Rétrolectures

Élisabeth Nardout-Lafarge, Carnet d’inventaire, 2023, couverture

En 2023, l’Oreille tendue a lu une centaine de livres. En retenir cinq ? Voici.

Nardout-Lafarge, Élisabeth, Carnet d’inventaire, Montréal, Leméac, 2023, 237 p.

Compte rendu ici.

Les linguistes atterré(e)s, Le français va très bien, merci, Paris, Gallimard, coll. «Tracts», 49, 2023, 60 p.

Compte rendu .

Le Tellier, Hervé, Moi et François Mitterrand, suivi de Moi et Jacques Chirac, Moi et Sarkozy, Moi et François Hollande, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 7164, 2022, 94 p. Ill. Édition originale : 2016.

Brousseau, Simon, Chaque blessure est une promesse, Montréal, Héliotrope, 2023, 209 p.

Ce livre a permis un autoportrait à l’Oreille.

Abdelmoumen, Mélikah, les Engagements ordinaires. Lutter de mères en filles, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 25, 2023, 89 p. Ill.

 

P.-S.—Si Trust, le roman de 2022 d’Hernan Diaz, tient les promesses de ses 125 premières pages, il aurait pu figurer ici.

Ne pas décéder

Pierre Assouline, le Nageur, 2023, couverture

L’Oreille tendue recule rarement devant une bataille perdue d’avance. Par exemple, elle préfère mourir à décéder.

Dans le Nageur (2023), Pierre Assouline préférerait lui aussi un autre terme que décéder :

[Alfred Nakache] a bien été arrêté par la Gestapo à Toulouse le 20 décembre 1943 sur l’accusation de «propagande antiallemande» puis déporté dans deux camps successifs qui n’étaient pas des camps de vacances, et où sa femme et sa fille sont, comme l’a inscrit un fonctionnaire, décédées. Il pourrait le contresigner. Quoique, «décédées»… L’euphémisme est délicat, dans la pure tradition de l’administration, pour dire qu’elles ont été assassinées.

 

Référence

Assouline, Pierre, le Nageur, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2023, 256 p. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Maylis de Kerangal

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, 2012, couverture

«De nouveau le train. Roulis monotone, cliquètements cycliques, essieux qui chauffent, criailleries du métal et, si l’on tend l’oreille, comme une infime piste sonore tissée dans ce boucan d’enfer, on captera aussi le tourment du cœur d’Aliocha, là, de retour dans le dernier compartiment du Transsibérien, à sa place devant la lucarne, et de nouveau hypnotisé par les rails, courte portion de voie que les feux arrière du train éclairent une fraction de seconde et traînée blanchâtre qui referme aussitôt l’espace sur son passage, le reléguant derrière elle, informe et pulsatile, livré au noir amniotique des origines.»

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, Paris, Verticales, coll. «Minimales / Verticales», 2012, 136 p. Édition numérique.

Accouplements 220

Bondrée et Tangente vers l’est, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Michaud, Andrée A., Bondrée, Montréal, Québec Amérique, coll. «qa», 2020. Édition numérique. Édition originale : 2014.

«Certains croyaient que Larue avait nommé sa fille Emma à cause de l’admiration qu’il portait à Flaubert et à Emma Bovary, mais ce n’était pas le cas. S’il appréciait Flaubert, il fuyait les Bovary comme la peste. C’était sa femme qui avait choisi ce prénom, y voyant une parenté avec le verbe “aimer”. Larue était trop stupide, à cette époque, trop amoureux pour la contredire et lui indiquer qu’Emma mettait le verbe au passé, j’aimai, tu aimas, il aima. Il le regrettait aujourd’hui, quand il songeait que sa fille portait le nom d’une héroïne dont l’amour dérivait dans le souvenir.»

Kerangal, Maylis de, Tangente vers l’est, Paris, Verticales, coll. «Minimales / Verticales», 2012, 136 p. Édition numérique.

«Ils se sont donné leurs prénoms, se sont donné du feu, se sont donné des clopes. Elle lui a précisé qu’elle était française, frantsouzkaïa et toujours ce geste de poser la paume sur le sternum en appuyant la seconde syllabe, frantsouzkaïa, et en face d’elle, Aliocha a hoché la tête. Une Française, il est déçu — ne sait pourtant rien des femmes françaises, rien, ne connaît d’elles que des Fantine, des Eugénie ou des Emma, femmes obligatoires dont il avait entrevu des fragments de psyché dans des manuels scolaires et reléguées loin de celles qui l’éblouissent, Lady Gaga en tête.»

 

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première Emma que nous croisons chez Maylis de Kerangal (voir ici).

Le zeugme du dimanche matin et de Sorj Chalandon

Sorj Chalandon, l’Enragé, 2023, couverture

«Un jour, Alain avait tenté de m’expliquer la phrase imprimée sous le titre du journal : “L’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que des travailleurs eux-mêmes.” Il roulait des yeux et des mots. Je n’avais pas tout compris. Et puis je préférais l’autre maxime, imprimée juste à côté. Je la trouvais drôle : “Prolétaires, l’aumône est une honte !”»

Sorj Chalandon, l’Enragé. Roman, Paris, Grasset, 2023, 416 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)