Vulgarisation linguistique

Le Club des cinq et la baisse du niveau, couverture satirique de @BonneCorrection

Tout le monde a quelque chose à dire sur la langue; c’est ainsi. Tout le monde n’est pas également informé sur la langue; ça se corrige. Exemples récents, et brefs.

On se gausse volontiers, au Québec, de l’expression du coup, réputée monarcoplatale, mais néanmoins utilisée à NDG par un des fils de l’Oreille tendue. Nadège Fournier, dans son travail de doctorat, s’est penchée sur les rapports du français québécois et du français de référence chez des Français et des Françaises installés à Montréal. Elle a nécessairement dû aborder cette question : «Du coup est un stéréotype du français de France tandis que fait que est propre au français québécois.» Il y en a plusieurs autres.

Faut-il simplifier l’orthographe du français ? Oui, répond Gilles Siouffi, en commençant à l’école : «Le paramètre essentiel aujourd’hui est […] l’éducation : c’est elle qui doit être le moteur essentiel des évolutions de l’orthographe — car l’orthographe, c’est certes ce qu’on pratique, mais surtout ce qu’on enseigne.»

Philippe Blanchet profite des manifestations d’agriculteurs en France pour rappeler quelques principes de la sociolinguistique. Elle a montré «que toutes les langues sont égales (y compris celles dites “patois”) : aucune n’est supérieure ou inférieure à une autre en raison de ses caractéristiques proprement linguistiques. Ce sont les hiérarchisations sociales qui se reflètent en hiérarchisation des langues ou de leurs variétés locales ou sociales particulières.»

L’Oreille a déjà dit le bien qu’elle pensait du tract Le français va très bien, merci, que publiaient en 2023 Les linguistes atterré(e)s chez Gallimard. Ce collectif a aussi un blogue. Il y a été question récemment de l’Académie française (à quoi sert-elle ?), des élucubrations d’Alain Bentolila et de l’accord du participe passé.

Tout cela est gratuit et accessible.

Quel français enseigner ?

Christophe Benzitoun, Qui veut la peau du français ?, 2021, couverture

«L’histoire de la langue française serait-elle terminée ?»

Depuis Marina Yaguello dans les années 1980, nous sommes nombreux à avoir voulu lutter, dans de courts ouvrages accessibles, contre les idées reçues en matière de langue. C’est le cas, entre autres auteurs francophones, de Chantal Rittaud-Hutinet (compte rendu), d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin (compte rendu), de Michel Francard, d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (comptes rendus un et deux), de Maria Candea et Laélia Véron (compte rendu), de Mireille Elchacar (compte rendu), des Linguistes atterré(e)s (compte rendu), de Médéric Gasquet-Cyrus (compte rendu) et de l’Oreille tendue.

Dans Qui veut la peau du français ? (2021) — un titre qui ne rend pas justice au contenu de son livre —, Christophe Benzitoun apporte sa pierre à l’édifice de déconstruction : il s’en prend au purisme, aux «idées reçues» (p. 13), aux «confortables certitudes» (p. 22), à ceux qui alimentent le «sentiment de crise perpétuelle que traverserait le français» (p. 36), au «discours ambiant sur une dégradation récente de la langue» (p. 158), à l’«idéologie normative contemporaine» (p. 131), au «discours culpabilisant» (p. 145), à la «défense immodérée de la norme» (p. 156). Son analyse a cependant pour objet principal les difficultés de l’enseignement du français aujourd’hui.

Le point de départ est fermement posé : le niveau en orthographe des élèves a clairement baissé dans la Francophonie (p. 13-19, p. 114-115). Une précision est capitale ici : Benzitoun parle d’une baisse du niveau en orthographe; en revanche, «le niveau en langue n’est pas en train de baisser» (p. 158). Dans une entrevue donnée cette semaine au quotidien Libération, il déclare même ceci : «On constate par exemple une nette progression des élèves en rédaction.»

Pour expliquer ces paradoxes apparents, l’approche est triple.

D’une part, Benzitoun propose une série de distinctions essentielles. La langue n’est pas l’orthographe. La langue n’est pas la grammaire; on peut même parler de «grammaire normative» et de «grammaire spontanée» (p. 173 et suiv.). La langue n’est pas la norme, pas plus qu’elle ne serait uniquement l’usage. La langue, ce n’est seulement ni l’écrit ni l’oral; or «Le français est dans une situation préoccupante du point de vue de la distance qui existe entre ses formes orale et écrite» (p. 10).

D’autre part, l’auteur démontre que l’orthographe du français n’est ni régulière, ni prévisible, ni transparente, ni systématique, ni rationnelle. Le chapitre «L’orthographe : pourquoi tant de N ?» (p. 119-138) est éclairant sur les «incongruités de l’orthographe du français» (p. 126). Pourtant, c’est vers elle que tous les regards se tournent.

Enfin, si l’on veut comprendre la situation actuelle, une perspective historique est indispensable. Benzitoun situe dans le temps long — il se réclame de Ferdinand Brunot — les facteurs qui rendent si difficile l’enseignement de l’orthographe («L’orthographe du français est sans doute une des plus complexes au monde», p. 119). Pour comprendre cet état de fait, il distingue nettement deux histoires de la langue, celle de la langue écrite (la plus normée) et celle de la langue orale (qui l’est nécessairement moins) : «Les tournures non normatives exhibent […] parfois l’histoire souterraine du français à côté de la norme qui se veut être l’histoire officielle des recommandations pour écrire correctement» (p. 239). La leçon, appuyée sur plusieurs exemples, est particulièrement utile.

L’auteur déplore un «blocage total» (p. 267) et il ne s’illusionne pas. Il ne s’attend pas à court terme à une «rationalisation de l’orthographe» (p. 268) ni à une transformation radicale (et nécessaire) des méthodes pédagogiques en matière d’enseignement du français. Cela ne l’empêche pas de contribuer utilement, par ce livre, à «une plus grande démocratisation du français» (p. 272).

P.-S.—Le chapitre le plus étonnant de l’ouvrage est probablement le dernier, «Un risque de rupture entre l’oral et l’écrit» (p. 257-263). Incipit : «De nombreux signaux convergent et devraient nous alerter concernant le futur du français. Il est sans doute trop tôt pour affirmer que notre langue est en danger, mais c’est une perspective que nous devons envisager et qu’il ne faut pas sous-estimer» (p. 257). L’image du «péril mortel» (p. 262) est convoquée. Cela devrait faire jaser dans les chaumières linguistiques.

P.-P.-S.—L’Oreille tendue est parfois vétilleuse. Ainsi, elle aurait allègrement sabré dans les mots de transition, notamment les «donc». En effet, c’est une de ses lubies.

 

Références

Beaudoin-Bégin, Anne-Marie, la Langue rapaillée. Combattre l’insécurité linguistique des Québécois, Montréal, Somme toute, coll. «Identité», 2015, 115 p. Ill. Préface de Samuel Archibald. Postface de Ianik Marcil.

Beaudoin-Bégin, Anne-Marie, la Langue affranchie. Se raccommoder avec l’évolution linguistique, Montréal, Somme toute, coll. «Identité», 2017, 122 p. Ill. Préface de Matthieu Dugal.

Beaudoin-Bégin, Anne-Marie, la Langue racontée. S’approprier l’histoire du français, Montréal, Somme toute, coll. «Identité», 2019, 150 p. Ill. Préface de Laurent Turcot. Postface de Valérie Lessard.

Benzitoun, Christophe, Qui veut la peau du français ?, Paris, Le Robert, coll. «Temps de parole», 2021, 282 p.

Candea, Maria et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, 2019, 238 p. Nouvelle édition : Paris, La Découverte, coll. «La Découverte Poche / Essais», 538, 2021, 224 p.

Candea, Maria et Laélia Véron, Parler comme jamais. La langue : ce qu’on croit et ce qu’on en sait, Paris, Le Robert et Binge audio, 2021, 324 p.

Elchacar, Mireille, Délier la langue. Pour un nouveau discours sur le français au Québec, Montréal, Éditions Alias, 2022, 160 p. Ill.

Francard, Michel, Vous avez de ces mots… Le français d’aujourd’hui et de demain !, Bruxelles, Racine, 2018, 192 p. Illustrations de Jean Bourguignon.

Gasquet-Cyrus, Médéric, En finir avec les idées fausses sur la langue française, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’atelier, 2023, 158 p.

Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, la Convivialité. La faute de l’orthographe, Paris, Éditions Textuel, 2017, 143 p. Préface de Philippe Blanchet. Illustrations de Kevin Matagne.

Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.

Jouyet, Anna, «Baccalauréat. Sanctionner les fautes au bac : “Le niveau en langue française ne se résume pas à l’orthographe”», Libération, 11 juillet 2023.

Les linguistes atterré(e)s, Le français va très bien, merci, Paris, Gallimard, coll. «Tracts», 49, 2023, 60 p.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Rittaud-Hutinet, Chantal, Parlez-vous français ? Idées reçues sur la langue française, Paris, Le cavalier bleu éditions, coll. «Idées reçues», 2011, 154 p. Ill.

Yaguello, Marina, Catalogue des idées reçues sur la langue, Paris, Seuil, coll. «Points», série «Point-virgule», V61, 1988, 157 p. Ill.

Arguments spécieux du mercredi

«Échenillons notre langue», publicité linguistique, Québec, avant 1951

(Du mercredi ? Parce qu’ils suivent ceux du mardi, pardi !)

Ça commençait plutôt bien. Dans un article du 20 avril, «Écriture inclusive : les destructeurs de la langue française», Mathieu Bock-Côté, omnicommentateur formé en sociologie, citait — sans attribution, il est vrai, et approximativement — une phrase géniale d’André Belleau : «Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler» (1983, p. 6) devenait «les Québécois n’ont pas besoin de parler français, mais ont besoin du français pour parler».

Les choses se gâtent par la suite, sur au moins trois plans.

Mathieu Bock-Côté n’a jamais rencontré une hyperbole qu’il n’a pas aimée, d’où le ton de son texte : «destructeurs de la langue française», «cancer», «thèse paranoïaque», «tuer le français», «apocalypse», «démission de l’intelligence», etc. En matière de langue, sujet délicat s’il en est un, on pourrait rêver de plus de nuances.

Le chroniqueur ne comprend manifestement pas ce qu’est l’écriture inclusive, qu’il confond avec deux de ses formes, le point médian et la création de nouveaux pronoms personnels. (Les formes de l’écriture inclusive sont nombreuses et encore en évolution : voir ici, par exemple, pour un point de vue posé.) Cela ne l’empêche pas d’affirmer, sans la moindre source, des choses comme celles-ci :

C’est au nom de cela qu’on n’écrira plus, par exemple, les «étudiants» ni même, les «étudiants et les étudiantes», mais qu’on écrira les «étudiant.e.s». Et cela systématiquement.
C’est pour cela que des professeurs n’écriront plus il ou elle, mais iel, et n’écriront plus ceux ou celles, mais celleux.

«Systématiquement» ? Où cela ? Cela se serait imposé «en quelques années à l’université» et «dans l’administration» ? Vraiment ? Cette «manière d’écrire devient progressivement obligatoire» ? Depuis quand, où, pour qui ? On aimerait pouvoir juger sur preuves.

Bock-Côté n’est pas mieux informé au sujet de la réforme proposée d’une règle de l’accord du participe passé, celui avec le verbe avoir. Lui et Patrick Moreau font la paire.

Cela fait beaucoup pour un texte de 480 mots ? Peut-être, mais les habitués du «hibou de Lorraine» (Mark Fortier) ne seront pas dépaysés.

P.-S.—L’Oreille tendue a déjà abordé d’autres positions «linguistiques» de Mathieu Bock-Côté. C’est , notamment.

P.-P.-S.—D’autres chroniqueurs s’excitent le poil des jambes avec l’écriture inclusive. Celui-ci, par exemple.

P.-P.-P.-S.—Vous vous intéressez à l’argumentation chez Mathieu Bock-Côté ? Lisez les Déchirures, le plus récent livre d’Alex Gagnon. (Transparence, totale comme on dit à la Presse+ : l’Oreille tendue a édité ce livre.)

 

Illustration : J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951 (deuxième édition), 143 p., p. 86.

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Gagnon, Alex, les Déchirures. Essais sur le Québec contemporain, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 347 p.

Arguments spécieux du mardi

Participes passés et hiéroglyphes, dessin de Dan Piraro, 2014

Les lecteurs du Devoir sont habitués aux élucubrations d’un de ses chroniqueurs du vendredi en matière de langue (mais pas que). Ils portent peut-être moins attention aux pseudo-arguments d’un autre chroniqueur, Patrick Moreau. L’exception qui confirme la règle est Francis Dupuis-Déri, qui lui consacre quelques pages dans Panique à l’université (2022, p. 215-218).

Prenons le texte «Trop difficile, l’accord des participes passés ?» (le Devoir, 18 avril 2023, p. A7). Patrick Moreau est évidemment contre la modification de leurs règles d’accord, ce qui ne surprendra pas ses lecteurs réguliers.

Sur quoi Patrick Moreau fonde-t-il son refus ?

Les motifs de réforme seraient «toujours les mêmes dès qu’on s’attaque à la langue ou à l’orthographe : d’une part, elles seraient l’une comme l’autre vieillottes et dépassées. […] D’autre part, ces règles seraient trop compliquées.» Les choses sont évidemment un brin plus complexes que cela. De nombreux travaux scientifiques servent de base à de telles propositions de réformes; il n’y est jamais question de règles «vieillottes et dépassées». On peut contester ces travaux, mais il faut d’abord les connaître (voir ici ou , par exemple).

L’Association québécoise des professeurs de français a récemment recommandé une simplification des règles de l’accord du participe passé; c’est à cette prise de position que Moreau répond. La vice-présidente de l’Association, Alexandra Pharand, avance que l’école québécoise consacre 80 heures à l’enseignement de ces règles. Pour Moreau, ce chiffre sort «de nulle part». On lui objectera deux choses. Pourquoi ne pas faire confiance à une association de professeurs de français, surtout quand, comme Moreau, on n’enseigne pas au secondaire ? Ces professeurs ne savent pas de quoi ils parlent ? Par ailleurs, ces chiffres sont les mêmes dans l’enseignement belge, ainsi que le rappelaient Arnaud Hoedt et Jérôme Piron dans le journal Libération en 2018. Dès 1977, André Chervel, dans Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français…, parlait du «nombre faramineux d’heures que [l’enseignement du participe passé] engloutit durant le temps scolaire» (Le français est à nous !, 2019, p. 193). Les chiffres de l’AQPF ne sortent pas «de nulle part».

Moreau semble considérer que les règles du monde naturel et celles de la grammaire sont de même nature : «Espérons qu’on n’appliquera pas la même logique aux règles des mathématiques et de la physique, certaines pas si simples pourtant, et dont quelques-unes — horresco referens ! — remontent à Archimède ou à Pascal…» Rappelons, pour mémoire, que la règle actuelle de l’accord du participe passé avec le verbe avoir n’est apparue en français qu’au XVIe siècle, ainsi que le note Moreau, et qu’elle pourrait disparaître demain sans que cela change quoi que ce soit au fonctionnement de l’univers. On ne la confondra donc pas, si possible, avec la théorie de la relativité restreinte d’Einstein.

En matière d’évolution de la langue, le français aurait un statut à part : «il n’y a que la langue française qui est habituellement visée par ce procès en archaïsme et en complication»; «il n’y a que le français que l’on se croit en droit de transformer, de simplifier, de malmener». Pourtant, il y a des pays où la langue a été l’objet de transformations institutionnelles depuis le début du XXe siècle : l’Allemagne, les Pays-Bas, le Portugal (onze réformes), le Brésil (bis), la Grèce, l’Espagne et les pays hispanophones d’Amérique du Sud, la Hongrie, la Finlande, la Turquie, Israël, la Norvège, etc. Subitement, le français paraît moins seul, non ?

Comme tant d’autres, Patrick Moreau confond le français écrit et le français oral. Reprenons un de ses propres exemples : «La mort de l’homme que j’ai tant désiré.» En l’état actuel des choses, l’accord peut être au féminin («désirée») ou au masculin («mort»). Selon Moreau, il «permet de lever l’ambiguïté potentielle de cet énoncé». Cela n’est bien sûr vrai qu’à l’écrit, puisque l’accord en «e» ne peut pas s’entendre. Dans ce cas, comme l’ont montré nombre de travaux, le contexte est bien aussi efficace que l’accord pour éviter l’«ambiguïté», si tant est qu’elle soit réelle. (Dans Le français n’existe pas [2020, p. 21-23], Arnaud Hoedt et Jérôme Piron déconstruisent précisément cet exemple.)

Un peu d’hyperbole avec ça ? Il faudrait rappeler que «les grammairiens d’autrefois n’étaient ni des imbéciles ni d’infâmes dictateurs». Qui a porté de telles accusations ? Personne, bien évidemment.

Il y a un passage du texte de Patrick Moreau avec lequel on ne peut qu’être d’accord : «si l’on veut réformer l’orthographe, il faut procéder avec prudence, consulter grammairiens et linguistes, historiens de la langue notamment». Ça tombe bien : ils sont des centaines à recommander, et depuis longtemps, cette réforme. On ne l’apprendra pas chez Patrick Moreau.

P.-S.—Au moment de mettre ce texte en ligne, l’Oreille tendue découvre ceci dans une récente chronique d’Anne Catherine Simon, «Passion participe passé» (le Soir, 15-16 avril 2023, p. 7) : «On propose régulièrement de rectifier cette règle injustifiée. En France (1901, 1976), en Belgique (2018) ou en francophonie (2013). La règle rectifiée est simple : les participes passés conjugués avec l’auxiliaire avoir peuvent s’écrire dans tous les cas au masculin singulier. Elle met d’accord l’ensemble des spécialistes de la langue, et beaucoup d’autres» (c’est l’Oreille qui souligne).

 

[Complément du 26 avril 2023]

Sur Twitter, Arnaud Hoedt a proposé ce sublime exemple :

 

[Complément du 13 juillet 2023]

Patrick Moreau manque visiblement de lectures linguistiques. Suggérons-lui Qui veut la peau du français? de Christophe Benzitoun (2021). Ci-dessous, deux extraits.

«En résumé, l’accord du participe passé est un boulet que l’on se traîne depuis des siècles : un fonctionnement qui ne provient nullement de l’usage, que peu de personnes connaissent, mais dont on n’arrive pas à se débarrasser» (p. 76).

«Par ailleurs, dans le discours des opposants à la rationalisation de l’orthographe, un motif récurrent est mis en avant. Ceux-ci se lancent dans une comparaison avec une autre matière, à savoir les mathématiques, et avancent l’idée que si les enfants ne parviennent pas à comprendre certains principes des mathématiques, on ne va pas se mettre à les modifier en prétendant que 1 + 1 = 3. S’appuyant sur cette comparaison, ils justifient l’idée selon laquelle on ne va pas changer les bases de la langue française juste parce qu’elles seraient trop complexes pour les enfants d’aujourd’hui. On ne pourrait pas transformer la langue comme on ne peut pas modifier les mathématiques ou les lois physiques qui régissent le cosmos. Mais la comparaison s’avère totalement infondée. / Comme je l’ai évoqué, l’orthographe est une convention transitoire et non une loi générale permettant de décrire le monde qui nous entoure» (p. 135-136).

L’Oreille tendue a rendu compte de l’ouvrage de Benzitoun ici.

 

Références

Benzitoun, Christophe, Qui veut la peau du français ?, Paris, Le Robert, coll. «Temps de parole», 2021, 282 p.

Candea, Maria et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, 2019, 238 p. Nouvelle édition : Paris, La Découverte, coll. «La Découverte Poche / Essais», 538, 2021, 224 p.

Dupuis-Déri, Francis, Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, Montréal, Lux éditeur, 2022, 315 p.

Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.

La clinique des phrases (eeee)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

On le sait : l’Oreille est volontiers tatillonne en matière d’énumérations; elle les aime rigoureusement construites.

Elle a donc tiqué devant cette phrase :

Je me réjouis que l’on veuille développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; que l’on veuille faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; que l’on veuille parler de sexualité; faire connaître nos institutions politiques; parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Son rédacteur semble s’être lassé en cours de route de l’anaphore que l’on veuille. Il n’aurait pas dû.

Deux corrections sont possibles.

Je me réjouis que l’on veuille développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; que l’on veuille faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; que l’on veuille parler de sexualité; que l’on veuille faire connaître nos institutions politiques; que l’on veuille parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Je me réjouis que l’on veuille : développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; parler de sexualité; faire connaître nos institutions politiques; parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Convenons-en : il reste encore des répétitions de mots (faire connaître, parler). Essayons de régler cela.

Je me réjouis que l’on veuille développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; que l’on veuille faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; que l’on veuille discuter de sexualité; que l’on veuille présenter nos institutions politiques; que l’on veuille parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Je me réjouis que l’on veuille : développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; discuter de sexualité; présenter nos institutions politiques; parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

À votre service.