Les traditions (familiales) ne se perdent pas (toutes)

Une vieille tante de l’Oreille tendue vient de mourir.

L’Oreille téléphone aux pompes funèbres. Se présentant, elle indique à son interlocuteur de qui elle est le fils.

«Votre père, c’est le fils à Omer», répond le croque-mort. (Ledit Omer est mort il y a presque 50 ans.)

En quelques secondes, deux inconnus viennent d’unir trois générations (grand-père, père, fils).

Nous sommes bien au Québec, en 2021, à quelques kilomètres de Montréal.

NFS

Marie-France Bazzo, Nous méritons mieux, 2020, couverture

Comment dire, au Québec, dans le registre familier, d’une chose qu’elle se termine abruptement ? «Net frette sec», rappelle à juste titre Marie-France Bazzo dans Nous méritons mieux (2020, p. 7). C’est net, c’est (à) froid («frette»), c’est sec : ça peut même faire mal.

Pierre DesRuisseaux préfère la graphie «Net fret sec», toujours sans ponctuation : «Faire qqch. d’un coup sec, sans détour» (Trésor des expressions populaires, 2015, p. 213).

Léandre Bergeron propose «Net, fret, sec», avec virgules (Dictionnaire de la langue québécoise, 1980, p. 235).

Vous ferez bien comme vous voudrez.

 

[Complément du 22 mars 2022]

Variation dans l’ordre des mots, dans la Presse+ du jour : «“J’aimerais faire un K.-O. frette, net, sec.”» Au bout du fil, l’enthousiasme débordant de Corinne Laframboise frappe d’entrée de jeu.»

 

Références

Bazzo, Marie-France, Nous méritons mieux. Repenser les médias au Québec, Montréal, Boréal, 2020, 213 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Le monde ne reste pas le même

Publicité de Loto-Québec, 2012

La publicité de Loto-Québec est fort connue : «Ça change pas le monde, sauf que…» Autrement dit : ça change le monde.

La locution sauf que est désormais omniprésente au Québec, non plus seulement pour introduire une proposition subordonnée, mais pour commencer une phrase.

Les journalistes sportifs le font — «Sauf que le Canadien perdait 3 à 1, et que sur les trois buts accordés par Théodore, deux étaient douteux» (la Presse, 20 février 2001) — aussi bien que les écrivains — «Sauf que, parfois, pour se dire les vraies choses, on a besoin d’une table avec vue imprenable sur la ville, un service impeccable et une carte raffinée» (Matamore no 29, p. 139); «Sauf que c’est un cours de philosophie» (le Charme discret du café filtre, p. 112).

Au lieu de marquer la subordination, sauf que marque désormais, très fréquemment, la conjonction.

C’est comme ça.

P.-S.—Oui, l’Oreille tendue aurait dû écrire ce texte il y a longtemps. Elle s’en veut de cet oubli, au point de s’en mordre les lobes.

 

Références

Farah, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier, 2008, 208 p.

Panneton, Amélie, le Charme discret du café filtre. Nouvelles, Montréal, Éditions de la Bagnole, coll. «Parking», 2011, 158 p.