L’oreille tendue de… Jean-Christophe Réhel

Jean-Christophe Réhel, «Les ciseaux près des yeux», 2025, illustration

«Depuis, je vis à la goutte près. J’ai développé une oreille fine : je reconnais le son d’un robinet mal fermé à travers deux murs et une porte. Je tends l’oreille avant de me coucher, juste pour être certain qu’aucune fuite ne siffle quelque part dans la tuyauterie. Je rêve parfois que je marche dans un désert de porcelaine, entouré de lavabos vides et de douches desséchées. Je me réveille la gorge sèche, et je me verse un fond d’eau tiède, comme un alcoolique qui rationne son dernier verre. Prendre une douche pendant que quelqu’un rince une assiette, c’est devenu de la pure folie. Je chronomètre mes douches : trois minutes trente, pas plus. Les cheveux restent parfois pleins de savon, mais au moins, la pompe ne rugit plus. J’ai appris à aimer le bruit du silence. Le bruit de ne pas manquer d’eau.»

Jean-Christophe Réhel, «Les ciseaux près des yeux», le Devoir, le D magazine, «Le feuilleton de Jean-Christophe», 22-23 novembre 2025, p. 29.

Accouplements 270

Jean-François Chassay, la Forme d’une ville, le cœur d’une littérature, 2025, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Gendreau, Vickie, Testament. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 60, 2012, 156 p.

«Dans la marée étudiante en révolte, il n’y a pas de pancartes avec des fautes» (p. 32).

Biz, la Chaleur des mammifères, Montréal, Leméac, 2017, 160 p.

«C’est vrai qu’ils écrivent bien. Y a même pas de fautes sur leurs pancartes» (p. 132).

 

P.-S.—L’Oreille tendue emprunte cet accouplement au plus récent livre de son ami Jean-François Chassay, la Forme d’une ville, le cœur d’une littérature (2025, p. 97 et p. 101-102).

P.-P.-S.—Les pancartes dont il est question sont celles des manifestations étudiantes de 2012. L’Oreille en a rassemblé quelques exemples ici et elle en a causé .

 

Référence

Chassay, Jean-François, la Forme d’une ville, le cœur d’une littérature, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2025, 219 p.

L’oreille tendue de… Mauricio Segura

Maurice Segura, les Amandiers en fleurs, 2025, couverture

«À voix basse, ce qui m’oblige à tendre l’oreille, elle me raconte que pendant la dictature, au deuxième étage de ce lieu, à l’insu même des commerçants autour, des militaires torturaient à leur guise, de jour comme de nuit, sans que personne en sache rien, et qu’aujourd’hui encore aucune plaque n’en fait mention.»

Maurice Segura, les Amandiers en fleurs. Roman, Montréal, Boréal, 2025, 193 p., p. 38-39.

Des histoires de famille

Victor-Lévy Beaulieu, Ma Chine à moi, 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du livre Ma chine à moi (2021), du Québécois Victor-Lévy Beaulieu : «ça sent le roussi, ça sent le lard de cochon oublié sur le rond d’un poêle à bois parti en peur par temps de verglas, ça sent le grand-père gardé trop longtemps dans son brûlant sirop d’érable» (p. 98).

Évoquant ce «grand-père», l’auteur des Grands-pères (1971) parle-t-il d’un aïeul ? Non, ainsi que le rappelle utilement le dictionnaire numérique Usito : le grand-père, en cuisine québécoise, est un «Dessert constitué d’une boule de pâte cuite dans un liquide bouillant (eau, sirop d’érable, bouillon, etc.).»

À votre service.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 10 novembre 2025.

 

Référence

Beaulieu, Victor-Lévy, Ma Chine à moi. Candiderie, Paroisse Notre-Dame des Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2021, 306 p. Ill.

Accouplements 269

Annotation par Gilles Marcotte d’un ouvrage de Jean Marcel

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pourquoi Hector Fabre rassemble-t-il ses Chroniques en 1877 ?

Notre littérature est en pleine floraison. Chaque saison voit naître un ouvrage nouveau, prose ou vers. Autour de moi. mes confrères se relisent, se recueillent et font réimprimer leurs écrits. Qu’est-ce à dire ? Il y a donc des lecteurs au Canada, et même des acheteurs ? L’abonné fidèle nous suivrait du journal jusqu’au livre ! Je me pique d’émulation et je veux comme les autres en tenter l’épreuve. Aussi bien mes amis m’y invitent, et, en refusant de me rendre à leurs instances, j’aurais l’air de douter d’eux, autant pour le moins que de moi-même (éd. de 2007, p. 9).

Pourquoi Jean Marcel publie-t-il en 1992 ses Pensées, passions et proses ?

À force d’insistance, l’amitié bienveillante de certains a eu raison de ma réticence à réunir en recueil les textes qu’on va lire (p. 9).

Qu’est-ce qui unit ces deux déclarations de joug amical ?

En 2007, Gilles Marcotte a réédité les Chroniques de Fabre. Vers 1995, le même Marcotte avait offert à l’Oreille tendue son exemplaire du recueil de Jean Marcel et lui avait dit, sourire en coin, que ses amis à lui n’étaient pas aussi insistants. Il avait aussi annoté son exemplaire.

 

Références

Fabre, Hector, Chroniques, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact classique», 189, 2007, 302 p. Postface, chronologie et bibliographie de Gilles Marcotte.

Marcel, Jean, Pensées, passions et proses. Essais, Montréal, L’Hexagone, coll. «Essais littéraires», 13, 1992, 399 p.