Une image vaut mille sacres

Motel Galactic est une bande dessinée québécoise de science-fiction — plus précisément de «science-fiction du terroir» (t. 1, rabat) — en trois tomes (2011, 2012, 2013). S’y mêlent «la grande fresque épique et le feuillet paroissial de Saint-Jean-de-Lotbinière» (t. 2, rabat). Les auteurs auraient pour objectif, autrement dit, de «joindre l’infiniment grand et l’infiniment québécois» (t. 2, rabat).

Au XXVIe siècle, «la culture québécoise […] s’est imposée dans toute [sic] l’Univers» et la langue commune est le «spatio-joual» (t. 2, p. 11), ce «nouvel anglais» (t. 2, p. 10). Cela va de soi : on sacre beaucoup.

Prenons l’image suivante (t. 2, p. 86).

Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, p. 86

On y trouve de nombreux jurons, des formes euphémisées de ceux-ci et des interjections : crimepoff, barnak, simonak, ostie, batinsse, cibole, soda, ayoye, crisse, viarge, mothafucka, bâtard, gériboire, sacrament, etc.

Ailleurs, il y a (au moins) calvâsse, cibolak, crime, cristie, estifi, étolle, géritole, shit, tabarslak.

Le spatio-joual est une langue riche.

P.-S. — Le crimepoffe du premier tome (p. 64) devient un crimepoff (sans e) dans le deuxième (p. 86). Ça fait désordre.

 

Références

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 107 p.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.

Autopromotion 071

L’Oreille tendue sera, autour de 9 heures, chez Catherine Perrin, à l’émission Médium large de la radio de Radio-Canada, pour proposer l’inclusion de quelques mots aux dictionnaires courants. Elle sera en compagnie d’Antoine Robitaille (le Devoir) et de Catherine Perreault-Lessard (Urbania).

Reprendra-t-elle les exemples évoqués hier ? On verra.

 

[Complément du jour]

Les trois invités devaient répondre à une quadruple commande.

Faire une suggestion de nom propre (choix de l’Oreille : Lady Gaga)

L’Oreille a fait cette proposition pour contester la décision de Laurence Laporte, directrice éditoriale du Petit Robert 2014, de ne pas retenir le nom de l’artiste dans la nouvelle version du dictionnaire. Mme Laporte a déclaré au Nouvel Observateur : «J’étais surprise du nombre de votes pour Lady Gaga. Je m’y suis opposée. On avait fait entrer Madonna sans problème. Mais Lady Gaga, ça me semblait un peu tôt. Voire un peu tard : on en entend moins parler, ces temps-ci.»

En date d’hier, @ladygaga avait 37 950 291 abonnés sur Twitter. Le Petit Robert 2014 lui a préféré Olivier Adam, Christine Angot et Marc Dugain. Bref, la culture lettrée parisienne de l’heure, oui; la culture populaire mondialisée, non.

Faire une suggestion de nom commun (choix de l’Oreille : snoro)

Sur le «sn(o)(ô)(au)r(o)(ô)(eau)(aud)», voir l’entrée du 17 décembre 2011 et les commentaires étymologiques qui la suivent.

Revoir une définition (choix de l’Oreille : tabernacle)

Pour un Québécois, la définition de ce mot dans le Petit Robert (édition numérique de 2010) est nettement insuffisante : «Petite armoire fermant à clé, qui occupe le milieu de l’autel d’une église et contient le ciboire.»

L’Oreille a beaucoup écrit sur ce juron, son favori. Les modifications qu’elle a proposées en ondes se retrouvent dans cette entrée du 2 septembre 2010.

Toutes les occasions étant bonnes de souligner la richesse phonétique et morphosyntaxique des jurons québécois, et de tabarnac / tabarnak en particulier, il fallait saisir celle-là.

Proposer un nom pour un nouveau dictionnaire (choix de l’Oreille : le Diderot)

Voilà la contribution de l’Oreille à la commémoration du tricentenaire de la naissance du codirecteur de l’Encyclopédie, Denis Diderot.

Créer une version québécoise de ce dictionnaire, le Diderot Québec, pourrait porter à confusion avec Hydro-Québec. On ne le fera pas.

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

 

[Complément du 10 mai 2014]

Non.

Le Figaro, 9 mai 2014Source : le Figaro, 9 mai 2014.

 

[Complément du 4 septembre 2014]

La presse française, qui maîtrise mal les jurons québécois, raffole de «tabernacle». La preuve ? Ce site : http://cariboutabernacle.tumblr.com/. L’Oreille tendue est jalouse. (Merci à @PimpetteDunoyer pour le lien.)

 

[Complément du 10 février 2017]

Le duo français Volo lançait, le 27 janvier 2017, un album intitulé Chanson française, étiquette Play On (!) / Sony ATV. On y trouve la pièce «Tabarnak». La prononciation du mot est excellente. Merci.

Juron ressuscité ?

Il y a deux ans, l’Oreille tendue l’évoquait parmi les «versions édulcorées» des jurons québécois, les «sacres», mais sans trop croire à sa permanence. Y avait-il encore quelqu’un pour utiliser le mot «torpinouche» ?

Il semble que oui. «Torpinouche, un accident !» peut-on lire en titre dans la Presse du 2 avril (cahier Affaires, p. 9).

Ce «juron inoffensif», dixit Léandre Bergeron (1981, p. 159), survivra donc ailleurs que dans l’œuvre d’Albert Chartier.

Albert Chartier, «Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955

«Délassements nocturnes», le Bulletin des agriculteurs, novembre 1955.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.] Ill. Présentation de l’auteur.

L’orthographe de la CEIC

L’Oreille tendue ne saurait être partout; voilà pourquoi elle a des taupes. S’agissant de la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction — la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside —, là où règne le «croustillant», son informatrice est @NieDesrochers (merci).

En matière de jurons, celle-ci lui rapportait hier deux décisions orthographiques, dont l’une bien étonnante, dans le cadre de la transcription des débats télévisés de la commission.

La première : «“Tabarnak” ou “tabarnaque”, la #ceic opte pour la 2e orthographe.» C’est une décision qui, à l’écrit, se défend, mais elle n’est pas d’un très grand poids, dans la mesure où, à l’oral, nak et naque, c’est kif-kif. Nac aurait d’ailleurs tout aussi bien fait l’affaire. Chacun pourra continuer à dire selon son cœur.

La seconde : «Ah ? “Siboire” ? #ceic.» Cela attriste. La culture religieuse et la culture littéraire exigent, à l’écrit, «ciboire», et rien d’autre. À l’oral, c’est autrement complexe.

Les contribuables sont en droit de se demander si toutes les décisions de la CEIC sont, et seront, également fondées.

P.-S. — @curler101 voyait, dans ce «siboire», «le vin qui coulait à volonté» chez les témoins, d’où «six boires». On aimerait le croire.

Transcription d’écoute électronique (CEIC)

Merci à @PaulJournet

Sacres gelés (Hommage à Rabelais)

Jo Nesbø, le Sauveur, 2012, couverture

«Il était appuyé au chambranle, les bras croisés, et regardait les gars porter des sacs-poubelle noirs depuis le camion jusque dans l’entrepôt du magasin. Les types soufflaient des phylactères blancs qu’ils remplissaient de jurons en dialectes et langues divers.»

Jo Nesbø, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p., p. 75. Traduction d’Alex Fouillet. Édition originale : 2005.

 

[Complément du 5 avril 2023]

Pourquoi cette allusion à Rabelais ? En 1552, dans son Quart livre, il intitule le chapitre LVI «Comment, entre les parolles gelées, Pantagruel trouva des motz de gueule». On y lit ceci : «Le pillot feist responce : “Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut, au commencement de l’hyver dernier passé, grosse et felonne bataille, entre les Arismapiens et les Nephelibates. Lors gelerent en l’air les parolles et crys des homes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx et tout aultre effroy de combat. À ceste heure la rigueur de l’hyver passée, advenente la serenité et temperie du bon temps, elles fondent et sont ouyes”» (p. 206). (Mieux vaut tard que jamais.)

 

Référence

Rabelais, François, le Quart Livre, dans Œuvres complètes. Tome II, Paris, Garnier, 1962, p. 1-260. Introduction, notes, bibliographie et relevé de variantes de Pierre Jourda. Édition originale : 1552.