Ceci, dans Reste (2023), le plus récent roman d’Adeline Dieudonné :
Le monde d’Hugo ne m’intéressait pas parce qu’il me rendait triste. Il m’a fallu plusieurs mois après notre séparation pour identifier exactement l’origine de cette tristesse. C’était son vocabulaire. Management, CEO, implémenter, data, digitalisation, customer, gestion des flux, expérience client, ressources humaines, target. Un vocabulaire de nazi. Hugo et moi ne parlions pas la même langue. Pourtant c’était un homme intelligent. Peut-être que c’est ça aussi qui me rendait triste. Toute cette intelligence gâchée.
Jusqu’à «nazi», l’Oreille tendue était assez d’accord avec cette détestation de la place des mots (anglais, notamment) de la gestion dans l’univers linguistique contemporain.
Monique Cormier et Noëlle Guilloton ont conçu une formation numérique gratuite intitulée «Les indésirables : anglicismes du domaine de la gestion». Ça se découvre ici.
P.-S.—Si vous suivez la formation, il n’est pas impossible que vous entendiez la voix de l’Oreille tendue. C’est, en effet, un cas de transparence totale.
P.-P.-S.—Bel exemple de sexisme journalistique ordinaire hier : «Deux femmes ont décidé de prendre à bras-le-corps le problème de la dégradation du français au Québec, en élaborant une formation sur les anglicismes du domaine de la gestion.» Deux femmes ? Une linguiste et une terminologue, plutôt. Personne n’aurait écrit «Deux hommes ont décidé […]».
[Complément du 28 avril 2023]
Pour entendre, à la radio, Monique Cormier et Noëlle Guilloton expliquer leur projet, on tend l’oreille de ce côté.
(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)
Soit les deux phrases suivantes, tirées d’une chronique parue dans un quotidien montréalais :
Je soumets que cette prudence est l’attitude à adopter cette fois encore.
Une autre chose me semble s’imposer : donner aux élèves et aux étudiantes et étudiants une «littératie digitale» qui leur permettra de comprendre comment fonctionnent ces outils, quelles en sont les possibilités, mais aussi les limites et les dangers, et comment rester critique face à eux et en être un usager responsable.
Deux phrases, deux anglicismes juteux : soumettre que et digitale, à moins que «littératie digitale» ne renvoie au fait d’apprendre à compter sur ses doigts.
Donc :
Je crois que cette prudence est l’attitude à adopter cette fois encore.
Une autre chose me semble s’imposer : donner aux élèves et aux étudiantes et étudiants une «littératie numérique» qui leur permettra de comprendre comment fonctionnent ces outils, quelles en sont les possibilités, mais aussi les limites et les dangers, et comment rester critique face à eux et en être un usager responsable.
Importé de l’anglais to clear, clairer a plus d’un sens dans le français populaire du Québec.
Pour passer tout juste, le verbe est disponible : «Le Vista fait une brusque embardée au moment où l’hydravion passant en rase-mottes claire tout juste l’antenne radio» (Autour d’Éva, p. 364); «Ils montent la marche. Florence se penche en entrant afin de clairer le petit chambranle de la porte» (Correlieu, p. 181).
Se faire congédier ? «J’étais certain que j’allais me faire clairer sur-le-champ» (le Plongeur, p. 80).
Qui gagne un salaire intéressant après impôt est réputé clairer un bon salaire.
Enfin et bref, pour tout ce qui concerne le fait d’éviter, de vider ou de dégager, clairer peut être d’un bon rendement.
Copello, Fernando et Sandra Contamina (édit.), Regards sur l’animal et son langage, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Interférences», 2022, 318 p.
Ménage, Gilles, Observations sur la langue françoise, Paris, Classiques Garnier, coll. «Descriptions et théories de la langue française», 6, série «Remarques et observations sur la langue française», 3, 2022, 2 vol., 1477 p. Édition de Marc Bonhomme.