Plus dure sera la chute

Jean-Claude Barey, l’Héritage d’un chûton, 2010, couverture

Soit ce bout de phrase, dans le Devoir du 31 mars dernier : «un régionalisme comme “chuton”, propre à Lanaudière».

Chuton, donc.

L’Oreille tendue a beaucoup entendu le mot dans la bouche de ses parents, dont une moitié provient, en effet, de Lanaudière.

Son sens est péjoratif, à la manière du jigon. Le Wiktionnaire offre comme définition «Personne mal élevée, rustre, peu soucieuse de son apparence». Le bien peu fiable Léandre Bergeron avance que le mot désigne un voyou (1981, p. 81); on peut ne pas partager son avis.

Au féminin, il donne chutonne.

Jean-Claude Barey, en 2010, penche pour l’accent circonflexe : chûton. Il donne les synonymes suivants : colons, bs, bougons, paumés, miséreux, itinérants.

Sur 4 ans de Festi-grunge, en 2005, Bouffons du roi chantait «Chuton», à Joliette — ce qui nous ramène à Lanaudière et au caractère bien peu reluisant du personnage.

 

Références

Barey, Jean-Claude, l’Héritage d’un chûton. Les tribulations d’une jeune démuni. Roman, Québec, Marcel Broquet éditeur, 2010, 288 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Le jubé et le balcon

Au Québec, terre longtemps catholique, on peut entendre l’expression monde à (la) messe. Elle désigne une grande quantité de personnes.

Exemple tiré du Devoir du jour : «C’est du monde à la messe, en bout de piste.»

Comme nous le faisions remarquer dans le Dictionnaire québécois instantané (2004, p. 136), on ne confondra pas monde à (la) messe et monde au balcon, même si les deux marquent une forte présence : le balcon n’est pas un jubé.

P.S.—Un show de chaises du cru s’intitule Y a du monde à messe.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Figures de dirigeants

En 2004, l’Oreille tendue coproposait la définition suivante du mot capitaine dans le Dictionnaire québécois instantané :

Archaïsme. À l’époque des tavernes, appellatif de garçon : Capitaine ! Encore deux Torrieuse. Le client du capitaine est souvent le boss* : Les v’là, boss (p. 34).

Cette définition appelle deux remarques. D’une part, capitaine peut avoir une assez large extension hors brassin. D’autre part, l’association capitaine / boss peut aussi accueillir le chef.

Deux exemples le démontreront.

Le premier provient du poème «C’est vrai» de Patrice Desbiens :

Hé capitaine
t’aurais pas un
trente-sous ?
Merci chef
j’avais
pas mal
soif
[…]
C’est vrai qu’y
fait beau
pas vrai,
boss ? (éd. de 2010, p. 99-100)

Le second se trouve dans un des essais radiophoniques de Serge Bouchard, «Le supérieur immédiat» :

Je me suis toujours interrogé sur ces vendeurs qui s’adressent aux clients à grands coups de «que puis-je faire pour vous, chef ?» et de «c’est beau comme ça, capitaine ?». Le faux clin d’œil est malaisant, il exprime une solidarité de «mononcle», une familiarité de mauvais aloi (p. 199).

Dont acte.

 

Références

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

Desbiens, Patrice, Poèmes anglais suivi de la Pays de personne suivi de la Fissure de la fiction, Sudbury, Prise de parole, coll. «Bibliothèque canadienne-française», 2010, 223 p. Préface de Jean Marc Larivière. Éditions originales : 1988, 1995, 1997.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Accouplements 163

Hubert Aquin, Blocs erratiques, 1977, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.

«La pierre, qui manquait au cap Bathurst, — particularité, pour le dire en passant, non moins inexplicable que l’absence de marées, — reparaissait ici sous forme de blocs erratiques, de roches profondément encastrées dans le sol» (p. 198).

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

«Dans ce décor maintenant figé, devant ce chalet abandonné, nous apercevons les restes de l’été. Le bonheur est derrière, il est ce bloc erratique qui ne se déplace pas et qui tiendra le fort à jamais, sur le bord de ce lac rempli des échos de la joie» (p. 248).

 

[Complément du 13 mai 2021]

Dans un texte paru en recueil en 2005, Serge Bouchard utilisait déjà la même expression pour caractériser… des joueurs de hockey :

L’authentique joueur ne peut plus jouer depuis que les gros ont pris d’assaut les patinoires. Les armoires à glace lancent la rondelle à deux cents kilomètres à l’heure, dans la baie vitrée, à côté du but ou dans la face de leur ami. Ils patinent comme des blocs erratiques mais, qu’à cela ne tienne, ils impressionnent. Ce sont tous des éléphants qui s’énervent dans une arène de cristal. Certains sont rapides, mais ils oublient la rondelle derrière eux, une fois sur deux (p. 130).

Bouchard, Serge, «Claude Provost», dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2005, p. 129-131.

 

[Complément du 25 décembre 2021]

Il y a aussi des «blocs erratiques» dans le roman Morel de Maxime Raymond Bock (2021, p. 224-225).

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.