuite, c’est qu’on se fatigue vite d’énumérer» (Envoyée spéciale, p. 25).

«Ouvert, [un soupirail] apporte un peu de l’air et du son de la rue de Pali-Kao dont le nom commémore une victoire des troupes anglo-françaises pendant la deuxième guerre de l’opium — et sur les trottoirs de laquelle, il n’y a pas si longtemps non plus, on négociait encore à la sauvette divers produits dérivés de cet opium, plus ou moins coupés de lactose quand ce n’était pas de caféine, de paracétamol, de plâtre, de strychnine ou de détergent, et de produits pires encore qu’on pourrait à nouveau énumérer. Mais, d’abord, alertées par les riverains qui ont vu là une nuisance et fini par se plaindre, etc. Et puis ce qu’il y a, ensuite, etc.» (Envoyée spéciale, p. 26-27)

 

Références

Echenoz, Jean, Envoyée spéciale. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2016, 312 p.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.