Le fumeur musical expérimenté

Publicité des cigarettes Buckingham avec le joueur de hockey Pit Lépine, la Presse, 11 février 1928

Dans la Presse+ d’hier, cette phrase : «Vivre avec une étiquette. Jonathan Sénécal connaît le tabac.» (Sénécal joue au football pour les Carabins de l’Université de Montréal.)

Au Québec, qui connaît le tabac est réputé avoir de l’expérience et tirer des leçons de celle-ci.

Autre exemple, chez Michel Tremblay : «C’est alors que Santuzza fit son entrée. Vêtue, elle, de noir, des pieds à la tête. La special guest connaissait le tabac !» (p. 84)

On l’aura compris : ce tabac est de même nature que la musique dans connaître la musique.

 

Référence

Tremblay, Michel, Offrandes musicales. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2021, 165 p.

Il y a zigner et zigner

Le meilleur ami de l’homme
Le meilleur ami de l’homme

L’Oreille tendue vit dans une maison quasi centenaire. Au moment d’y emménager, elle s’est ouverte à son électricien favori d’un souci : l’intensité des appareils d’éclairage variait considérablement dans certaines pièces. «Les lumières zignent ? Je vais vous arranger ça.» Il le fit, au grand plaisir d’une maisonnée qui retrouva ses lumières chéries.

Ce n’est pas à ce sens du verbe zigner que pensait le critique de cinéma Marc Cassivi dans un article récent, quand il écrivait ceci : «Et la scène finale (avertissement au divulgâcheur) met en scène un chien incontinent qui zigne un pingouin sans défense. Vous avez bien lu.»

L’Oreille doit l’avouer : elle ne savait pas qu’il était possible de zigner un animal. Le Wiktionnaire est venu — Dieu merci — à sa rescousse : «Simuler l’accouplement, en parlant d’un animal, plus précisément un chien.» L’Oreille vous laisse aller apprécier les exemples; disons qu’ils ne correspondent pas tous à la définition donnée.

Avec son habituel sens de l’approximation, Léandre Bergeron propose deux fois une définition du verbe. En 1980 : «Se masturber» (p. 525). En 1981 : «Action de va-et-vient du bassin du mâle dans l’acte copulatoire. Ex. : Ton chien arrête pas de me zigner contre la jambe» (p. 168).

À votre service.

P.-S.—On ne confondra pas un chien qui zigne et fucker le chien.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Langue de balle. Sixième manche

Ozzie Smith préparant un double jeu

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Sixième texte d’une série.)

Les lanceurs et les frappeurs s’affrontent, certes, mais ils ne sont pas seuls sur le losange et au champ extérieur; des joueurs en défensive sont là, à attendre le moment d’intervenir.

Les voltigeurs patrouillent le champ extérieur. Ils sont trois, à gauche, au centre et à droite. En français populaire du Québec, on dira volontiers qu’on joue à la vache pour désigner cette partie du terrain, située entre la clôture, elle-même annoncée par une piste d’avertissement, et le champ intérieur ou avant-champ.

Les voltigeurs de centre ont souvent beaucoup de terrain à couvrir; voilà pourquoi ce sont des marchands de vitesse. Pour des raisons assez peu claires, c’est au champ gauche que naîtraient les idées les plus inattendues. Pendant longtemps — l’Oreille tendue n’est pas allée vérifier récemment —, les voltigeurs de droite avaient assez mauvaise réputation; ce n’était pas toujours les meilleurs éléments en défensive de l’équipe.

Qu’attend-on de ces joueurs ? Qu’ils jugent bien les balles, qu’ils fassent de bons relais — ce qui exige d’avoir un bon bras —, qu’ils ne ratent pas l’intercepteur (quand il y a des coureurs sur les sentiers), qu’il coupent le coureur sur un but ou au marbre (ce qui n’est pas très fréquent). On félicitera un joueur qui plonge pour attraper une balle basse pour son vol au sol. Les attrapés ou catchs les plus difficiles sont ceux que l’on fait dos au marbre.

À l’avant-champ, on trouve de gauche à droite, du point du vue du frappeur, le troisième but, l’arrêt-court, le deuxième but et le premier but. Au Québec, le but peut-être un coussin; en France, une base. On appelle parfois l’arrêt-court, au Québec, l’inter; on peut même, à l’occasion, le dire diminutif. Sur l’échelle de la valeur défensive, le joueur de premier but est l’équivalent du voltigeur de droite : indispensable, mais ce ne sont pas toujours les meilleurs athlètes. (Il a été question du receveur .)

Les doubles jeux sont l’ami des lanceurs : faire d’une pierre deux retraits. Certains sont automatiques; d’autres demandent plus d’efforts pour réussir à bien les tourner. Meilleur encore, mais beaucoup plus rare, il y a le triple jeu : le triple retrait vaut bien sûr mieux que le double. Dans le doute, il est plus sûr de s’abstenir : un retrait sûr, sur un choix de l’intérieur, c’est un retrait; ce n’est pas à dédaigner.

Dans la mesure du possible, les joueurs en défensive devraient éviter de jongler avec la balle ou de l’attraper du bout du gant; cela pourrait donner des sueurs froides à leur entraîneur, voire mener à une erreur. Ils sont appelés à capter des ballons, des chandelles ou des flèches, mais aussi à intercepter, saisir ou gober des roulants, ces balles que l’abbé Étienne Blanchard a suggéré de nommer des lapins et la Société du parler français, des coups rasants. Sur leur revers, c’est un peu plus compliqué, surtout si la balle fait un bond capricieux ou si elle a des yeux. Ils doivent réagir rapidement, que la balle soit en jeu ou dans le territoire des fausses balles. Si, par extraordinaire, ils volent un coup sûr, un double, un triple ou un circuit, on les louange (à juste titre). Les joueurs retirés par leurs bons offices constituent des retraits; on Québec, on les dit morts. Chaque année, les meilleurs joueurs défensifs reçoivent un gant doré.

Les stratégies varient selon le nombre de coureurs et leur position. On ne joue pas de la même façon avec des coureurs aux extrémités (le premier et le troisième but), les buts remplis, les sentiers déserts, etc. Les entraîneurs conservateurs jouent le livre; ils fondent leurs décisions sur la tradition que ce livre (imaginaire) contiendrait.

De la même façon qu’il y des civilisations de l’oral, il y a des sports du livre.

 

Illustration : Ozzie Smith préparant un double jeu