Ma vie en lapsus

Diderot, Jacques le fataliste, éd. de 1983, couverture

L’Oreille tendue, pandémie oblige, enseigne actuellement à distance (PDF) et cela ne l’enchante pas, pour toutes sortes de raisons. Parmi ces raisons, il y a le fait que l’Oreille, en classe, multiplie les lapsus. Or, à distance, il lui est impossible de corriger ses lapsus aussi rapidement qu’«en présentiel» (pour le dire en français didactique). C’est un vrai problème : elle confond allègrement la gauche et la droite, Sade et Sartre, la gaine et la graine, etc.

Pourquoi confondrait-elle la gaine et la graine ? Relisons Jacques le fataliste :

C’est la fable de la Gaine et du Coutelet. Un jour la Gaine et le Coutelet se prirent de querelle; le Coutelet dit à la Gaine : «Gaine, ma mie, vous êtes une friponne, car tous les jours, vous recevez de nouveaux coutelets… La Gaine répondit au Coutelet : Mon ami Coutelet, vous êtes un fripon, car tous les jours vous changez de gaine. — Gaine, ce n’est pas là ce que vous m’avez promis. — Coutelet, vous m’avez trompée le premier…» Ce débat s’était élevé à table; cil, qui était assis entre la Gaine et le Coutelet prit la parole et leur dit : «Vous, Gaine, et vous, Coutelet, vous fîtes bien de changer, puisque changement vous duisait, mais vous eûtes tort de vous promettre que vous ne changeriez pas. Coutelet, ne voyais-tu pas que Dieu te fit pour aller à plusieurs gaines; et toi, Gaine, pour recevoir plus d’un coutelet ? Vous regardiez comme fous certains coutelets qui faisaient vœu de se passer à forfait de gaines, et comme folles certaines gaines qui faisaient vœu de se fermer pour tout coutelet; et vous ne pensiez pas que vous étiez presque aussi fous lorsque vous juriez, toi Gaine, de t’en tenir à un seul coutelet; toi Coutelet, de t’en tenir à une seule gaine…» (éd. de 1983, p. 133-134)

Qui connaît un des sens québécois du mot graine verra qu’appeler une gaine une graine rend ce texte bien difficile à suivre. Cela arrive fréquemment aux étudiants de l’Oreille.

 

Référence

Diderot, Denis, Jacques le fataliste, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 403, 1983, 377 p. Préface et commentaires de Jacques et Anne-Marie Chouillet.

Les zeugmes du dimanche matin et de Régis Jauffret

Régis Jauffret, la Ballade de Rikers Island, 2014, couverture

«Il l’a appelée, elle s’est mise à courir. Il a fait quelques enjambées, mais déjà une femme arrêtée au feu rouge riait de ce gros bonhomme candidat à la chute et à la crise d’apoplexie» (p. 21).

«Un voile de tristesse sur son visage. Il avait la conscience en deuil, la bouche pâteuse, le gosier sec» (p. 187).

«Le vieux ne prie pas, il est trop replié sur sa peine pour entendre les bruits, à moins qu’il n’ait perdu la foi en même temps que sa famille dont il ne cherche plus que les cadavres» (p. 295).

«Au matin, il regrette ces vantardises et se propose d’entreprendre une cure de modestie et d’eau» (p. 306).

Régis Jauffret, la Ballade de Rikers Island. Roman, Paris, Seuil, 2014, 425 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Jean-Patrick Manchette

Jean-Patrick Manchette, le Petit Bleu de la côte ouest, 1976, couverture

«En attendant l’heure du déjeuner, tendant l’oreille pour saisir le bruit lointain des tronçonneuses et incapable de déterminer si c’était bien ce qu’il entendait, ou bien si c’était le vent dans les arbres, il se traîna sur le sol et s’empara des revues graveleuses. Le texte était en anglais, et fort pauvre des points de vue littéraire et même fantasmatique.»

Jean-Patrick Manchette, le Petit Bleu de la côte ouest, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 1714, 1976, 181 p., p. 103.