Quatre choses inutiles sur Saku Koivu

Saku Koivu a récemment pris sa retraite. L’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — sera honoré ce soir au Centre Bell.

Qu’en est-il de sa représentation dans la culture populaire québécoise ?

Dans la série les Boys (cinéma, télévision), le fils de Mario, le personnage joué par Patrick Labbé, se prénomme Saku. (Si la mémoire de l’Oreille tendue n’est pas trop défaillante, la mère de Saku l’oblige à suivre des cours de… danse.)

On entend le nom du joueur du centre dans deux chansons d’Annakin Slayd datant de 2009 (il s’agit en fait de la même chanson, en français et en anglais), «La 25ième» et «25 (Feels Like ‘93)». Dans les deux cas, on a inséré un extrait d’une description de match par Pierre Houde :

Koivu, Koivu qui est arrêté par Rozsival… la rondelle revient à Andrei Kostitsyn… et le BUUUUT ! Kovalev ! Qui d’autre ? Montréal qui compte.

Venu de Finlande, Koivu a rapidement maîtrisés les éléments récurrents de la mystique hockeyistique montréalaise. Dave Stubbs, dans un article du quotidien The Gazette paru en 2011, se souvient par exemple d’une discussion qu’il a eue avec lui cinq ans plus tôt :

During a long talk in an empty dressing room early in the fall of 2006, Koivu pointed to the coal-black pupils staring down from the facing wall. No matter where he sat, he said, the eyes of the Rocket found him.

Koivu savait mesurer le pouvoir des yeux de Maurice Richard, même en photo au mur du vestiaire, même six ans après la mort de l’ancien capitaine de son équipe.

Le nom de Koivu, enfin, apparaît dans le roman pour la jeunesse les Canadiens de l’enfer de Yanik Comeau (2012).

Vous connaissez autre chose ?

 

Références

Comeau, Yanik, les Canadiens de l’enfer, Ville-Marie, Z’ailées, coll. «Zone frousse», 19, 2012, 111 p.

Stubbs, Dave, «Emotional Return for Captain K», The Gazette, 22 janvier 2011.

Yvan Cournoyer lecteur de Walt Whitman ?

Quand des professeurs de lettres se croisent, ils parlent souvent de sport. Il leur arrive aussi de causer littérature. Parfois, les deux sujets se mêlent.

Un collègue de l’Oreille tendue, rencontré hier, s’interrogeait sur l’utilisation d’un titre de Walt Whitman par l’ex-hockeyeur Yvan Cournoyer dans son éloge funèbre de Jean Béliveau (1931-2014), l’ancien capitaine des Canadiens de Montréal. D’où Cournoyer connaissait-il le «O Captain ! My Captain !» qu’il a prononcé, en traduction française, durant les funérailles de son aîné le 10 décembre ?

L’Oreille a déjà écrit sur les lectures des hockeyeurs, mais elle n’a jamais rien lu sur celles de Cournoyer.

Peut-être a-t-il découvert ces vers dans le film Dead Poets Society de Peter Weir (1989) ou dans une autre forme de culture populaire : c’est un titre beaucoup cité.

Une autre avenue est locale. Dans la Presse du 7 décembre, le chroniqueur Stéphane Laporte publie un poème à la mémoire de Béliveau intitulé «Ô Capitaine ! Mon Capitaine !» On y trouve la note suivante : «Le titre de cette chronique, en hommage à Monsieur Béliveau, réfère au fameux poème de Walt Whitman O Captain ! My Captain ! cité par John Keating (Robin Williams) dans le film Dead Poets Society

Les voix de la poésie sont impénétrables.

Chapelles ardentes

«On est un groupe de joueurs de toutes les époques
qui veulent garder le flambeau très haut.
Il faut porter notre flambeau maintenant sans le grand Jean.
C’est à nous de prendre la relève,
avec les Guy Lafleur de ce monde.»
(Réjean Houle, 7 décembre 2014)

Le 30 mai 2000, le Centre Molson de Montréal accueillait une chapelle ardente pour le joueur de hockey Maurice «Rocket» Richard (1921-2000). L’Oreille tendue l’a décrite ici.

Les 7 et 8 décembre 2014, ce qui est devenu le Centre Bell en accueille une autre, pour Jean Béliveau (1931-2014).

Comment les comparer ?

Dans les deux cas, un cercueil, l’un ouvert (Richard), l’autre fermé mais couvert de roses blanches (Béliveau), auprès duquel se tient la famille venue recevoir les bons mots des amateurs.

Un même caractère solennel, marqué par le silence des admirateurs.

Quand un joueur est jugé exceptionnel par une équipe, on retire le numéro qu’il a porté et on le fait monter dans les cintres (le ciel ?) de son aréna. Le numéro 9 de Richard et le numéro 4 de Béliveau y sont. Au moment de leur rendre hommage, on fait redescendre la bannière qui les honore près de la glace.

Pour chacun des joueurs, deux photos, l’une en noir et blanc, l’autre en couleurs.

Le noir et blanc, c’est le passé glorieux. Pour Richard, on a repris sa représentation la plus iconique, la photo prise par David Bier, du journal The Gazette, dans les années 1950 : yeux exorbités, Richard pousse la rondelle devant lui. Pour Béliveau, il n’existe pas de telle photo, qui ferait l’unanimité et qui serait reprise partout. On le montre plutôt tenant la coupe Stanley au bout de ses bras. D’une part, cela permet de rappeler que le joueur de centre des Canadiens a mené son équipe à 10 championnats. D’autre part, cela correspond parfaitement aux témoignages entendus depuis bientôt une semaine : Béliveau était d’abord et avant tout un joueur d’équipe.

 

Montage photographique, noir et blanc, Maurice Richard et Jean Béliveau

La couleur, c’est l’héritage à transmettre. Richard et Béliveau, en maillot rouge, portent à la main le flambeau devenu emblématique de l’équipe montréalaise. Ce qu’ils transmettent à ceux qui sont venus leur rendre hommage, c’est la tradition des Canadiens de Montréal, un patrimoine (familial aussi bien que collectif). Ce flambeau est aujourd’hui une composante capitale de l’image que veut donner l’équipe d’elle-même.

 

Montage photographique, couleurs, Maurice Richard et Jean Béliveau

À ces photos s’ajoutent, dans le cas de Béliveau, deux séries d’objets. Sa statue de bronze se trouve habituellement à côté du Centre Bell : entreposée depuis quelques mois à cause de travaux de construction, on l’a ressortie pour l’occasion. Quatre des trophées gagnés par Béliveau sont visibles, certains remportés à titre individuel (le Hart, le Art-Ross, le Conn-Smythe), d’autres à titre collectif (la coupe Stanley).

Sur les écrans qui entourent la patinoire, on projette une image de la signature de l’ancien capitaine.

Une dernière chose distingue la chapelle ardente en l’honneur de Jean Béliveau de celle pour Maurice Richard. On a choisi d’éclairer le siège qu’y occupait le premier (section 102, rangée EE, siège 1). Richard avait peu de liens symboliques forts avec le Centre Bell, alors que Béliveau y était une présence familière.

La mise en scène de 2014 est plus élaborée que celle de 2000, mais, dans les deux cas, il s’agit de modeler la mémoire de deux grands joueurs de hockey. À qui cela s’adresse-t-il ? Autant à ceux qui ont vu jouer ces joueurs qu’aux générations qui ne peuvent pas les avoir vus jouer. Rappelons-le : quand Maurice Richard meurt, il a pris sa retraite depuis 40 ans; Jean Béliveau, depuis 43 ans. Ceux qui leur rendent hommage rendent aussi — surtout ? — hommage au souvenir qu’on leur a transmis.

 

[Complément du jour]

Olivier Bauer, professeur à l’Université de Montréal et grand spécialiste de la Religion du Canadien de Montréal (2009), s’est rendu au Centre Bell. Récit.

La semaine dernière en lettres

L’Oreille tendue, il y a quelques années, a publié un petit texte sur la correspondance des sportifs. Elle a donc été sensible à une photo de Jean Béliveau (1931-2014) qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux le lendemain de sa mort. La photo date du début des années 1950 : on y voit le joueur de hockey répondre à son courrier, installé à sa table de cuisine.

Jean Béliveau, au début des années 1950, répondant à son courrier

 

Avant de s’intéresser au courrier des athlètes, l’Oreille a consacré un livre à l’écriture épistolaire au XVIIIe siècle. Son objet était la correspondance de Diderot, mais il lui arrivait aussi d’aborder celle de Voltaire. Elle ignorait pourtant ce que lui apprend le Devoir du 6-7 décembre (p. F3) : que l’auteur de la Pucelle avait écrit des lettres à la Môme Piaf. A-t-on conservé les réponses de celle-ci ?

Une correspondance Voltaire-Piaf ?