Il y a quelques mois, l’Oreille s’est tendue vers un médiatic québécois : la curieuse habitude de commencer une phrase par le pronom «Vous» suivi d’un verbe à l’infinitif. Vous dire qu’elle trouvait ça bizarre.
Plus récemment, une autre construction a attiré son attention : la locution verbale «C’est» suivie d’un verbe à l’infinitif, lui-même précédé par «de». C’est de comprendre cette nouveauté (du moins, aux oreilles de l’Oreille).
Exemples :
«Au début, c’était plus de lui demander comment mon père voyait ça, les Canadiens et tout ça, continue Justin» (la Presse+, 15 août 2022).
«Sur l’échec avant, c’est de finir mes mises en échec et de gagner le plus de batailles à un contre un»; «c’est juste d’essayer d’être encore plus complet» (la Presse+, 13 août 2022).
«Donc pour nous, c’est de prouver qu’on peut bien performer en séries»; «Pour moi, c’est juste de combler les trous qui manquent en travaillant fort» (la Presse+, 17 août 2022).
«c’est juste de continuer à prouver que les femmes parlent autant de sport que les hommes»; «C’est d’avoir ce sens de la sensibilité, que peu importe où vous restez, c’est l’équité pour tous» (la Presse+, 18 août 2022).
Les lecteurs perspicaces — mais quel lecteur de ce blogue n’est pas perspicace ? — auront remarqué que toutes les citations renvoient au monde du sport. Foi d’Oreille, pourtant, ce n’est pas seulement de la langue de puck. Ça s’entend ailleurs, promis juré.
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.
«Figure qui opère une rupture de syntaxe. La négligence, un lapsus, une charge émotive ou l’impatience de la pensée en sont les causes possibles […]» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 32).
«L’anacoluthe consiste en une construction de phrase qui s’interrompt soudainement pour laisser la place à une autre construction, comme un changement de sujet (Espérant le tout à votre satisfaction, veuillez agréer mes salutations distinguées)» (Office québécois de la langue française).
«N’ayant répondu qu’en anglais aux questions lors d’un comité parlementaire, des élus doutent de son engagement à corriger le tir» (le Devoir, 22 mars 2022).
«Conçu en discutant avec ses enfants, M. Babiak précise que le roman suit un groupe de filles intelligentes et hautement formées qui ont un rôle “derrière les grands moments de l’Histoire”» (Radio-Canada, 27 mars 2022).
«Arrêtée par la Gestapo, son comportement fut héroïque» (France Culture, 28 mars 2022).
Les vacances de l’Oreille tendue n’étaient pas encore commencées que la démolition de sa cuisine, si. Bref, des rénovations étaient à l’ordre du jour.
Des ouvriers ont reconstruit ce que l’Oreille et consorts avaient détruit. Résonnaient alors les mots habituels de la construction : chimer (son emploi paraît universel, et ses emplois tout autant), drill (certaines perceuses seraient plus «viriles» que d’autres, dit-on) ou gléser (rendre un mur lisse, comme dans to glaze).
Une épiphanie littéraire est née de ces rénovations : les nouveaux tiroirs de la cuisine sont montés sur des roulements Blumotion. Cela rend — enfin — compréhensible un passage du roman Un parc pour les vivants de Sébastien La Rocque (2017) :
Elle fera glisser pour eux ses tiroirs de cuisine à fermeture automatique de style shaker d’un blanc laqué immaculé, qui s’ouvrent et se ferment grâce à la technologie du Blumotion de Blum, tout doucement, c’est ça, le progrès, la vie et la façon de concevoir la cuisine et ses objets sont révolutionnés — plus personne ne claquera une porte dans un excès de colère; régnera l’harmonie, et la médication s’occupera des malheureux (p. 35).
En effet, la colère devra désormais s’exprimer ailleurs que sur les tiroirs.
L’Oreille connaissait cette expression : «On n’avait pourtant pas toujours la pédale dans le tapis» (Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, p. 176). Autrement dit : à fond. Sur Twitter, elle en découvre une variante locale.
Un char vient de passer dans la rue avec « La Tribu de Dana » dans le prélard.
C’est maintenant prouvé, il existe du monde avec encore moins d’orgueuil que moi…
«Mais, au moment où je m’y attendais le moins, je mis la main sur une merveille, je devrais dire sur une difformité naturelle, très-rare à rencontrer. Conseil venait de donner un coup de drague, et son appareil remontait chargé de diverses coquilles assez ordinaires, quand, tout d’un coup, il me vit plonger rapidement le bras dans le filet, en retirer un coquillage, et pousser un cri de conchyliologue, c’est-à-dire le cri le plus perçant que puisse produire un gosier humain» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 175).
Même en vacances, l’Oreille reste tendue. Pas une seule fois, pourtant, elle n’a entendu le «cri de conchyliologue». Du moins, elle ne le croit pas, et ce n’est pas par manque de coquillages.
«Passaient aussi de grands chiens de mer, poissons voraces s’il en fut. On a le droit de ne point croire aux récits des pêcheurs, mais voici ce qu’ils racontent. On a trouvé dans le corps de l’un de ces animaux une tête de buffle et un veau tout entier; dans un autre, deux thons et un matelot en uniforme; dans un autre, un soldat avec son sabre; dans un autre enfin, un cheval avec son cavalier. Tout ceci, à vrai dire, n’est pas article de foi. Toujours est-il qu’aucun de ces animaux ne se laissa prendre aux filets du Nautilus, et que je ne pus vérifier leur voracité» (Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, p. 315).
L’Oreille n’a pas non plus croisé de grand chien de mer. Pourtant, elle était à la mer. C’est là où elle a vu, sans pousser de cri, des coquillages.
Dans l’État de New York, certains motels annoncent qu’ils ont des chambres pour fumeurs («Smoking Rooms»). Fidèle à ses saines habitudes de vie, l’Oreille évite résolument de telles chambres. Elle exige toujours une «Drinking Room».
Dilemme du jour. Se trouver sur la bonne route et lire, à l’arrière du camion qui nous précède, «Do not follow.» Suivre ou ne pas suivre, arriver à destination ou pas, telle est la question.
Elle a beau être vacancière, l’Oreille n’hésite jamais à se porter au secours des phrases malades, celle-ci, par exemple :
«Le suspect est Faisal Hussain» aurait suffi, non ?
À votre service.
Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue en sont convaincues : les restaurants états-uniens sont sous-éclairés. Qu’ont-ils donc à cacher ?
A-t-on une personnalité différente quand on change de langue ? Cela peut arriver. L’Oreille le constate ces jours-ci. (Non, elle ne parle pas d’elle-même.)
Publicité du jour, en bord de route : «Clean Rest Room. New Seat.» Voilà qui est bien tentant.