Cooccurrences du jeudi matin

Amour. — Souvent platonique.

Âtre. — «En littérature, une source “murmure” toujours, et un feu “crépite” dans l’âtre» (Salut, mon pope !, p. 179).

Bureaucratie. — La dire kafkaïenne relève presque du pléonasme.

Capitalisme. — Nécessairement sauvage.

Caverne. —Évoquer Platon.

Déjà. — Voir toujours.

Dilemme. — Cornélien. (Chez les Britanniques : shakespearien.)

Duel. — Historiquement homérique.

Faits. — Les préférer têtus.

Fleuve Saint-Laurent. — Évidemment majestueux.

Œuvre. — Il est bon qu’elle soit monumentale.

Plan. — Machiavélique, par essence.

Platon. — Évoquer sa caverne.

Récit. — Haletant. (Ce serait une qualité.)

Repas. — Gargantuesque. Voir rire.

Rire. — Rabelaisien. Voir repas.

Source. — Voir âtre.

Talent. — Il est réel, ou il n’est pas.

Toujours. — Jargon universitaire : toujours-déjà.

P.-S.—En ces matières, la lecture d’Hervé Laroche est recommandée.

(Merci à @revi_redac.)

 

Référence

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.

Hervé Prudon (1950-2017)

Hervé Prudon, Champs-Élysées, 1984, couverture

Livre Hebdo annonce ce matin la mort du romancier Hervé Prudon.

À une époque de sa vie, l’Oreille tendue a lu quelques polars de cet auteur : Mardi-gris (1978) — Prudon y pratique la diaphore —, Tarzan malade (1979) — lire un autoportrait ici —, Banquise (1981) et Champs-Élysées (1984).

Elle avait rendu compte de ce dernier roman pour le magazine culturel Spirale (46, octobre 1984, p. 15) :

Martin Bollène aime éperdument Jamina, «la plus belle fille du monde», qu’il a rencontrée dans le train le ramenant à Paris (p. 9, p. 107). Après quatre années passées en montagne à la recherche de son «âme» (p. 10), il rentre, engagé par la Prestige Élysées Films, pour tourner une publicité de trente secondes. Alors plongé en pleine guerre des gangs, il voit disparaître Jamina et se trouve au centre d’affrontements (auxquels il ne comprend rien) entre bandes rivales. Mais Bollène n’est pas un héros; il se sentirait plutôt, comme la bille d’un flipper, à la merci d’un «grand manager» inconnu (p. 20, p. 155, p. 204). Les Champs-Élysées, «mirages bordés de cactus» (p. 131) ou «traînée lumineuse de l’Occident chrétien» (p. 10), ne sont que le décor de cette histoire d’amour; la vie est ailleurs, dans les parkings et les galeries souterraines, les bureaux insonorisés ou les wagons désaffectés. Comme dans Banquise, un de ses romans précédents, Prudon fait avec Champs-Élysées autant dans la «poésie suburbaine» que dans le néopolar. Enlevée, brillante, jouant des modes et des niveaux linguistiques, la prose de Prudon rend aussi bien la tendresse de Bollène pour son père que la violence urbaine. Sur fond de désillusion post-soixante-huitarde, l’auteur met en scène divers mythes modernes (les bas-fonds de la ville, l’amour fou, le héros solitaire), sans clichés ni pathos. Même si «Paris écrase tout» (p. 26), Bollène et Jamina s’en sortiront.

On trouve aussi (au moins) un zeugme dans ce roman (voir ).

 

Référence

Prudon, Hervé, Champs-Élysées. Roman, Paris, Mazarine, 1984, 214 p.

Accouplements 99

Marivaux, la Dispute, édition de 1754, première page

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pas plus tard que jeudi matin, l’Oreille tendue, dans le cadre de son cours sur le théâtre du XVIIIe siècle, proposait à ses étudiants un rapprochement entre la Dispute de Marivaux (1744) et la téléréalité.

Pour cela, elle s’appuyait sur un livre de Catherine Henri, De Marivaux et du Loft (2003). L’auteure y raconte une expérience d’enseignement, au lycée, en 2001-2002, durant laquelle elle a lu la pièce de Marivaux à la lumière de la téléréalité française Loft Story.

Le Devoir de samedi consacre un court texte à une téléréalité québécoise, Occupation double à Bali. Titre de l’article : «Retour des marivaudages sous le soleil.»

Ça ne s’invente pas.

 

[Complément du 23 septembre 2020]

La mise en scène de la Dispute par Laurent Leclerc en 2019 (Comédie Poitou Charentes) évoque elle aussi l’univers de la téléréalité.

 

Illustration : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, le Theatre de Monsieur de Marivaux, de l’Academie française. Nouvelle édition, À Amsterdam et à Leipzig, Chez Arkstee & Merkus, 1754, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Henri, Catherine, De Marivaux et du Loft. Petites leçons de littérature au lycée, Paris, P.O.L, 2003, 151 p.

L’oreille tendue de… Grégoire Courtois, bis

Grégoire Courtois, les Lois du ciel, 2016, couverture

«Et dès cet instant, il s’était mis à marcher différemment, à moins parler, à se faire plus discret, à tendre l’oreille au moindre bruit, car désormais, il ne jouait plus au loup, comme il l’avait fait avec Yasmine et Emma — comment avaient-elles pu lui échapper ces deux idiotes ? — pour les effrayer plutôt que vraiment les attraper, désormais il était en chasse, et ce faible gémissement, cet infime couinement qui lui était parvenu de plus en plus nettement, à mesure qu’il avançait vers le nord, il avait commencé à penser que ce pouvait bien être sa première proie.»

Grégoire Courtois, les Lois du ciel. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 99, 2016, 195 p., p. 128.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 15 mars 2017.