Saperlipopette ?

Michel Tremblay, la Diaspora des Desrosiers, 2017, couverture

L’Oreille tendue aime beaucoup sacrer, et sacrer beaucoup. Il ne lui viendrait jamais à l’esprit d’utiliser saperlipopette. Si elle en croit Michel Tremblay, dans la Traversée du continent (2007), elle se trompe :

Ce saperlipopette-là aussi est célèbre dans la famille. Bebette n’a jamais sacré de sa vie, elle n’en a jamais eu besoin : il suffit qu’elle ouvre la bouche, qu’elle lance son tonitruant saperlipopette pour que tout s’arrête, les gens d’agir et le monde de tourner. Elle le crie avec un tel aplomb, une inflexion de la voix si intense, que jamais un sacre venu du Québec — ni tabarnac, ni câlice, ni sacrament, ni même crisse de câlice de tabarnac de sacrament — ne pourrait l’égaler. C’est un coup de tonnerre qui frappe en plein front et qui vous laisse paralysé et impuissant. Et tremblant de peur (éd. de 2017, p. 104).

Dont acte.

 

Référence

Tremblay, Michel, la Traversée du continent, dans la Diaspora des Desrosiers, préface de Pierre Filion, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 11-192. Édition originale : 2007.

Sacrons avec William S. Messier

William S. Messier, le Basketball et ses fondamentaux, 2017, couverture

Le plus récent ouvrage de William S. Messier, le Basketball et ses fondamentaux, a beau être sous-titré Nouvelles, il mêle plusieurs genres, la nouvelle, évidemment, mais aussi les souvenirs et l’essai.

Il aborde une question chère au cœur de l’Oreille tendue, le juron.

Tel sacre s’insère dans la série créée à partir d’hostie : «Comme l’ostique de Samuel Desrochers, qui est toujours là à bosser le monde sans demander l’avis de personne, sauf à son ostique de chien de poche, Hugo Quesnel» (p. 10). Un autre vient remplir une case vide de l’herbier de l’Oreille : «Bref, le coup à la gorge sert moins à blesser quelqu’un qu’à jouer dans sa tête. Je dis ça, mais pour de vrai, ça fait mal en criffe» (p. 21). Il lui manquait un exemple avec cibole ? Plus maintenant : «Le coach Côté dit que, sauf le respect des élus, tout ce qu’il sait, lui, c’est qu’au cœur du véhicule, à un moment donné, le temps d’un tonneau, t’oublies le dehors. Il dit que tu te fies juste à ce que tes sens perçoivent et il dit que cibole, ce qu’ils perçoivent, c’est ton corps et celui de tes joueurs qui revolent et rebondissent tellement naturellement avec les cossins, les sacs de sport et les ballons de basket que tu jurerais que les parois de la van font des exercices de passes» (p. 79-80).

(La dernière citation provient de la nouvelle «Transport», peut-être la plus forte du recueil.)

Il y a surtout le paragraphe qui ouvre «La défaite de Big Dawg» :

Big Dawg fait le voyage du trou au truck en écoutant son patron. Jeff est le genre de gars qui ponctue chacune de ses phrases d’un sacre. Personne ne parle comme ça dans la vie. Big Dawg se dit que, s’il croisait un étranger qui sacrait autant que son patron, il penserait au syndrome de Gilles de La Tourette. Jeff ne sacre pratiquement pas quand il s’exprime dans sa langue maternelle, pourtant. Mais d’ajouter des ta-burn-ack et des caw-liss à ses phrases lui donne peut-être confiance. Comme si les sacres compensaient son accent. Dans le fond, Big Dawg fait un peu la même chose quand il parle en anglais. Il lance des shit et des fucking à gauche et à droite. Ça lui donne l’impression d’être crédible. Il ne s’arrête jamais pour réfléchir au fait que, dans sa langue maternelle, il utilise les sacres de façon beaucoup moins libérale, avec parcimonie (p. 85-86).

On sacrerait plus dans sa langue seconde que dans la première ? Voilà une hypothèse à laquelle l’Oreille tendue n’avait jamais réfléchi. Elle va s’y mettre.

P.-S. — «Personne ne parle comme ça dans la vie» ? Peut-être, mais au théâtre, si.

 

Référence

Messier, William S., le Basketball et ses fondamentaux. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 12, 2017, 239 p.

Le mélange des genres

Illustration tirée de la bande dessinée les Casseurs d’André-Paul Duchateau et Christian Denayer (1988)

 

«Tabar-fucking-nak !» dit la «coiffeuse anglo» de Nicolas Langelier (2016, p. 24).

Sur Twitter, @msoleil_ faisait remarquer un jour que «tabarfuck» est utile «en cas de rencontre petit orteil / patte de table».

Dans Facebook, @revi_redac a croisé «tabarnafuck».

Le Québec est un espace où les langues se touchent au quotidien.

 

Illustration tirée de la bande dessinée les Casseurs d’André-Paul Duchateau et Christian Denayer (1988).

 

Références

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.

Langelier, Nicolas, «La folle aventure», Nouveau projet, 10, automne-hiver 2016, p. 19-25.