No problemo

Le problème irrite. Or personne n’aime être irrité. Solution : à défaut de faire disparaître le problème (la chose), masquer le mot.

En France, cela a donné souci, comme dans Y a pas de souci ou sur Twitter.

Du problème et du souci

Au Québec, problème a été éradiqué depuis longtemps. Problématique a pris sa place. On y trouve les problématiques «des punaises de lit», «de handicap», «du poids» (le Devoir, 25 janvier 2007, p. A7), «des commotions cérébrales» (la Presse, 22 octobre 2009, cahier Sports, p. 1).

L’école de la Belle Province raffole de la problématique.

«Cette rencontre de parents s’adresse principalement aux parents dont les enfants éprouvent des difficultés académiques ou une quelconque problématique» (Commission scolaire de Montréal, 4 février 2004).

«La création de ce nouveau cours vise à introduire l’intervenant à la problématique de l’évaluation des besoins de l’individu visé par l’intervention afin d’adopter les approches permettant de bien répondre aux besoins identifiés par l’évaluation. Également l’intervenant est fréquemment mis en contact avec des rapports d’évaluation. Il importe qu’il soit outillé pour qu’il puisse s’approprier leur contenu» (Université de Montréal, mars 2004).

Le mot a même envahi le vocabulaire de la plomberie. En 2010, l’Oreille tendue avait chez elle un plombier ennuyé par un conduit («Ma problématique, c’est ce tuyau-là»). Le 30 août de la même année, sur Twitter, @Ant_Robitaille rapportait une phrase entendue dans la salle d’audience de la commission Bastarache : «On a une problématique de toilette. Ça prendrait un débouche.»

Jusqu’à hier, l’Oreille ignorait qu’on pût «ressentir une problématique». Pourtant, c’était écrit dans le journal : «Dix problématiques ressenties par les nouveaux entrepreneurs» (la Presse, 30 avril 2012, cahier Affaires, p. 2).

Dont acte.

P.-S. — Problématique sévit aussi dans l’Hexagone. Autant qu’au Québec ? L’Oreille ne le croit pas, mais elle peut se tromper.

 

[Complément du 11 décembre 2022]

Souci est aussi usité au Québec. Exemple récent et assez spectaculaire, tiré d’un tweet de Pierre-Yves Lord :

https://twitter.com/PYLord/status/1601779913300004864

Il ne manquait que lui

François Bon, l’Incendie du Hilton, 2009, couverture

En 2004, l’Oreille tendue signait un Dictionnaire québécois instantané avec son collègue Pierre Popovic.

S’agissant de la langue médiatique, elle avait dû se pencher sur un des mots les plus à la mode au Québec : salon.

Variante toujours commerciale et souvent non estivale des audiences, du carrefour, du chantier, du comité, de la commission, de la consultation, des états généraux, du forum, du groupe-conseil, du groupe de discussion, du groupe de travail, de la rencontre, du sommet, de la table d’aménagement, de la table de concertation, de la table de convergence, de la table de prévention, de la table de suivi et de la table ronde. «Les salons et foires se portent bien au Québec» (la Presse, 5 décembre 2001). Agroalimentaire du Suroît, de l’aménagement extérieur, de l’emploi-formation, de l’épargne, de l’érotisme, de la féminité, de la maternité et de la paternité, de l’automobile, des aînés de Montréal, des métiers d’art du Québec, des organisateurs d’événements, Domicilia, du livre anarchiste, du printemps des artistes des Cantons-de-l’Est, Informatique / Affaires de Québec, international de l’ésotérisme de Montréal, Marions-nous, national de l’habitation, Pepsi-Jeunesse. Voir coalition, concertation, consensus, festival, partenaires sociaux et suivi.

La liste s’est allongée depuis : des tendances ameublement, des vins et spiritueux de Montréal, de la passion médiévale.

Dans l’Incendie du Hilton (2009, p. 181-182), François Bon recensait, pour la seule place Bonaventure de Montréal, douze salons, dont celui du livre.

Il ne manquait, au Québec, qu’un événement de ce type. Ce sera incessamment réglé : «Le Salon Plan Nord débute ce week-end» (le Devoir, 16 avril 2012, p. A4). Si le Plan Nord promu par le gouvernement provincial de Jean Charest est bel et bien la panacée promise, la moindre des choses est qu’il ait, lui aussi, son salon. Sinon, on aurait dû s’inquiéter.

P.-S. — Aucune des listes qu’on vient de lire n’est bien sûr exhaustive.

 

Références

Bon, François, l’Incendie du Hilton. Roman, Paris, Albin Michel, 2009, 182 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Divergences transatlantiques 019

Thierry Crouzet, J’ai débranché, 2012, couverture

Le bricoleur — le québécois comme les autres — le sait : avant d’appliquer la peinture de finition, il faut préparer les surfaces.

En langage de chantier, au Québec, on dit un primer pour désigner la peinture à mettre avant la peinture de finition, et on prononce à l’anglaise : praïemeur. Si on veut éviter l’anglicisme, on parle d’un apprêt.

D’où l’étonnement de l’Oreille tendue devant la phrase suivante, qui se trouve dans J’ai débranché de Thierry Crouzet (2012) : «Bien sûr, c’est un primaire à l’eau» (p. 226).

Coup d’œil au Petit Robert (édition numérique de 2010), à «primaire» : «Techn. Peinture, couche primaire, appliquée sur le support nu (opposée à de finition). • N. f. Une primaire d’accrochage

Pour récapituler : primer, apprêt, primaire au masculin, primaire au féminin — pour un seul type de peinture.

Les voies du Rénovateur sont parfois impénétrables.

 

Référence

Crouzet, Thierry, J’ai débranché. Comment survivre sans internet après une overdose, Paris, Fayard, 2012, 306 p.

Convergence transatlantique

Thierry Crouzet, J’ai débranché, 2012, couverture

Thierry Crouzet (@crouzet) quitte Internet pendant six mois. Il en tire un livre, J’ai débranché (2012). L’Oreille tendue, elle, en tire (notamment) ceci :

J’ai l’habitude d’être le clown de service. Il a suffi qu’un jour je quitte le Midi pour que plus personne ne me prenne au sérieux. Dans les boulangeries parisiennes, les clients s’exclament :

— Le paing !

Quand je parle en public, je provoque l’hilarité. J’ai beau m’attaquer à des sujets difficiles, les auditeurs se bidonnent. Mon accent détruit mes efforts d’abstraction (p. 19).

Les Québécois savent très bien ce qu’il veut dire.

P.-S. — Le sous-titre du livre de Crouzet est Comment revivre sans internet après une overdose, selon la couverture et la quatrième de couverture. C’est Comment survivre sans internet après une overdose, suivant la page de titre. Ça fait désordre (bibliographique).

 

Référence

Crouzet, Thierry, J’ai débranché. Comment survivre sans internet après une overdose, Paris, Fayard, 2012, 306 p.