Accouplements 124

David Turgeon, À propos du style de Genette, 2018, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Turgeon, David, À propos du style de Genette. Essai, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 122, 2018, 223 p.

«Les multiples réseaux de prolepses et d’analepses chers à Genette […] nous ont fait entrevoir une propension de l’auteur à tisser des ponts d’un endroit à l’autre de ses livres, et même d’un livre à un autre, provoquant des effets narratifs qui dépassent le simple balisage rhétorique […] pour dessiner au fil du texte quelque chose comme un récit, voire, lançons le mot, une intrigue.

De même, la configuration de la phrase genettienne, sa ponctuation surtout, dessine pour nous le récit d’une pensée, laisse entendre que l’activité théorique, quand elle ne se contente pas de ressasser le déjà connu, est quelque chose qui ressemble, lançons ce mot-là aussi, à une aventure» (p. 103).

Belleau, André, «Petite essayistique», Liberté, 150 (25, 6), décembre 1983, p. 7-10; repris dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 7-9; repris dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 85-89; repris dans Lise Gauvin et Gaston Miron (édit.), Écrivains contemporains du Québec depuis 1950, Paris, Seghers, 1989, p. 72-73; repris dans Marie Malo, Guide de la communication écrite au cégep, à l’université et en entreprise, Montréal, Québec/Amérique, 1996, p. 269-270; repris dans Jean-François Chassay (édit.), Anthologie de l’essai au Québec depuis la Révolution tranquille, Montréal, Boréal, 2003, p. 205-208; repris dans François Dumont (édit.), Approches de l’essai. Anthologie, Québec, Nota bene, coll. «Visées critiques», 2003, p. 159-163; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 182-187; repris dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 83-87. https://id.erudit.org/iderudit/30652ac

«Il y a dans l’essai une histoire, je dirais même une intrigue, au sens que l’on donne à ces mots quand on parle de l’histoire ou de l’intrigue d’un roman et d’une nouvelle. Ce qui déclenche l’activité de l’essayiste, ce sont tantôt des événements culturels, tantôt des idées émergeant dans le champ de la culture. Mais pour qu’ils puissent entrer dans l’espace transformant d’une écriture, il faut que ces idées et événements soient comme entraînés dans une espèce de mouvement qui comporte des lancées, des barrages, des issues, des divisions, des bifurcations, des attractions et répulsions. Voilà qu’ils se conduisent au fond tels les personnages de la fiction et qu’ils nourrissent entre eux des rapports amoureux, de haine, d’opposition, d’aide, etc. Il se produit une réelle dramatisation du monde culturel et je parierais qu’à la fin, il existe des idées gagnantes et des idées perdantes» (éd. de 1983, p. 8).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté À propos du style de Genette le 9 novembre 2018.

Ne vous compliquez pas la vie

Jonathan Livernois, la Route du Pays-Brûlé, 2016, couverture

Autrement dit : ne vous bâdrez pas de ceci ou de cela, ne vous laissez pas encombrer, importuner, embêter, déranger, embarrasser, fatiguer, ennuyer, gêner.

Exemples :

«Certes, ces mêmes étudiants sont fiers d’être ce qu’ils sont, fiers de leur culture québécoise, aussi, mais ça s’arrête là. Leurs communautés sont éparses et riches. Pourquoi se bâdrer d’un pays infirme ?» (la Route du Pays-Brûlé, p. 65)

«Je pense que c’est à notre tour maintenant de trouver une façon d’aller chercher de l’inspiration pour se renouveler hors des sentiers battus — en évitant de se badrer de considérations partisanes» (blogue).

Ephrem Desjardins propose une définition du verbe et une origine : «Bâdrer : déranger, embêter. “As-tu fini de m’bâdrer avec tes histoires ?”. Or. : de l’anglais to bother, déranger» (Petit lexique […], p. 32-33).

La Base de données lexicographiques panfrancophone, qui les trouve «familiers» ou «vieillis», et Léandre Bergeron connaissent une série de mots associés :

bâdrage («Action de bâdrer; ce qui en résulte»),

bâdrant, ante («(En parlant d’un être animé). Qui dérange, importune par sa présence, son comportement, ses propos»; «(En parlant de qqch.). Qui cause du désagrément, de la contrariété, du souci, de la gêne»; «Ennuyeux, importun»),

bâdré, ée («Ennuyé, gêné, contrarié»),

bâdrement («Chose qui dérange, ennuie, tracasse»),

bâdrerie («Chose qui dérange, ennuie, tracasse»; «Ennui, tracas, souci, contrariété, embarras, dérangement»),

bâdreux, euse («(Personne) qui dérange, importune par sa présence, son comportement, ses propos»; «Ennuyeux, importun, fatigant, bâdrant (en parlant d’une personne)» — mais aussi «Homme habile, capable, extraordinaire»; «Capable de choses peu ordinaires»).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Livernois, Jonathan, la Route du Pays-Brûlé. Archéologie et reconstruction du patriotisme québécois, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 09, 2016, 76 p. Photographies de Justine Latour.

Citation (en quelque sorte) religieuse du jour

Marcel Rioux, les Québécois, 1974, couverture

«Les Québécois doivent détenir une espèce de prix international dans le domaine du jurement. Certains anthropologues y verraient probablement une illustration de l’ambivalence du sacré. Depuis toujours, ce spécimen d’humanité a appris à nommer les choses sacrées et à les considérer comme les plus importantes de sa vie terrestre et éternelle. Elles représentent une espèce de summum indépassable. Quand il est à l’Église ou qu’il récite ses prières, ces mots sacrés qu’il entend ou prononce sont revêtus d’une aura religieuse. Quand, dans sa vie profane, il voudra exprimer une émotion forte, les mots sacrés se présenteront presque naturellement à lui. Son vocabulaire étant souvent limité, le mot sacré exprimera un superlatif. “C’est beau en Christ”, «Baptême que cette fille-là est bien faite”. Parlant de quelqu’un qui est en colère, il dira qu’“il est en hostie”. Ce n’est que lorsqu’il se fâchera lui-même, que tout ira mal, que le Québécois injuriera le ciel et qu’il “sortira tout ce qu’il y a dans l’église et dans les cieux”. Sa faculté d’invention ne connaît alors plus de bornes. Commençant par les “hosties carreautées” et passant par les “tabernacles de tôle” il ira jusqu’à “chier sur les quatre poteaux du ciel”. Tous les saints du ciel — il en invente au besoin — et la Sainte Vierge en particulier, en prendront pour leur grade.»

Marcel Rioux, les Québécois, Paris, Seuil, coll. «Microcosme. Le temps qui court», 1974, 188 p., p. 46.

Accouplements 122

Marcel Rioux, les Québécois, 1974, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Avancer en arrière ou reculer en avant ? D’un Rioux l’autre.

Rioux, Marcel, les Québécois, Paris, Seuil, coll. «Microcosme. Le temps qui court», 1974, 188 p. Ill.

«En y regardant bien, on se rend vite compte que le Québécois est peut-être moins fait pour la production que pour la communication. C’est d’ailleurs en cela qu’à force d’être retardataire, il devient aujourd’hui d’avant-garde car la société contemporaine commence à valoriser davantage les contacts entre les individus que leur productivité» (p. 61).

Rioux, Christian, «Vu de loin», le Devoir, 5 octobre 2018, p. A3.

«Pourtant, de la Hongrie au Royaume-Uni, en passant par les États-Unis, l’identité est redevenue la grande question de l’heure. Comme si, à force d’avoir été en avance, le Québec se retrouvait aujourd’hui à la traîne.»

Trente-sixième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

David Turgeon, À propos du style de Genette, 2018, couverture

Épanadiplose

Définition

«Lorsque, de deux propositions corrélatives, l’une commence et l’autre finit par le même mot. […] Les épanadiploses ont un effet de soulignement, voire de ressassement» (Gradus, éd. de 1980, p. 187).

Exemple

«L’aventure de la pensée fait parfois le meilleur des romans d’aventures» (À propos du style de Gérard Genette, quatrième de couverture, incipit).

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Turgeon, David, À propos du style de Genette. Essai, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 122, 2018, 223 p.