Chantons la langue avec Grand Corps Malade

Grand Corps Malade, 3ème Temps, 2010, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Grand Corps Malade, «À Montréal», 3ème Temps, 2010

 

Comme j’suis quelqu’un d’pas compliqué
J’écris des textes sur c’que j’vois
Alors assis dans un café
J’regarde la vie autour de moi
Derrière la vitre il fait bien jour
Et y a du vent dans les arbres
J’regarde le speed au pied des tours
Et mes toasts au sirop d’érable
J’me suis levé bien avant 7 heures
C’est un exploit temporaire
Habituellement ça m’ferait trop peur
Mais j’suis en décalage horaire
J’apprécie mon nouveau réel
J’ai fait voyager mon moral
Je sens qu’la journée s’ra belle
Me revoici à Montréal
On m’a dit qu’ici l’hiver est dur
Alors j’suis venu au printemps
Six mois dans l’froid c’est la torture
Si j’peux éviter, j’aime autant
Mais ce matin l’ciel est tout bleu
Et j’sens qu’mon cœur est tout blanc
J’vais connaître la ville un peu mieux
Je veux voir Montréal en grand
J’ai plutôt un bon a priori
Parce que les gens sont accueillants
Y a plus de sourires qu’à Paris
Et puis surtout y a leur accent
Mis à part quelques mots désuets
Ils parlent le même langage que nous
Mais pour l’accent j’sais leur secret
Ils ont trop d’souplesse dans les joues
Niveau architecture, Montréal c’est un peu n’importe quoi
Y a du vieux, du neuf, des clochers, des gratte-ciel qui s’côtoient
Mais j’aime cette incohérence et l’influence de tous ces styles
J’me sens bien dans ces différences, j’suis un enfant de toutes les villes
Y a plein d’buildings sévères, y a des grosses voitures qui klaxonnent
Et des taxis un peu partout, c’est l’influence anglo-saxonne
Y a des vitraux dans les églises et des pavés dans les ruelles
Quelques traces indélébiles de l’influence européenne
Y a des grands centres commerciaux, et des rues droites qui forment des blocs
Pas d’doute là-dessus, Montréal est la p’tite sœur de New York
Y a des p’tits restos en terrasse, un Quartier latin et des crêperies
Pas d’doute là-dedans, Montréal est la cousine de Paris
Dans les lumières d’l’après-midi, j’ai chillé sur Sainte Catherine
Et là j’ai magasiné, pas question d’faire du shopping
Moi j’aime bien la rue Saint-D’nis, c’est p’t’être pas juste un hasard
Et sur l’Plateau des bobos j’ai pris l’soleil à la Place des arts
J’ai bien aimé l’Vieux-Port et ses fantômes industriels
Et bizarrement le quartier des musées j’le visiterai la fois prochaine
Je prétends pas connaître la ville, j’suis qu’un touriste plein d’amitié
Mais j’aime ce lieu, son air, et ses visages du monde entier
J’me suis arrêté pour observer la nuit tomber sur Montréal
Et l’dernier clin d’œil du soleil changer les couleurs du mont Royal
Les phares des voitures ont rempli les interminables avenues
J’me suis senti serein, un peu chez moi, un peu perdu
J’me suis réfugié dans un Starbucks afin d’finir de gratter
Mon p’tit hommage sur cette ville où j’me suis senti adopté
Sur ces habitants tellement ouverts qui parlent un drôle de patois
Et qui m’ont offert leur écoute, à 6000 bornes de chez moi
[Les deux vers suivants sont prononcés avec un «accent québécois».]
Je reviendrai à Montréal car j’ai eu bin du fun
Cette ville où les chums ont des blondes et où les blondes ont des chums
J’ai pas encore vu grand-chose, j’veux découvrir et j’sais pourquoi
Je reviendrai à Montréal voir les cousins québécois

 

P.-S.—Vous avez l’oreille : il a déjà été question de Grand corps malade ici.

 

Chantons la langue avec Yves Duteil

Yves Duteil, la Langue de chez nous, 1985. pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Cela étant, il y aussi «La langue de chez nous».

Yves Duteil, «La langue de chez nous», album la Langue de chez nous, 1985

 

C’est une langue belle avec des mots superbes
Qui porte son histoire à travers ses accents
Où l’on sent la musique et le parfum des herbes
Le fromage de chèvre et le pain de froment

Et du Mont-Saint-Michel jusqu’à la Contrescarpe
En écoutant parler les gens de ce pays
On dirait que le vent s’est pris dans une harpe
Et qu’il en a gardé toutes les harmonies

Dans cette langue belle aux couleurs de Provence
Où la saveur des choses est déjà dans les mots
C’est d’abord en parlant que la fête commence
Et l’on boit des paroles aussi bien que de l’eau

Les voix ressemblent aux cours des fleuves et des rivières
Elles répondent aux méandres, au vent dans les roseaux
Parfois même aux torrents qui charrient du tonnerre
En polissant les pierres sur le bord des ruisseaux

C’est une langue belle à l’autre bout du monde
Une bulle de France au nord d’un continent
Sertie dans un étau, mais pourtant si féconde
Enfermée dans les glaces au sommet d’un volcan

Elle a jeté des ponts par-dessus l’Atlantique
Elle a quitté son nid pour un autre terroir
Et comme une hirondelle au printemps des musiques
Elle revient nous chanter ses peines et ses espoirs

Nous dire que là-bas dans ce pays de neige
Elle a fait face aux vents qui soufflent de partout,
Pour imposer ses mots jusque dans les collèges
Et qu’on y parle encore la langue de chez nous

C’est une langue belle à qui sait la défendre
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie

Et de l’Île d’Orléans jusqu’à la Contrescarpe
En écoutant chanter les gens de ce pays
On dirait que le vent s’est pris dans une harpe
Et qu’il a composé toute une symphonie

Et de l’Île d’Orléans jusqu’à la Contrescarpe
En écoutant chanter les gens de ce pays
On dirait que le vent s’est pris dans une harpe
Et qu’il a composé toute une symphonie

 

P.-S.—En 1989, Michel Rivard lance la chanson «Le cœur de ma vie» : «Je l’ai écrite parce que, à ce moment-là, j’avais besoin de dire que ma langue meurt, explique-t-il. Et j’étais un petit peu en réaction à la chanson sur la langue d’Yves Duteil qui présentait une vision absolument carte postale du Québec. Je n’ai jamais vraiment embarqué dans cette chanson-là, alors j’avais besoin d’en faire une» (la Presse+, 23 juin 2024).

 

Chantons la langue avec les Fabulous Trobadors

Fabulous Trobadors, On The Linha Imaginòt, 1998, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Fabulous Trobadors, «L’accent», On The Linha Imaginòt, 1998

 

Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent
Tu l’écoutes et je vois qu’il est bien
Chacun au début possède le sien
Le français parlé par les Toulousains suit un certain destin
Le mien provient du languedocien
Il vient de loin et c’est un lien contemporain avec l’âge moyen
Ce qu’il devient nous appartient
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent

Il se mélange avec le tien
Il y en a combien, il y en a plein
Algérien, marocain, brésilien,
Africain, italien, sicilien
Imagine tout ce qu’il contient
Il est de la campagne, il est urbain
Rien je ne regrette rien
Ce qu’il devient m’appartient
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent

L’accent de la télé ne signifie rien
Imposé par les infos il déteint
Tous les pébrons prennent le sien
Oublie le leur
Est-ce que ça te convient ?
Complètement aliéné soudain
Face au micro
Alors il n’y a plus rien
Peur de l’accent qui vient d’où tu viens
Pourtant il t’appartien
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent

Dans les médias c’est un déclin
La même pression partout se maintient
J’entends le seul et même refrain
Le modèle du super citoyen
Si tu sais que c’est de quelque part que tu proviens
Au sérieux personne ne te tient
Folklorique pour eux égal crétin
Un cliché auquel rien n’appartient
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent

Tu l’écoutes et je vois qu’il est bien
Chacun au début possède le sien
Le français parlé par les Toulousains suit un certain destin
Le mien provient du languedocien
Il vient de loin et c’est un lien contemporain avec l’âge moyen
Ce qu’il devient nous appartient
Le tien c’est le tien et le mien c’est le mien, l’accent

 

Accouplements 252

Alfred Hitchcock, North by Northwest, 1959, affiche

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Depuis le 1er septembre 2024, l’excellent Patrick Boucheron est à la barre de l’émission Allons-y voir, «Un rendez-vous pour analyser les images qui nous entourent et nourrir nos imaginaires», sur France Culture. L’épisode du 24 novembre, «Au théâtre des valeurs de l’art», portait sur le marché de l’art. La commissaire-priseuse Chloé Collin y réfléchissait à son métier. On y entendait, sur les ventes aux enchères, un extrait du film le Tableau volé (2024) de Pascal Bonitzer et la chanson Drouot (1970) de Barbara.

C’est à cette émission que l’Oreille tendue a repensé en revoyant North by Northwest / la Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock. Cary Grant y est particulièrement habile à bousiller le déroulement d’une vente aux enchères, en misant soit trop bas, soit trop haut. La scène est particulièrement drôle.

Allez-y voir.

 

[Complément du 18 décembre 2024]

Lisons Charles Dickens : «Si l’on considère, suivant l’opinion généralement répandue, l’âne comme le type même de la stupidité contente de soi-même, ce qui est peut-être beaucoup plus conventionnel que juste, alors le plus grand âne de Cloisterham est Mr. Thomas Sapsea, le commissaire-priseur» (éd. de 1991, p. 70). Suit un portrait bien peu flatteur (p. 70-80, p. 233, p. 253, p. 273-274, p. 321-326, p. 412).

 

[Complément du 16 février 2025]

La chose est connue : depuis sa jeunesse, l’Oreille tendue collectionne les scènes de fornication dans les moyens de transport.

Elle en découvre une nouvelle dans le plus récent roman de Jean Echenoz, Bristol (2025), mettant en scène un commissaire-priseur :

Le dernier [amant] en date exerce la fonction de commissaire-priseur. Geneviève assurait d’abord ses déplacements professionnels, maintenant elle assouvit également ses pulsions. Il l’appelle, elle arrive, il monte à la place du mort qui est plus pratique pour un rapide rapport au fond d’un parking en sous-sol, il continue de payer ses courses au tarif du compteur (p. 175).

Comme c’est souvent le cas dans ces scènes, la locomotion est brièvement, et heureusement, interrompue.

 

Références

Dickens, Charles, le Mystère d’Edwin Drood (1870, inachevé), dans Dickens, Fruttero & Lucentini, l’Affaire D. ou le crime du faux vagabond, Paris, Seuil, 1991, 473 p. Édition originale : 1989. Traduction de Simone Darses. La traduction du texte de Dickens est de Charles-Bernard Derosne (1874), revue et corrigée par Gérard Hug.

Echenoz, Jean, Bristol. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2025, 205 p.