Chantons la langue avec… : bilan d’étape

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

Le 22 novembre dernier, l’Oreille tendue inaugurait une nouvelle rubrique, «Chantons la langue avec…» Dans quel objectif ? Rassembler des chansons qui portent, brièvement ou longuement, sur la langue : lexique, accent, syntaxe, etc.

Après 69 livraisons, la besace de l’Oreille est aujourd’hui vide — mais toujours en attente de suggestions. Premier bilan d’étape.

Géographique : Québec (28 chansons); France (28); Canada, hors Québec (11); Suisse (2).

Générique : 38 chansons sont interprétées par des hommes, 9 par des femmes. Il y a aussi 19 pièces chantées par des groupes, et 3 par des duos.

Thématique : la question de l’accent et de la prononciation apparaît dans 30 chansons.

Chronologique : 1930-1939 (1); 1940-1949 (0); 1950-1959 (0); 1960-1969 (7); 1970-1979 (10); 1980-1989 (10); 1990-1999 (7); 2000-2009 (13); 2010-2019 (17); 2020-2024 (4).

Libre à vous de tirer des conclusions de tout cela. L’Oreille, pour sa part, s’en gardera bien.

À suivre.

 

[Complément du 7 février 2024]

Voici la liste complète des chansons repérées. Elle sera périodiquement actualisée.

(Version du 22 février 2025)

1. Michel Rivard, «Le cœur de ma vie», album Michel Rivard, 1989

2. French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

3. Chanson plus bifluorée, «Grammaire song», De concert et d’imprévu, 2006

4. Mireille Mathieu, «J’ai gardé l’accent», 1968

5. Gaële, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, 2010

6. Fabulous Trobadors, «L’accent», On The Linha Imaginòt, 1998

7. Mononc’ Serge et Anonymus, «Shitty accent», Métal canadien-français, 2024

8. Luc De Larochelière et Andrea Lindsay, «D’un accent à l’autre», 2014

9. Yves Duteil, «La langue de chez nous», album la Langue de chez nous, 1985

10. Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 (1992-2007), 2008

11. Grand Corps Malade, «À Montréal», 3ème Temps, 2010

12. La Bottine souriante, «La chanson de la langue française» / «Le reel à Blanchette» / «Le reel à Pierre Léon», les Épousailles, 1981

13. Sangria gratuite, «Mon accent», Y’a pas d’raison, 2007

14. Manu Militari, «Je me souviens», 2012

15. Michel Etcheverry, «Une pointe d’accent», Irrintzina, 1997

16. Paul Piché, «La gigue à Mitchounano», À qui appartient l’beau temps ?, 1977

17. Johnny Halliday, «Ton fils», Gang, 1986

18. Mad’MoiZèle GIRAF, «Montréal stylé», Peindre la GIRAF, 2009

19. Claude Cormier, «Garde ton accent», album Garde ton accent, 2018

20. Daniel Balavoine, «Le français est une langue qui résonne», 1978

21. Rock et Belles Oreilles, «I want to pogne», 1989

22. Ricoune, «Un petit Ricard dans un verre à ballon», 2002

23. Flagrants délires, «L’accent du Sud», la Couche d’eau jaune, 2008

24. Claude Barzotti, «Le Rital», album le Rital, 1983

25. Les enfoirés, «Qu’est-ce qu’on fout à Strasbourg ?», Bon anniversaire les enfoirés, 2014

26. Michel Bülher, «Éloge des Vaudois», 2006 [?]

27. Paul Demers, «Notre place», album Paul Demers, 1990

28. Michel Leeb, «Le tombeur», 1986

29. Castelhemis, «Coco», N’importe quelle sorte d’amour, 1982

30. Fernandel, «L’accent», 1963

31. Nicolas Ciccone, «Dynamite», Gratitude, 2021

32. Léo Ferré, «La langue française», album la Langue française, 1962

33. Pauline Julien, «Mommy», le Disque de l’Automne show, 1974

34. Renaud, «It is not because you are», Marche à l’ombre, 1980

35. Radio Radio, «Deux langues», 2021

36. Swing, «One Day», Tradarnac, 2007

37. Reney Ray, «Le p’tit Reney», album Reney Ray, 2018

38. Les Hôtesses d’Hilaire, «Super Chiac Baby», Touche-moi pas là, 2015

39. Gilles Vigneault, «I went to the market», 1976

40. Émile Bilodeau, «Candy», Grandeur mature, 2019

41. Shawn Jobin, «Au nom d’une nation (Tu m’auras pas)», Tu m’auras pas, 2013

42. Jean-Louis Foulquier, «Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom», Foulquier, 1993

43. Serge Gainsbourg, «En relisant ta lettre», l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961

44. Gilles Vigneault, «Ah ! que l’hiver», le Nord du Nord, 1968

45. Michèle Arnaud, «La grammaire et l’amour», 1965

46. Fatal Bazooka, «C’est une pute», T’as vu, 2007

47. Brigitte, «Monsieur je t’aime», Et vous, tu m’aimes, 2011

48. Jérémie Kisling, «Rendez-vous courtois», le Ours, 2005

49. Plume Latraverse, «Encore des mots», Plume pou digne, 1974

50. Serge Gainsbourg, «Les mots inutiles (De Vienne à Vienne)», 1961

51. Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

52. La Rue Kétanou, «Les mots», En attendant les caravanes, 2000

53. Java, «Mots dits français», Maudits Français, 2009

54. Loco Locass, «Malamalangue», Manifestif, 2000

55. Mononc’ Serge, «Le joual», Ça, c’est d’la femme !, 2011

56. La Bolduc, «La chanson du bavard», 1931

57. Alecka, «Choukran», album Alecka, 2011

58. Mononc’ Serge et Anonymus, «Métal canadien-français», album Métal canadien-français, 2024

59. Sylvain Lelièvre, «Lettre de Toronto», album Sylvain Lelièvre, 1978

60. Jean Lapointe, «Mon oncle Edmond», 1976

61. Daniel Lavoie, «Jours de plaine», 1991

62. Georges Langford, «Acadiana», album Acadiana, 1975

63. Big Balade, «Levons nos voix (Francos de l’Ontario)», 2015

64. Brian St-Pierre, «Mon beau drapeau», version de 2011

65. En Bref, «Grande histoire d’amour», Silence radio, 2014

66. IAM, «Chez le mac», l’École du micro d’argent, 1997

67. Robert Charlebois, «Punch créole», Longue distance, 1976

68. Jacques Tom Rivest, «La langue de son pays», album Jacques Tom Rivest, 1979

69. Gauvain Sers, «La langue de Prévert», les Oubliés, 2019

70. Mansfield.TYA, «Le dictionnaire Larousse», Corpo Inferno, 2015

71. Zebda, «Le Petit Robert», Essence ordinaire, 1998

72. Joël Martel, «En français», Tête de verre de chien Slush Puppie, 2022

73. Ivy, «My name was», Hors des sentiers battus, 2012

Chantons la langue avec Michel Bühler

Portrait de Michel Bühler

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Michel Bühler, «Éloge des Vaudois», 2006 [?]

 

Il arrive qu’à l’étranger
— Oui je m’y risque, oui j’y vais —
Vu l’léger accent qu’est le mien
On me demande d’où je viens
À quoi je réponds : «Mais Madame
Je suis Suisse de cœur et d’âme
On s’presse de loin pour venir voir
Mes biscotos de montagnard»
Alors la dame — ou le monsieur
Qu’importe — prend un air malicieux
Et puis condescendant déclare
’vec une sorte d’accent savoyard
«Les banques et les montres, je vois
Le fromage le chocolat
Le Cervin Genève et Zurich
Vous avez d’la chance vous êtes riches !»
Que ces clichés sont éculés
Qui nous mettent tous dans l’même panier
Du Léman au lac de Constance
Sans subtilité sans nuances
Alors que vingt peuples se partagent
La douceur de nos paysages
Entre les Alpes et le Jura
Moi par exemple je suis vaudois

C’est dire que je n’ai rien à voir
Avec le Genevois bavard
Le Neuchâtelois minutieux
Ou le Valaisan tête en feu
Rien à voir mais c’est évident
Avec nos cousins suisses allemands
Je n’dirai rien à leur propos
Et rien c’est déjà presque trop
Le Vaudois… ah… c’est un taiseux
Il pense beaucoup mais parle peu
Il a trois principes : méfiance
Méfiance ensuite, et puis méfiance
Soucieux de ne choquer personne
Il pèse ses mots, et ça donne
Pour dire un «Non !» franc, affirmé
Un très délicat : «Vous croyez ?»
Offrez-lui un plat dégueulasse
Genre tripes confites à la mélasse
Pour marquer son dégoût total
Il murmurera : «C’est spécial»
Peu d’emphase donc, peu de lyrisme
Sauf chez certains politiciens
Tel c’lui qui voulait, nom d’un chien
Mettre un frein à l’immobilisme

Si l’on connaît peu le Vaudois
De par le monde c’est ma foi
Qu’il est avant tout réservé donc
Et peu porté à s’imposer
Discret il vit dans son canton
Jolies collines et frais vallons
Vignes en pentes et beaux vergers
Soucieux de ne pas déranger
Exemple : deux Vaudois pêcheurs
Sont sur le lac de bonne heure
On est heureux on est comblé
Dans l’eau un litron prend le frais
Quand tout à coup le vent se lève
Et les pousse loin de la grève
Les vagues se creusent profondes
La pluie cogne le tonnerre gronde
La barque est prête à chavirer
Leur dernière heure va sonner
«On pourrait peut-être prier ?»
S’écrie l’un d’eux désespéré
À quoi l’autre agrippé au bord
Rétorque en un ultime effort
«Est-ce que tu crois vraiment que c’est
Le moment d’se faire remarquer ?»

Ennemi de la démesure
Fuyant le risque, l’aventure
Le Vaudois type, pur et dur
Vote à l’extrêm’ centre bien sûr
En tout il reste raisonnable
Mêm’ pour le vin, mêm’ pour la table
D’accord il y a des exceptions
J’en connais j’peux donner des noms
L’est pas avare mais prudent
Jamais orgueilleux mais conscient
L’a le gaspillage en horreur
Tenez, nos deux de tout à l’heure
Sauvés séchés revenus sur terre
Se remettent avec quelques verres
À la terrasse d’un café
En haut d’une côte escarpée
Arrive un cycliste suant
Soufflant en nage écumant
Il demande une bouteille d’eau
Qu’il engloutit tout aussitôt
Puis une autre et une autre enfin
Il paie et disparaît au loin
Les deux se r’gardent abasourdis :
«Un’ si belle soif… mais quel gâchis !»

Sauf pour commander trois décis
On dit le Vaudois indécis
C’est vrai : réservant son avis
Il dira «Ouais» plutôt que «Oui»
Mais quand après mûre réflexion
Il s’est forgé une opinion
Son verdict tombe sans appel
Définitif et officiel
Nos deux Vaudois sont au bistro
Silence, personne ne pipe mot
On entend voler une abeille
Au bar la serveuse sommeille
Arrive alors un type curieux
«Belle journée bonjour ces messieurs
Un café s’il-vous-plaît mam’zelle
Et pis l’journal pour les nouvelles !»
Le gars s’installe se met à l’aise
Dans leur coin les Vaudois se taisent
Une demi-heure coule au clocher
Pas une parole n’est prononcée
Puis l’gars s’en va : «Merci, au r’voir »
Alors l’un de nos deux gaillards
Hoche la tête : «Enfin parti
C’te grande gueule !» «Ouais tu l’as dit !»

C’est ainsi que l’on est ici
Dans ce pays tendre béni
Qu’on pourrait dire de cocagne
Entre le lac et les montagnes
Où dans les années d’abondance
Les épis de blé sont si denses
Si gros si pesants sous les cieux
Que les champs plient en leur milieu
On en a vu dans ces temps-là
Des patates d’un tel format
Qu’avec une seule on pouvait faire
Des röstis pour l’armée entière
Où le brouillard parfois descend
Lourd et tellement consistant
Qu’les oiseaux pour se déplacer
Se voient contraints d’aller à pied
Où le soleil quand il se montre
Est si ardent si enjoué
Qu’il fait monter dans nos gosiers
Des soifs qu’on peut s’appuyer contre
C’est ainsi qu’on est et qu’on reste
Pas fiers, honnêtes, travailleurs
Simples bref parmi les meilleurs
En un mot vaudois… et modestes
C’qui suffit bien à not’bonheur…