Accouplements 252

Alfred Hitchcock, North by Northwest, 1959, affiche

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Depuis le 1er septembre 2024, l’excellent Patrick Boucheron est à la barre de l’émission Allons-y voir, «Un rendez-vous pour analyser les images qui nous entourent et nourrir nos imaginaires», sur France Culture. L’épisode du 24 novembre, «Au théâtre des valeurs de l’art», portait sur le marché de l’art. La commissaire-priseuse Chloé Collin y réfléchissait à son métier. On y entendait, sur les ventes aux enchères, un extrait du film le Tableau volé (2024) de Pascal Bonitzer et la chanson Drouot (1970) de Barbara.

C’est à cette émission que l’Oreille tendue a repensé en revoyant North by Northwest / la Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock. Cary Grant y est particulièrement habile à bousiller le déroulement d’une vente aux enchères, en misant soit trop bas, soit trop haut. La scène est particulièrement drôle.

Allez-y voir.

 

[Complément du 18 décembre 2024]

Lisons Charles Dickens : «Si l’on considère, suivant l’opinion généralement répandue, l’âne comme le type même de la stupidité contente de soi-même, ce qui est peut-être beaucoup plus conventionnel que juste, alors le plus grand âne de Cloisterham est Mr. Thomas Sapsea, le commissaire-priseur» (éd. de 1991, p. 70). Suit un portrait bien peu flatteur (p. 70-80, p. 233, p. 253, p. 273-274, p. 321-326, p. 412).

 

[Complément du 16 février 2025]

La chose est connue : depuis sa jeunesse, l’Oreille tendue collectionne les scènes de fornication dans les moyens de transport.

Elle en découvre une nouvelle dans le plus récent roman de Jean Echenoz, Bristol (2025), mettant en scène un commissaire-priseur :

Le dernier [amant] en date exerce la fonction de commissaire-priseur. Geneviève assurait d’abord ses déplacements professionnels, maintenant elle assouvit également ses pulsions. Il l’appelle, elle arrive, il monte à la place du mort qui est plus pratique pour un rapide rapport au fond d’un parking en sous-sol, il continue de payer ses courses au tarif du compteur (p. 175).

Comme c’est souvent le cas dans ces scènes, la locomotion est brièvement, et heureusement, interrompue.

 

Références

Dickens, Charles, le Mystère d’Edwin Drood (1870, inachevé), dans Dickens, Fruttero & Lucentini, l’Affaire D. ou le crime du faux vagabond, Paris, Seuil, 1991, 473 p. Édition originale : 1989. Traduction de Simone Darses. La traduction du texte de Dickens est de Charles-Bernard Derosne (1874), revue et corrigée par Gérard Hug.

Echenoz, Jean, Bristol. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2025, 205 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Sébastien Dulude

Sébastien Dulude, Amiante, 2024, couverture

«Je m’étais exécuté en prenant soin de ne pas passer dans le champ de vision de mon père; j’en avais profité pour aller faire pipi question d’écouler le contenu de ma vessie et un peu plus de temps, craignant que la suite du film [John Carpenter, Christine, 1983] me soit dorénavant interdite, et j’étais revenu avec mon lait dans un verre de plastique blanc.»

Sébastien Dulude, Amiante, Saguenay, La Peuplade, 2024, 209 p., p. 74.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Déficits à craindre

Requiem pour un beau sans-cœur, film de Robert Morin, 1992, affiche

Sans-cœur : avec ou sans trait d’union, substantif ou qualificatif.

Qui est sans-cœur peut manquer de compassion : «“Ça prend une méchante gang de sans cœur pour être capables de punir des gens, de faire mal à des gens comme ça qui autrement auraient le droit d’avoir accès au dentiste”, a dénoncé M. Boulerice en point de presse mercredi» (la Presse+, 9 octobre 2024).

On peut aussi manquer de volonté : «je suis trop sans-cœur» (Tiroir no 24, p. 120).

Ne soyez ni l’un ni l’autre.

P.-S.—Vous avez l’œil. Nous avons en effet déjà croisé un sans-cœur chez Gérald Godin (ici).

P.-P.-S.—On trouve d’autres exemples dans Usito.

 

Référence

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.

L’univers des vidanges

Conteneur à déchets

Récapitulons quelques épisodes antérieurs.

Au Québec, surtout dans la langue populaire, les ordures sont des vidanges (au pluriel). Les vidangeurs sont responsables de leur collecte. Cette collecte a lieu le jour des vidanges. Elle requiert des camions de vidange.

Précisons.

Existe aussi le camion à vidanges (Créatures du hasard, p. 125).

Une personne, on ne le sait que trop, peut être une ordure : «Pis moi tu penses que j’le sais pas pourquoi t’étais dans la cour, osti de vidange ?» (Chevtchenko, p. 24)

Au hockey, un but marqué sans élégance ni véritable adresse, est un but (de) vidange; dans la langue de Phil Esposito, on dit garbage goal.

Pendant longtemps — un peu moins aujourd’hui —, on a plus volontiers pratiqué, au Québec, le changement d’huile (oil change) que la vidange.

Les plus vieux s’en souviendront : le film Vie d’ange, de Pierre Harel, en 1979, contient ce qui doit être une des plus longues scènes de coït non interrompu de l’histoire du cinéma.

À votre service.

 

Références

Carballo, Lula, Créatures du hasard. Récit, Montréal, Cheval d’août, 2018, 144 p. Ill.

Chapnick, Guillaume, Chevtchenko, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 39, 78 p. Ill. Précédé d’un «Mot de l’auteur». Suivi d’un «Contrepoint. Les racines et la pluie», par Nathalie Plaat.

Vaste question

L’Oreille n’est guère philosophe. Elle ne se pose que très peu de questions existentielles, voire pas du tout. Cela ne l’empêche d’être tendue, à l’occasion, quand d’autres personnes s’interrogent sur le sens du monde. C’est ce qui explique l’existence de quelques brèves notes, qu’elle vient de retrouver, sur le concept de réalité. Les voici.

Terme de marine. Robert est ancré dans la réalité.

Terme d’électricité. Céline est déconnectée de la réalité.

Terme médiatique. «Réalité extrême» (le Devoir, 4 juin 2007, p. B7)

Terme de cinéma. «Rappelez-vous, c’est celui [Jacob Tierney] qui a chiqué de la guenille fléchée au printemps en disant que le cinéma québécois devrait s’efforcer de refléter un peu plus la réalité moderne et plurielle de Montréal» (la Presse, 4 janvier 2001, p. A7).

Nous ne sommes guère plus avancés que nous ne l’étions.

P.-S.—Quelques-unes de ces notes ont paru dans le Dictionnaire québécois instantané en 2004.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture