Accouplements 122

Marcel Rioux, les Québécois, 1974, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Avancer en arrière ou reculer en avant ? D’un Rioux l’autre.

Rioux, Marcel, les Québécois, Paris, Seuil, coll. «Microcosme. Le temps qui court», 1974, 188 p. Ill.

«En y regardant bien, on se rend vite compte que le Québécois est peut-être moins fait pour la production que pour la communication. C’est d’ailleurs en cela qu’à force d’être retardataire, il devient aujourd’hui d’avant-garde car la société contemporaine commence à valoriser davantage les contacts entre les individus que leur productivité» (p. 61).

Rioux, Christian, «Vu de loin», le Devoir, 5 octobre 2018, p. A3.

«Pourtant, de la Hongrie au Royaume-Uni, en passant par les États-Unis, l’identité est redevenue la grande question de l’heure. Comme si, à force d’avoir été en avance, le Québec se retrouvait aujourd’hui à la traîne.»

Trente-sixième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

David Turgeon, À propos du style de Genette, 2018, couverture

Épanadiplose

Définition

«Lorsque, de deux propositions corrélatives, l’une commence et l’autre finit par le même mot. […] Les épanadiploses ont un effet de soulignement, voire de ressassement» (Gradus, éd. de 1980, p. 187).

Exemple

«L’aventure de la pensée fait parfois le meilleur des romans d’aventures» (À propos du style de Gérard Genette, quatrième de couverture, incipit).

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Turgeon, David, À propos du style de Genette. Essai, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 122, 2018, 223 p.

L’étable lexicale

Bœuf, gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

Les amateurs de hockey connaissent le joueur réputé pour sa taille et son poids : «Un autre bœuf de l’Ouest devient le premier choix de l’organisation» (le Journal de Montréal, 15 septembre 2018). Oui, c’est de la langue de puck.

Ceux de football savent que, dans certaines situations de course, il vaut mieux mettre «du bœuf» sur la ligne offensive. Peu importe sa provenance, semble-t-il : taille et poids suffisent.

Il y a ces bœufs sportifs. Il y a aussi les beus des forces de l’ordre : «On a eu une maudite armée de bœufs sur le dos et tout ce que je sais, c’est qu’on s’est retrouvés menottés, Lewis et moi, et jetés à l’arrière d’une voiture de police» (Hockey de rue, p. 71). Ce beu-là est donc un poulet.

Le beu peut aussi être automobile : «J’ai été impressionné par les montagnes Rocheuses et les interminables cols que la pauvre Coccinelle traversait de peine et de misère sur son petit “beu” […]» (les Yeux tristes de mon camion, p. 40). Explication d’Ephrem Desjardins : «Sur un véhicule à transmission automatique, vitesse la plus basse ou 1re vitesse» (Petit lexique […], p. 46).

Qui a une face de bœuf n’inspire guère la sympathie : «Nos récits, nos photos refouleront les seuils qu’il aura fallu passer, les étapes indistinctes, le piétinement, les battements du cœur, les faces de bœufs des fonctionnaires, le contact visuel avec des inconnus, les accès de découragement» (Montréal-Mirabel, p. 70-71).

Cette face de bœuf peut aussi bien être un air de bœuf : «Albertine arbore son air de beu habituel […]» (la Grande Mêlée, p. 816).

Au cours du débat électoral tenu à Montréal la semaine dernière, une citoyenne a posé une question d’un ton bourru. Elle n’a pas été convaincue par les réponses qu’on lui a données («Pas tellement») et elle n’a pas regretté son expression faciale.

«Face de boeuf», tweet de Les Perreaux, 14 septembre 2018

En revanche, de beu, pour caractériser la bravade, peut avoir valeur positive : «Au milieu de l’étonnement et de l’horreur qu’il a lus sur le visage du soldat, Édouard a cru deviner une espèce de respect, d’admiration peut-être, devant son front de beu, sa provocation. Son courage. Tenir tête, c’est le secret de tout ! Et la tenir haute !» (la Traversée du malheur, p. 1279)

Tant de bœufs, si peu de jours.

 

Illustration : gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Grande Mêlée, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 659-836. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Le beurre est de l’air

Jonathan Livernois, la Route du Pays-Brûlé, 2016, couverture

Soit la parenthèse suivante, tirée de la Route du Pays-Brûlé, de Jonathan Livernois (2016) : «(pour rien, dans le beurre)» (p. 26).

Explication du Petit Robert (édition numérique de 2014) : «(Canada) LOC. FAM. Passer, frapper dans le beurre, à côté de la cible, manquer son coup.»

L’expression est souvent utilisée au baseball / au hockey, quand un joueur est incapable de frapper la balle / la rondelle. Les commentateurs sportifs lui préfèrent cependant fendre l’air, d’un registre réputé moins familier.

Cela laisse évidemment une question ouverte : qu’arrive-t-il à l’air fendu ?

 

[Complément du 13 décembre 2020]

S’élancer au baseball, c’est swigner. S’élancer dans le beurre ? «Pendant que les autres murmuraient, je regardais intensément la fille lancer, et mes coéquipières swigner dans le beurre, intensément concentrée» (Ouvrir son cœur, p. 90).

 

Références

Livernois, Jonathan, la Route du Pays-Brûlé. Archéologie et reconstruction du patriotisme québécois, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 09, 2016, 76 p. Photographies de Justine Latour.

Morin, Alexie, Ouvrir son cœur. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 29, 2020, 343 p. Édition originale : 2018.