Belgicismes et québécismes

Dictionnaire des belgicismes, 2009, couverture

Dans une note d’un article paru en 2009, Wim Remysen, s’interrogeant sur l’emploi des mots canadianisme et québécisme, écrivait ceci : «Il serait tout à fait intéressant de comparer la situation canadienne avec celle qui prévaut ailleurs dans la francophonie» (p. 207 n. 2). Il se posait notamment la question du belgicisme. Deux événements se tiendront à Montréal cette semaine, qui devraient permettre d’explorer plus avant le statut des mots «régionaux» du français.

Le 18 novembre, à 19 h, l’Oreille tendue animera une table ronde intitulée «Belgicismes et québécismes : même combat ?». Elle réunira Michel Francard et Marie-Éva de Villers.

Michel Francard est professeur ordinaire à l’Université de Louvain (Belgique), où ses recherches et son enseignement portent principalement sur le français et ses différentes variations. Il a fondé le centre de recherche Valibel et il est actif dans différents réseaux internationaux centrés sur la francophonie. Il vient de publier un Dictionnaire des belgicismes aux éditions De Boeck (2010).

Marie-Éva de Villers est chercheuse agrégée à HEC Montréal, où elle dirige l’équipe qui met en œuvre la politique de la qualité de la communication auprès de l’ensemble des étudiants. Une version numérique de son Multidictionnaire de la langue française (Montréal, Québec Amérique, 2009) sera mise en ligne à l’automne 2010.

La table ronde se tiendra à la librairie Le port de tête, 262, avenue Mont-Royal Est, Montréal. Elle est organisée par le Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) et la Délégation Québec Wallonie-Bruxelles au Québec, avec la participation de Radio Spirale. L’entrée est libre.

Le lendemain, le 19 novembre, Michel Francard présentera une conférence au Département de linguistique de l’Université du Québec à Montréal. Intitulée «Québécismes, belgicismes, helvétismes… Et le “bon” français dans tout ça ?», elle débutera à 13 h 30 dans la salle N-M210 du pavillon Paul-Gérin-Lajoie (1205, rue Saint-Denis, Montréal).

 

Références

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.

Remysen, Wim, «L’emploi des termes canadianisme et québécisme dans les chroniques de langage canadiennes-françaises», dans France Martineau, Raymond Mougeon, Terry Nadasdi et Mireille Tremblay (édit.), le Français d’ici. Études linguistiques et sociolinguistiques sur la variation du français au Québec et en Ontario, Toronto, Éditions du GREF, coll. «Theoria», 13, 2009, p. 207-231.

Villers, Marie-Éva de, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec Amérique, 2009, xxvi/1707 p. Cinquième édition.

Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, cinquième édition, 2009, couverture

 

A volonté

Bons mangeurs et bons buveurs, les Québécois aiment aussi économiser. Ils apprécient les buffets à volonté et les bars ouverts, là où l’on s’empiffre et s’imbibe pour un prix unique réputé modique.

Bar ouvert est d’ailleurs devenu synonyme de générosité indue, souvent gouvernementale, dans bien d’autres domaines que la restauration.

«Avis aux propriétaires immobiliers et à ceux qui envisagent de devenir propriétaire : le bar ouvert hypothécaire tire à sa fin» (la Presse, 3 mars 2010, cahier Affaires, p. A1).

«Le Trésor n’est pas un “bar ouvert”. Jean Lapierre affirme qu’Ottawa n’offrira pas la lune à Bombardier» (le Devoir, 9 novembre 2004).

«Patrimoine : “Pas de bar ouvert”, dit Christine St-Pierre» (le Devoir, 19 février 2008, p. B8).

«Le CPQ espère que Québec ne deviendra pas un “bar ouvert”» (le Devoir, 22 décembre 2008, p. A2).

Les Québécois aiment aussi le festival : il y en a des centaines dans la Belle Province.

Julie Snyder, la dulcinée de PKP, a opéré la semaine dernière une fusion inattendue de ces trois expressions populaires, en parlant de «festival du buffet ouvert des injures» («Procès en diffamation intenté par Pierre Karl Péladeau contre Sylvain Lafrance. Julie Snyder défend son amoureux», la Presse, 13 novembre 2010, p. A14).

Ça fait beaucoup.

Les joies du bilinguisme

Cette publicité, dans la vitrine de l’épicerie près de chez l’Oreille tendue, il y a quelques jours :

«Sans gluten free», publicité, Montréal, 2010

Premier réflexe : qu’est-ce que ce «gluten free» qu’il n’y a pas dans le produit en montre («sans gluten free») ?

Deuxième réflexe : voilà ce que c’est que d’habiter une ville bilingue («sans gluten» / «gluten free»).

Toutes les occasions de citer Gaston Miron étant bonnes, saisissons celle-ci :

Dès que j’ai pu me rendre compte du monde extérieur, je trempais dans un environnement linguistique à prépondérance anglaise et bilingue, le français étant réservé à l’usage domestique. Ce chevauchement des deux langues, plus exactement d’une langue sur l’autre, finissait par composer une trame indifférenciée, les mots allaient par couples et ces paires de signes me saisissaient comme un seul signal. Door/porte, pull/tirer, pont/bridge, meat/viande, lundi/monday, péage/toll, men/hommes, address/adresse, merci/thank you, bienvenue/welcome, etc. Et j’étais cerné par l’affichage, l’annonce, la réclame. Le monde était tel, pensais-je (p. 222).

 

Référence

Miron, Gaston, «Le bilingue de naissance», Maintenant, 134, mars 1974; repris dans l’Homme rapaillé. Poèmes, Montréal, Typo, 2005, 258 p. Préface de Pierre Nepveu. Édition originale : 1998.

De la binette

Marcienne Martin, Dictionnaire des pictogrammes numériques et du lexique en usage sur Internet et les téléphones portables, 2010, couverture

Sous la signature de Marcienne Martin, les Éditions L’Harmattan viennent de faire paraître un Dictionnaire des pictogrammes numériques et du lexique en usage sur Internet et les téléphones portables (2010, 154 p.).

Dans le communiqué de presse, il est précisé que ce dictionnaire «a un caractère non exhaustif étant donné les possibilités illimitées que possède une langue en cours de création». Question, dès lors : pourquoi publier un dictionnaire papier d’un objet aussi mobile, voire éphémère, que les pictogrammes numériques et que le lexique lié à une technologie particulière ? Un site Web interactif ne serait-il pas plus approprié ? Devant un objet qui change aussi rapidement, pourquoi se limiter à un ouvrage imprimé condamné à une prévisible obsolescence ?

Mince consolation : on peut acheter le PDF du livre. (De là à le lire sur son téléphone, c’est une autre histoire.)

P.-S. — Binette ? Plutôt qu’émoticône, c’est la traduction que proposait dès 1995 l’Office québécois de la langue française du mot «smiley».

Le guide alimentaire canadien, bis

En première page du journal la Presse les 6-7 novembre : «Quand les restaurants mangent leurs bas.» Voilà qui devrait étonner.

S’il est vrai que l’on nous recommande souvent de manger régulièrement des fibres, ce titre peut paraître aller un tantinet trop loin. N’est-ce pas exagérer le souci de son transit intestinal ? Est-ce pour cela que le magazine Québec science a déjà parlé du Québécois comme d’un «mangeur distinct» (été 2009) ?

On aurait tort de le penser : au Québec, manger ses bas n’a rien à voir avec l’alimentation. L’expression désigne plutôt un échec complet, ou du moins un échec appréhendé : voilà ce qu’il nous reste quand tout a échoué. Celui qui mange ses bas doit ravaler son honneur. Désespéré, il est à la dernière extrémité.

L’Oreille tendue se demande — mais sans impatience excessive — d’où pareille expression peut bien venir.

P.-S. — Manger ses bas peut aussi signifier être nerveux. «J’ai pensé à Denys Arcand, qui devait être en train de manger ses bas […]» (la Presse, 26 mai 2003). Ce n’est pas l’usage le plus courant.