De mort violente

Orignal mort, dans un camion

Soit les phrases suivantes, tirées d’œuvres québécoises récentes :

«Ce soir-là, j’ai dormi sans Thomas. Où était-il ? Avait-il tué » (Kukum, p. 54)

«T’as-tu tué ?» (Québec Redneck Bluegrass Projet)

«C’est exactement ce qui est arrivé lorsque j’ai tué pour la première fois» (le Temps des récoltes, p. 31).

«Le père de Max avait tué à l’automne, ça l’avait mis de bonne humeur, la première fois qu’il allait à la chasse depuis deux ans» (le Chemin d’en haut, p. 59).

Qu’on se rassure : comme l’indique la dernière phrase, les Québécois ne sont pas particulièrement portés sur l’assassinat, sauf quand ils vont à la chasse. S’il ont tué, c’est un animal. Ouf.

 

Références

Cardin, Élisabeth, le Temps des récoltes. Cultiver le territoire, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 19, 2021, 73 p. Ill.

Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.

Jean, Michel, Kukum, Montréal, Libre expression 2019, 222 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Le zeugme du dimanche matin et de Caroline Mineau

Caroline Mineau, Habiter une cage ouverte, 2023, couverture

«De même, apprenant que les gens qui ont de bonnes relations avec les autres tendent à vivre plus longtemps et à être plus satisfaits de leur vie, une personne introvertie jugera peut-être qu’elle aurait avantage à fournir un effort de sociabilité, en s’aidant au besoin d’un·e psychologue possédant, par sa fine compréhension du fonctionnement des rouages de l’esprit humain, certaines clés pour la sortir de son armure ou, carrément, de son appartement.»

Caroline L. Mineau, Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p., p. 33.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Découverte lexicale du jour

Caroline Mineau, Habiter une cage ouverte, 2023, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de l’essai Habiter une cage ouverte, de Caroline L. Mineau (2023) :

Aiguillonnés par «l’espoir d’acquérir et la crainte de perdre» [Tocqueville] en raison du spectacle constamment renouvelé de ceux et celles qui montent ou qui, au contraire, dégringolent brutalement l’échelle sociale, ils s’agitent continuellement sur place, essayant par tous les moyens d’ajouter une acre à leur champ ou d’impressionner le voisinage en ornant leur demeure de belles colonnes de faux marbre, voisinage qui se verra dans l’obligation de faire de même pour ne pas être en reste, et ainsi de suite, phénomène qu’on observe encore aujourd’hui et qu’on désigne par l’expression «voisins gonflables» (p. 53).

L’Oreille tendue doit l’avouer : elle ne connaissait pas ces voisins gonflables. Ils ne datent pourtant pas d’hier.

Le Wiktionnaire en donne les définitions suivantes : «Cette expression exprime l’idée qu’une personne du voisinage souhaite démontrer qu’elle peut faire mieux que les autres personnes demeurant à proximité, probablement à l’image de la grenouille qui veut être plus grosse que le bœuf»; «Personne nourrissant une escalade de ses désirs en fonction des possessions de son voisinage.» L’exemple retenu est de 2017.

L’Oreille se couchera moins niaiseuse.

 

Référence

Mineau, Caroline L., Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p. Ill.

Chromatisme véhiculaire

Autobus scolaire québécois

Soit la phrase suivante, tirée de l’essai Habiter une cage ouverte, de Caroline L. Mineau (2023) :

C’était donc très pratique pour [mes parents] que leur grande fille parte seule pour l’école le matin. C’était très normal, aussi, à cette époque : à peu près tous les enfants le faisaient, sauf ceux qui, habitant trop loin, prenaient l’autobus jaune.

Pour n’importe quel locuteur du Québec, ce moyen de locomotion, l’autobus jaune, va de soi : c’est un autobus scolaire. Tout le monde sait ça.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous croisons la route de l’autobus; voir ici.

 

[Complément du 17 juin 2023]

Exemple romanesque, lui aussi récent (2023), dans la Maison de mon père, d’Akos Verboczy :

Après mon arrivée à Montréal, je repensais souvent à ces vingt minutes perdues quotidiennement durant toutes ces années. J’ai eu le temps de les compter et de les recompter, sur le chemin du retour de l’école, dans le brouhaha des langues incompréhensibles, assis sur la banquette de l’autobus jaune qui me déposait chaque après-midi — à seize heures vingt-cinq pile — devant notre joli duplex de l’avenue Victoria (p. 53-54).

 

Références

Mineau, Caroline L., Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p. Ill.

Verboczy, Akos, la Maison de mon père. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 327 p.

In memoriam. François Hébert (1946-2023)

François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004

«Tout m’intéresse, me fait signe»,
Frank va parler

Le 28 mai, l’Oreille tendue mettait en ligne quelques zeugmes tirés du roman Frank va parler de François Hébert.

Ce roman, comme ses autres romans et récits et ses recueils de poésie, ne correspond guère à ce que l’on attend en matière de création. C’est joyeux, inattendu, libre, irrévérencieux, pas sérieux, assez broche à foin, du moins en apparence. Ce texte se passe dans une pyramide il y a plusieurs siècles, dans des bars de danseuses, dans une maison jaune à Saint-Lambert, dans un condo à Rosemont, sur la plateforme Zoom. C’est, entre autres choses, une réflexion sur l’amour, le temps qui passe (ou pas), la littérature et la mort.

À la pagne 179 se trouve une liste de morts : amis, collègues ou proches. Tout au long de Frank va parler, le romancier revient aussi sur la mort de ses parents, comme il le faisait au sujet d’eux et de sa sœur dans le recueil Des conditions s’appliquent (2019). Il faudra maintenant ajouter le nom de François Hébert à ces tombeaux : il est mort ce mardi.

Il avait été, il y a quelques décennies, le professeur de l’Oreille tendue dans un cours de poésie québécoise (quelles cravates !), puis ils étaient devenus collègues («Le comité va tout mettre ça dans un vrac»). Appelé à se définir, plutôt qu’«universitaire», il se disait «critique littéraire» (De Mumbai à Madurai, p. 24, p. 29, p. 40). Il créait des «assemblages», faits de matériaux rassemblés de-ci de-là : il y en a un en couverture du livre de l’Oreille intitulé Écrire au pape et au Père Noël (2011). Il citait volontiers Gaston Miron et Tintin. Il avait parcouru le monde, mais il aimait Montréal (Montréal, 1989; Signé Montréal, 2010) et la nature québécoise («Quand t’achètes un terrain, c’est la première acre qui coûte le plus cher»). François Hébert était le poète québécois que lisait le plus régulièrement l’Oreille : cela doit vouloir dire quelque chose, sur lui, sur elle. Il est cité une cinquantaine de fois ici : voir, par exemple, ceci, sur les gougounes, ou cela, sur un roman à clés.

Pas plus tard que lundi dernier, l’Oreille tendue écrivait à François au sujet d’un passage de Frank va parler. Ce courriel restera sans réponse.

 

Illustration : François Hébert, «Michel Beaulieu», assemblage, 2004

 

Références

Hébert, François, Montréal, Seyssel, Champ vallon, coll. «Des villes», 24, 1989, 103 p.

Hébert, François, De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p. Ill.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p., p. 45.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.

Signé Montréal, Montréal, Pointe-à-Callière. Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, 2010, 159 p. Ill. François Hébert : auteur. Moment Factory : visuels. Avec la collaboration de Sylvie Dufresne, Paul-André Linteau et Raymond Montpetit. Existe aussi en version anglaise.