Pure laine

Alain Farah, Mille secrets mille dangers, 2021, couverture

«On a une liste d’attente de vingt-six
familles monoparentales québécoises pure laine.»
Danielle Phaneuf, la Folle de Warshaw, 2004

Les Québécois n’ont pas peur de mêler les métaphores : les natifs sont des pure laine, donc des Québécois de souche.

En 2004, dans le Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue coproposait la définition suivante de pure laine :

Autochtone national indigène de souche. […] 1. À l’origine, ne désignait que les nés natifs : «Qui croit encore qu’on peut enseigner à l’ensemble d’une génération de 12 à 17 ans, provenant d’horizons culturels multiples, dans un contexte social où les modèles sont éclatés, comme on le faisait il y a quarante ans, à une élite, dans un Québec pure laine francophone, catholique et traditionnel ?» (le Devoir, 15 mai 1999) 2. A récemment essaimé : «Je suis Outaouais pure laine, Franco-Ontarien de naissance, Écossais de 7e génération et Québécois d’adoption» (le Droit, 24 juin 2000); «La consolidation de Montréal entraînerait-elle l’uniformisation ? C’est ce que craignent bien des banlieusards, et c’est ce que je craindrais aussi, toute Montréalaise pure laine que je sois» (la Presse, 17 avril 1997); «Mais ma grand-mère, une anglo pure laine, tout comme ses frères et sœurs, ont tous et toutes épousé des francophones» (la Presse, 31 décembre 1999); «Des néo-Québécois presque pure laine» (la Presse, 24 janvier 2001); «Le McCord varlope les clichés entourant la communauté montréalaise pure laine des Écossais» (le Devoir, 18-19 octobre 2003); «Dans la grande région de Montréal, les 450 n’ont pas eu très bonne presse et l’auteur de ces lignes, 418 pure laine, y a probablement contribué et s’en excuse platement» (la Presse, 20 novembre 2003) (p. 175-176).

Plusieurs années plus tard, l’Oreille retrouve l’expression, mais dépaysée, dans le récent Mille secrets mille dangers, d’Alain Farah (2021) : «Même s’il fait chaud sur les berges du Nil, peut-on qualifier les vrais Égyptiens de pure laine ?» (p. 23) Question subsidiaire : peut-on les qualifier de souches ?

 

[Complément du 2 janvier 2022]

Au Québec, une sandale de plage, ou tong, est une gougoune. Le même mot désigne les pantoufles. Celles-ci peuvent être, entre autres matières, en laine ou en Phentex. Voilà pourquoi le Devoir peut écrire ceci : «[Il] connaît Montréal mieux que plusieurs autochtones pur Phentex» (5 décembre 2003).

 

Références

Farah, Alain, Mille secrets mille dangers. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 161, 2021, 497 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Phaneuf, Danielle, la Folle de Warshaw. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 193 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Divergences transatlantiques 067

Il existe toutes sortes de façons de se faire bronzer. En France, on distingue, notamment, le bronzage intégral du bronzage agricole. L’agricole est caractérisé par la démarcation entre ce qui a vu le soleil et ce qui ne l’a pas vu. Lu sur un forum de WordReference.com : «C’est une expression familière qui veut dire que l’on est bronzé que sur les bras (jusqu’à l’épaule) et la nuque, mais pas sur le corps, à force de porter des débardeurs.»

Pour ce second type, on parle plus volontiers, dans le français populaire du Québec, d’avoir des manches d’habitant, l’habitant renvoyant au cultivateur, donc au domaine agricole.

À votre service.

P.-S.—Qui dit bronzer dit, bien sûr, griller.

 

[Complément du 19 octobre 2021]

Variante maskoutaine : «bronzé en habitant».

Variante saguenéenne : «griller en cultivateur».

 

[Complément du 1er août 2022]

Variante gaspésienne : «ses avant-bras bronzés en fermier» (la Bête creuse, p. 144).

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Accouplements 172

Alain Farah, Mille secrets mille dangers, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 86, 1966, 441 p. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1857.

«Je veux qu’on l’enterre dans sa robe de noces, avec des souliers blancs, une couronne. On lui étalera ses cheveux sur les épaules; trois cercueils, un de chêne, un d’acajou, un de plomb. Qu’on ne me dise rien, j’aurai de la force. On lui mettra par-dessus toute une grande pièce de velours vert. Je le veux. Faites-le» (p. 346).

Farah, Alain, Mille secrets mille dangers. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 161, 2021, 497 p.

«Trois cent mille personnes défileront du lundi au mardi matin, jusqu’à ce que l’on soit dans l’obligation d’interrompre l’hommage, pour la mise en bière. La dépouille [du frère André] est placée dans un triple cercueil de bois, de cuivre et de ciment» (p. 359).

P.-S.—Ce n’est pas la première fois qu’Alain Farah emprunte un chemin flaubertien; voir ici.

 

[Complément du 26 janvier 2022]

Ceci, encore, dans Pourquoi Bologne. Roman (Montréal, Le Quartanier, «série QR», 71, 2013, 206 p.), toujours d’Alain Farah : «Comme Emma Bovary, c’est devant la télé que j’ai vécu mes plus belles expériences» (p. 139-140); «Eh bien, vous, monsieur Farah, on peut dire que vous avez la langue bien pendue ! Sous midazolam, d’habitude, les gens se taisent ou alors nous confient des secrets. Vous, c’était un véritable cours magistral, Madame Bovay par-ci, les avant-gardes par-là, on prenait presque des notes» (p. 155).