Lectures du troisième tour

The New Yorker, 8 février 1958, couverture

«Les Canadiens encore champions
Pis les Rangers en dernier»
Les Jérolas, «La chanson du hockey», 1960

Troisième match ce soir de la finale d’association — celle de l’est — entre les Canadiens de Montréal et les Rangers de New York — c’est du hockey. Que lire qui concerne les deux organisations ?

Il faut commencer par le récit, signé William Faulkner, de son premier match de hockey, au Madison Square Garden, entre le Bleu-blanc-rouge et les Blue Shirts, en 1955, à la demande de Sports Illustrated. Faulkner est frappé par la rapidité du jeu et par sa grâce, et par son insaisissable logique. De la masse des joueurs, il ne distingue que trois physionomies : Bernard Geoffrion, en garçon précoce; Edgar Laprade, en bon et élégant vétéran; Maurice Richard, le mythique ailier droit des Canadiens. Comment perçoit-il ce dernier ? Les trois joueurs sont d’abord saisis ensemble, et Faulkner souligne leur fluidité et leur vitesse : ils sont «as fluid and fast and effortless as rapier thrusts or lightning». Plus particulièrement, Richard lui apparaît «with something of the passionate glittering fatal alien quality of snakes». La passion y est («passionate»), la lumière («lightning», «glittering»), le danger («rapier thrusts»), voire la mort («fatal»). Mais il y a aussi quelque chose («something») d’étranger en Richard («alien»), et ce quelque chose fait penser aux serpents («snakes»). Il faut être un prix Nobel de littérature comme Faulkner pour enchaîner de pareils qualificatifs et arriver à une image à ce point déconcertante; il faut être un grand romancier si l’on veut se tenir à l’écart des images et des comparaisons toutes faites de la prose sportive.

Le match des étoiles de François Gravel (1996) est le roman le plus fin sur Maurice Richard. Dans ce court texte où les gloires du passé reviennent, le temps d’un match, affronter celles d’aujourd’hui, il est facile de discerner l’ex-numéro 9 : «Quiconque a déjà croisé le regard de Maurice Richard quand il est fâché sait à quel point le spectacle est impressionnant» (p. 44-45); «Ce n’était pas du feu qu’il avait dans les yeux, mais de véritables volcans en éruption» (p. 67). Ce match fantastique se déroule à New York.

Pour rester dans la littérature jeunesse, on se souviendra que les matchs de Compte à rebours à Times Square de Roy MacGregor (2000) se déroulent au Madison Square Garden.

Avant de jouer pour les Rangers de New York, Rick Nash portait les couleurs des Blue Jackets de Columbus. C’est sous cet uniforme qu’on le retrouve dans la Ballade de Nicolas Jones (2010), de Patrick Roy (non, pas le gardien de but), un roman où le hockey est très subtilement tressé au tissu narratif. Leitmotiv ? Le narrateur a «le blues de Rick Nash». (Pas les partisans des Canadiens ces jours-ci.)

Plus banalement, on peut lire des livres sur des joueurs qui ont porté les couleurs des deux équipes : Bernard Geoffrion (Geoffrion et Fischler, 1997), Doug Harvey (Brown, 2002), Guy Lafleur (Saint-Cyr, 2002; Santerre, 2009; Ouin et Pratte, 2010; Pelletier, 2013; Tremblay, 2013), Jacques Plante (O’Brien et Plante, 1972; Plante, 1996; Leonetti, 2004; Denault, 2009) et Gump Worsley (Worsley et Moriarty, 1975).

P.-S. — Le passage sur William Faulkner est repris par l’Oreille tendue de son ouvrage intitulé les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

Références

Brown, William, Doug. The Doug Harvey Story, Montréal, Véhicule Press, 2002, 288 p. Ill.

Denault, Todd, Jacques Plante. The Man who Changed the Face of Hockey, Toronto, McClelland & Stewart, 2009, 326 p. Ill. Foreword by Jean Béliveau; Jacques Plante. L’homme qui a changé la face du hockey, Montréal, Éditions de l’Homme, 2009, 448 p. Ill. Traduction de Serge Rivest, avec la collaboration de Claude Papineau et Guy Rivest. Préface de Jean Béliveau.

Faulkner, William, «An Innocent at Rinkside», Sports Illustrated, 2, 4, 24 janvier 1955, p. 14-15. Repris dans Bryant Urstadt (édit.), The Greatest Hockey Stories Ever Told. The Finest Writers on Ice, Guilfdord, The Lyons Press, 2004 et 2006, p. 121-124. Il existe une version différente de ce texte, établie sur un tapuscrit. Elle est publiée dans William Faulkner, Essays, Speeches & Public Letters, édition de James B. Meriwether, Londres, Chatto & Windus, 1967 (1965), p. 48-51 et dans Robert J. Higgs et Neil D. Isaacs (édit.), The Sporting Spirit. Athletes in Literature and Life, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1977, p. 164-166. Elle a été traduite sous le titre «Réflexions d’un profane au bord de la patinoire», dans William Faulkner, Essais, discours et lettres ouvertes, ouvrage établi par James Meriwether et traduit de l’anglais par J. et L. Bréant, Paris, Gallimard, coll. «Du monde entier», 1969, p. 67-71.

Geoffrion, Bernard et Stan Fischler, Boum Boum. The Life and Times of Bernard Geoffrion, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1997, xiii/271 p. Ill.; Boum Boum Geoffrion, Montréal, Éditions de l’Homme, 1996, 365 p. Ill. Traduction de Jacques Vaillancourt.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Leonetti, Mike, The Goalie Mask, Vancouver, Raincoast Books, 2004, s.p. Illustrations de Shayne Letain; le Gardien masqué, Markham, Scholastic, 2004, s.p. Illustrations de Shayne Letain. Traduction de Louise Binette.

MacGregor, Roy, Compte à rebours à Times Square, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 9, 2005, 162 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2000.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

O’Brien, Andy, with Jacques Plante, The Jacques Plante Story, Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1972, 161 p. Ill.

Ouin, Christine et Louise Pratte, Guy Lafleur, Saint-Bruno-de-Montarville, Éditions Goélette, coll. «Minibios», 2010, 71 p. Ill.

Pelletier, Pierre-Yvon, Guy Lafleur, la légende. L’album photo du démon blond, Montréal, Editions de l’Homme, 2013, 206 p. Ill.

Plante, Raymond, Jacques Plante. Derrière le masque, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 9, 1996, 221 p. Ill.

Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.

Saint-Cyr, Yves, Guy Lafleur. Le dernier des vrais !, Montréal, Éditions Trait d’union, 2002, 149 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Santerre, David, Guy Lafleur. Gloire et persécution, New York, Montréal et Paris, Éditions Transit Média, coll. «À découvert», 2009, 220 p. Ouvrage établi sous la direction de Stéphane Berthomet.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Worsley, Gump, with Tim Moriarty, They Call Me Gump, New York, Dodd, Mead, 1975, xii/176 p. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Non, pas du tout

L’autre jour, sur Twitter, l’Oreille tendue énumérait les traits du «lexique indispensable du Montréalais de 11 ans (du moins dans NDG)» :

Sérieux ?
Avoue
Super de + adjectif.
Shit !

Une publicité télévisée qui tourne actuellement a rappelé à l’Oreille une expression à ajouter à cette liste : tu me niaises (! / ?).

(Un restaurateur chinois a tout fait pour attirer la clientèle et il est découragé par l’offre imbattable d’un concurrent. Il explique cela à sa femme en chinois, qui lui répond dans la même langue. En sous-titre : «Tu me niaises !»)

L’expression marque l’incrédulité. Synonyme : tu te fous de ma gueule.

On la prononce d’au moins trois façons. Exclamative : Tu me niaises ! Interrogative : Tu me niaises ? Détachée : Tu me ni ai ses.

 

[Complément du 27 février 2016]

Il y a une gradation dans la niaiserie :

 

[Complément du 15 janvier 2021]

Littérairement et interrogativement, existe en au moins deux formes : «Tu me niaises ?» (Françoise en dernier, p. 137); «Tu me niaises-tu ?» (Chienne(s), p. 81)

 

Références

Grenier, Daniel, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p.

Milot, Marie-Ève et Marie-Claude St-Laurent, Chienne(s), Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 25, 2020, 155 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Cachez ce cerveau que je ne saurais voir» par Catherine Lord.

V comme dans Victoire

16 avril 1953. Au Forum de Montréal, les Canadiens — c’est du hockey — remportent 1 à 0 leur match contre les Bruins de Boston, et avec lui la coupe Stanley. Elmer Lach marque le but gagnant tôt au cours de la première période de prolongation (à 1 minute 22 secondes), sur une passe de Maurice Rocket Richard.

Le photographe Roger Saint-Jean rate le but, mais sa photo de Lach et Richard s’envolant pour s’étreindre et se féliciter deviendra célèbre. Que font leurs bâtons ? Ils tracent le V de la victoire. Leurs adversaires sont écrasés par ce qui leur arrive. (Pour la petite histoire, on rappellera que Richard avait cassé le nez de Lach en lui sautant dans les bras.)

 

Elmer Lach et Maurice Richard, photographie de Roger Saint-Jean, 16 avril 1953

La photo est reprise par un fabricant de casse-tête (de puzzles).

Elmer Lach et Maurice Richard, casse-tête

Dans leur bande dessinée Gangs de rue (2011), Marc Beaudet et Luc Boily se souviennent de la photo de Saint-Jean, mais le maillot des Nordiques de Québec remplace celui des Bruins.

Bande dessinée Gangs de rue (2011), Marc Beaudet et Luc Boily

Quand le quotidien le Devoir choisit huit photos «connues par la grande majorité des Québécois» et consacre à chacune un article dans sa série «Une photo en mille mots», la première retenue, les 25-26 septembre 1999, est celle de Saint-Jean. À la mort de Richard, en mai 2000, le journal reproduit, toujours en première page, la même photo et le même article.

On la retrouve dans la Presse+ d’aujourd’hui. Il est vrai que la vieille rivalité Montréal / Boston sera relancée ce soir lors du premier match de la série opposant les deux équipes. À qui le «V» ?

P.-S. — Ce n’est pas la seule photo célèbre de Maurice Richard avec un joueur des Bruins. Il y a aussi celle du 8 avril 1952.

 

[Complément du 3 mai 2014]

Sur Twitter, hier, @NieDesrochers mettait en parallèle la photo du 16 avril 1953 et une photo de Francis Bouillon et de P.K. Subban prise durant le match remporté par les Canadiens contre les Bruins de Boston le 1er mai.

Francis Bouillon et P.K. Subban, 1er mai 2014, photo de Bernard Brault

Quelques heures plus tard, @BernardBrault, le journaliste de la Presse qui a pris la photo de Bouillon et Subban, écrivait : «J’y avais même pensé. Un classique de Roger St-Jean…»

 

[Complément du 6 mai 2013]

Michel Beaulieu a consacré un poème à ce but.

 

[Complément du 11 juin 2022]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur cette photo :

Melançon, Benoît, «16 avril 1953 : la photographie qui n’aurait pas dû être prise. Histoire d’une image de Roger St-Jean», Focales, 6, 2022. https://doi.org/10.4000/focales.1430

 

Le texte ci-dessus reprend des recherches déjà publiées par l’Oreille tendue, notamment dans son livre les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Desrosiers, Éric, «Une malchance transformée en bénédiction», le Devoir, 25-26 septembre 1999, p. A1 et A14. Repris dans le Devoir, 30 mai 2000, p. A1 et A8.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Avoir été Expositif

Jonah Keri, Up, Up, & Away, 2014, couverture

«Montreal prides itself on being distinct,
and the Expos were certainly distinct.»

Comme tout être humain normalement constitué, le printemps venu, l’Oreille tendue (re)commence à lire des livres sur le baseball.

Sur sa pile de lectures à faire, il y a, par exemple, The 34-Ton Bat de Steve Rushin. L’autre jour, c’était Up, Up, & Away, l’ouvrage qu’a consacré Jonah Keri aux Expos de Montréal (1969-2004).

Keri propose, tambour battant, une histoire des Expos, entrecoupée de souvenirs, d’évaluations des forces et des faiblesses de l’équipe au fil des ans, et de réflexions sur les causes de la disparition (temporaire ?) du baseball professionnel à Montréal. Il a lu ce qu’il fallait lire et interviewé qui il fallait interviewer.

L’histoire du club tourne autour d’un certain nombre de figures : le maire Jean Drapeau, qui a convaincu la Ligue nationale de baseball d’accorder une équipe à sa ville, alors que rien n’était prêt pour l’accueillir; Charles Bronfman, le premier propriétaire de l’équipe, qui sortira fort marri de son expérience; des entraîneurs — Dick Williams, Jim Fanning, Felipe Alou — et des joueurs, parmi lesquels les vedettes du club, Rusty Staub, Gary Carter, Andre Dawson, Steve Rogers, Pedro Martinez, Vladimir Guerrero. L’auteur a manifestement un faible pour Tim Raines : non seulement il explique, force statistiques à l’appui, pourquoi Raines devrait être nommé au Temple de la renommée du baseball, avec les plus grands de son sport (p. 262-264), mais il se fait photographier, sur le deuxième rabat, avec le maillot numéro 30 de Raines. Si Keri consacre plusieurs pages aux grands de l’équipe montréalaise, il fait revivre aussi les sans-grades, Pepe Frias, Tommy Hutton, Mike Lansing, ces joueurs «moyens» auxquels Gilles Marcotte a consacré une nouvelle en 1999. Il a aussi ses têtes de Turc, notamment Maury Wills, Bryn Smith et Rodney Scott.

Il a commencé à vraiment s’intéresser au baseball à l’adolescence, durant les années 1980. S’il n’a pas connu le stade du parc Jarry, le premier «domicile» des Expos, il a beaucoup fréquenté celui du parc Olympique, où il a vu sa première partie en 1982. Up, Up, & Away est aussi le récit de matchs vus et discutés avec une bande d’amis, amateurs comme lui, les Maple Ridge Boys (en l’honneur de Larry Walker), et l’évocation de joueurs chéris (Pascual Perez, Bill Sampen [!]), de matchs interminables (22 manches) et de jeux spectaculaires, tel le monstrueux coup de circuit de Darryl Strawberry, des Mets de New York, pour lancer la saison 1988 (You Don’t Forget Homers Like That, suivant le titre du livre de Danny Gallagher).

Montréalais, Keri ne peut qu’être sensible au portrait sociolinguistique de sa ville. Sur ce plan, il n’y a aucun reproche à lui faire : cet anglophone sait décrire avec justesse le milieu dans lequel les Expos sont nés puis ont disparu. Il propose même un encadré intitulé «Baseball en français», correctement fait (p. 56-59).

À plusieurs reprises, il essaie de comprendre pourquoi les Expos ne sont jamais parvenus aux plus grands honneurs, par exemple aux Séries mondiales. Pour ce faire, il a recours à toutes sortes de chiffres, mais il lui arrive aussi d’insister sur des carences «historiques» des Expos. La principale ? L’incapacité du club à trouver un joueur de deuxième but de qualité pendant presque toute son histoire, du moins jusqu’à l’arrivée de Delino DeShields.

Si cette absence peut expliquer (partiellement) celle de championnat, elle ne suffit évidemment pas à faire comprendre pourquoi les Expos, depuis dix ans, n’existent plus. Keri voit trois causes principales au déménagement de l’équipe à Washington, sous le nom de Nationals. La transformation des contrats de diffusion médiatique au cours des années 1980 aurait favorisé indûment l’autre équipe canadienne, les Blue Jays de Toronto, puis, dans les années 1990, la faiblesse des revenus médiatiques montréalais aurait limité les ressources budgétaires des Expos. Le parc Olympique avec ses problèmes de structure et de toit («the piece of crap finally opened», p. 239), en plus d’être éloigné du centre-ville, aurait nui à la popularité de l’équipe auprès des milieux d’affaires. Le refus des propriétaires successifs à partir des années 1990 d’investir dans le développement du club l’aurait empêché d’embaucher le joueur (ou les joueurs) qui aurai(en)t pu faire la différence; la peur du risque («obsession with risk avoidance», p. 245) les aurait paralysés. Sur cette triple base, le jugement est sans appel : «In the league’s eye, Montreal had failed baseball. The cold, hard truth was that for the most part, this was absolutely right» (p. 377). Montréal aurait laissé tomber les Expos. On peut le constater : Keri accorde plus d’importance aux facteurs structurels qu’aux questions de personnes. Ceux qui aiment détester Claude Brochu, Jeffrey Loria et David Samson, eux qui ont été les propriétaires de l’équipe à un moment ou à un autre, ne reconnaîtront pas un frère d’armes en l’auteur de Up, Up, & Away (p. 343-345).

Quiconque a déjà été Expositif trouvera matière à réminiscences et à réflexions dans l’ouvrage de Jonah Keri, notamment dans les nombreuses caricatures d’Aislin qui illustrent le livre. En revanche, il sera difficile aux lecteurs d’imaginer un retour du baseball à Montréal, les mêmes causes étant généralement suivies des mêmes effets.

P.-S. — S’agissant de Vladimir Guerrero, l’entraîneur Felipe Alou, à son habitude, avait vu juste : «Leave. Him. Alone» (p. 358). Cela a donné une grande carrière, et beaucoup d’émotions fortes.

P.-P.-S. — L’Oreille tendue ne serait pas qui elle est si elle ne trouvait pas à redire de-ci, de-là en matière de langue. Si Rusty Staub était surnommé «Le Grand Orange», c’est parce qu’il était un homme; il n’y avait pas d’autre possibilité (p. 33). Il existe un équivalent français pour squeeze : amorti-suicide (p. 57). Champ étant masculin, il faut écrire champ droit (p. 58). L’expression «belle/laide» existerait en France (p. 63) ? Non. Dans «Régis Trudeau et Associes» (p. 105), il y a un accent de trop («Régis») ou il en manque un («Associés» au lieu d’«Associes»). Ce sont des peccadilles.

 

Références

Gallagher, Danny, You Don’t Forget Homers Like That. Memories of Strawberry, Cosby and the Expos, Toronto, Scoop Press, 1997, 167 p.

Keri, Jonah, Up, Up, & Away. The Kid, The Hawk, Rock, Vladi, Pedro, Le Grand Orange, Youppi !, The Crazy Business of Baseball, & the Ill-fated but Unforgettable Montreal Expos, Toronto, Random House Canada, 2014, 408 p. Ill.

Marcotte, Gilles, «Un joueur moyen», dans la Mort de Maurice Duplessis et autres récits, Montréal, Boréal, 1999, p. 59-64.

Rushin, Steve, The 34-Ton Bat. The Story of Baseball as Told Through Bobbleheads, Cracker Jacks, Jockstraps, Eye Black, and 375 Other Strange and Unforgettable Objects, New York, Boston et Londres, Little, Brown and Company, 2013, 343 p. Ill.