Les rustines des Hells

Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué, éd. de 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du premier roman de Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué : «Toutes les bâtisses de Chicoutimi sont construites sur une faille patchée par du béton et de l’asphalte» (p. 191).

Cela peut être appliqué à la pompe sanguine : «mon cœur / Y est patché plein de trous», chantait Gerry Boulet, du groupe Offenbach, dans «Faut que j’me pousse» (1969).

Patché(e) ? Rapiécé(e), dans le français populaire du Québec. Le mot y est féminin : une patch.

Ce n’est pas tout. Le patch, en informatique, c’est la rustine. En médecine, un médicament. Le mot est alors masculin, du moins en français de référence. Pas au Québec, où on a surtout recours au féminin. (Oui, c’est une divergence transatlantique.)

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Qui, dans la hiérarchie des motards criminels, qu’on dit parfois parfois et bizarrement criminalisés, grimpe les échelons gagne ses patchs. Le mot est dangereux.

À votre service.

 

Référence

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Évitons les pertes

Case de la bande dessinée Séraphin contenant le mot «gaspille»

Souvenez-vous : en 2010, dans la bouche d’une serveuse, le substantif québécois populaire gaspille.

De l’oral, passons à l’écrit.

Chez Michel Tremblay : «Pas de gaspille, finis ton assiette !» (p. 1355)

Chez Kevin Lambert : «Une feuille, une seule. On s’applique parce qu’on en aura pas d’autres, on a juste une chance, pas de gaspille» (p. 13).

Chez Christophe Bernard : «Elle était belle femme, la Charline, dans la fleur de l’âge. Restée vieille fille, pensa le Paspéya. Tu parles d’un gaspille» (p. 641).

Négatif : du gaspille.

Positif : pas de gaspille.

À votre service.

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 36. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Le zeugme du dimanche matin et de Jacques Poulin

Jacques Poulin, le Cœur de la baleine bleue, 1970, couverture

«Je gravis très lentement les escaliers, en pensant au docteur Grondin. Il m’avait conseillé de déménager, et j’avais répondu que je tenais autant à voir le fleuve qu’à ma vie, que je préférais courir le risque. Il avait dit que j’avais tort, avait insisté, parlé d’échelle de valeurs; par un jeu de mots grossier, avec échelle et escalier, je lui avais arraché un sourire et son consentement.»

Jacques Poulin, le Cœur de la baleine bleue. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Les romanciers du jour», 66, 1970, 200 p., p. 66.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Souvenirs livresques de 2024

Cactus du Collège Notre-Dame, trophée Baquet, 2014

En 2024, l’Oreille tendue a lu environ 110 livres. Ci-dessous, en lieu et place d’un véritable palmarès, quelques excellents souvenirs, dans le désordre.

Catégorie «Romans»

Les Sentiers de neige, de Kev Lambert.

Catégorie «Premiers romans»

D’abord et avant tout C’est ton carnage, Simone, de Chloë Rolland.

Puis, un peu plus loin, Amiante, de Sébastien Dulude.

(Ce que je sais de toi, d’Éric Chacour, n’a même pas rasé être sélectionné.)

Catégorie «Romans américains»

Crook Manifesto, de Colson Whitehead.

In the Distance, d’Hernan Diaz.

Catégorie «Essais»

Les Têtes réduites, de Jean-François Nadeau (transparence totale, comme on dit à la Presse+ : l’Oreille tendue est citée et remerciée dans le livre).

Cécile et Marx, de Michel Lacroix, devant un autre récit de transfuge de classe, Rue Duplessis, de Jean-Philippe Pleau (nouveau cas de transparence totale : Michel Lacroix et l’Oreille se connaissent depuis des lustres, et le premier cause de la seconde dans son livre).

Insécurité linguistique dans la francophonie, d’Annette Boudreau (compte rendu).

Eloge du bug, de Marcello Vitali-Rosati (troisième cas de transparence totale : l’Oreille et Marcello sont potes) (compte rendu).

Hors Jeu, de Florence-Agathe Dubé-Moreau.

Les Filles de Jeanne, d’Andrée Lévesque.

Marie-Louise et les petits Chinois d’Afrique, de Catherine Larochelle (compte rendu).

Catégorie «Curiosités érudites»

L’Œil de l’ermite, de Claude La Charité (vous verriez un quatrième cas de transparence totale que vous ne seriez pas loin de la vérité).

Catégorie «Relectures»

Notre Rabelais, d’André Belleau.

L’An deux mille quatre cent quarante, de Louis Sébastien Mercier (d’où ceci).

Catégorie «Glauque de chez glauque»

Toutes les œuvres rassemblées dans Pedigree et autres romans, de Georges Simenon.

P.-S.—Peu de catastrophes dans les lectures de cette année, sauf Can’t We Be Friends, de Denny S. Bryce et Eliza Knight.

 

Références

Belleau, André, Notre Rabelais, Montréal, Boréal, 1990, 177 p. «Présentation» de Diane Desrosiers et François Ricard.

Boudreau, Annette, Insécurité linguistique dans la francophonie, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, coll. «101», 2023, vii/76 p.

Bryce, Denny S. et Eliza Knight, Can’t We Be Friends. A Novel of Ella Fitzgerald and Marilyn Monroe, New York, William Morrow, 2024, 374 p.

Chacour, Éric, Ce que je sais de toi, Québec, Alto, 2023, 296 p.

Diaz, Hernan, In the Distance, Riverhead Books, 2024, 256 p.

Dubé-Moreau, Florence-Agathe, Hors Jeu. Chronique culturelle et féministe sur l’industrie du sport professionnel, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2023, 235 p. Ill.

Dulude, Sébastien, Amiante, Saguenay, La Peuplade, 2024, 209 p. Ill.

La Charité, Claude, l’Œil de l’ermite. Fiction en pièces détachées, Longueuil, L’instant même, 2023, 237 p. Ill.

Lacroix, Michel, Cécile et Marx. Héritages de liens et de luttes, Montréal, Varia, coll. «Proses de combat», 2024, 239 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Larochelle, Catherine, Marie-Louise et les petits Chinois d’Afrique, Montréal, Mémoire d’encrier, coll. «Cadastres», 2024, 144 p.

Lévesque, Andrée, les Filles de Jeanne. Histoires de vies anonymes, 1658-1915, Montréal, Édition du remue-ménage, 2024, 246 p. Ill.

Mercier, Louis Sébastien, l’An deux mille quatre cent quarante. Rêve s’il en fut jamais, Bordeaux, Ducros, 1971, 426 p. Édition, introduction et notes par Raymond Trousson. Édition originale : 1770-1771.

Nadeau, Jean-François, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p.

Pleau, Jean-Philippe, Rue Duplessis. Ma petite noirceur. Roman (mettons), Montréal, Lux éditeur, 2024, 323 p. Ill.

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.

Simenon, Georges, Pedigree et autres romans, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 553, 2009, xl/1699 p. Édition établie par Jacques Dubois et Benoît Denis.

Vitali-Rosati, Marcello, Éloge du bug. Être libre à l’époque du numérique, Paris, Éditions Zones, 2024, 208 p. PapierHTMLPDF

Whitehead, Colson, Crook Manifesto. A Novel, New York, Doubleday, 2023, 319 p.