Sens dessus dessous

Publicité de plomberie, Montréal, 2013

Dans la langue populaire du Québec, (en) dessous a droit à plusieurs prononciations et à plusieurs graphies.

Dessour : «C’était dans la cassette. Ça l’avait glissé en dessour du lit» (les Sentiers de neige, p. 284).

De sour : «Comme tirée par la manette de la télévision, dans un frottis de chaussons suivi d’un cliquètement de griffes excitées, la mère a tourné en virant de sour le coin du corridor, quand même battue dans le sprint final par le chien l’accompagnant» (la Bête creuse, p. 434-435).

D’sour : «l’ostie de singe / y est-tu allé s’cacher en d’sour du lynx» (l’Allégorie du tiroir à ustensiles, p. 83).

Tsour : «Je préfère de loin flotter en superficie avec lui que faire des pets de tsour de bras en apnée» (Une femme extraordinaire, p. 107). N.B. : On aura reconnu l’aisselle dans ce tsour de bras.

Entsoure : «Son immensité m’apaisait. Il devait se passer bien des affaires entsoure, mais la surface, elle, n’avait pas envie de s’obstiner avec qui que ce soit» (Une femme extraordinaire, p. 236).

C’est comme ça, et ce n’est probablement pas tout.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Cloutier, Fabien, l’Allégorie du tiroir à ustensiles. Chroniques et monologues pour se replonger dans les années 2018-2022, Montréal, Lux éditeur, 2022, 224 p. Dessins de Samuel Cantin.

Éthier, Catherine, Une femme extraordinaire, Montréal, Stanké, 2022, 302 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

L’oreille tendue de… Kev Lambert

Kev Lambert, les Sentiers de neige, 2024, couverture

«Avec les néons du plafond allumés, l’eau de l’aquarium paraît encore plus verte. La douillette d’Olivier git éventrée sur le sofa. Personne en vue. On s’approche prudemment des chambres du fond et on tend l’oreille. Geneviève et Oli sont en haut, dans le salon, on les a vus avant de descendre. Damien doit être aux toilettes, ça lui prend toujours une heure avant de sortir. La chambre rose de Geneviève est vide.»

Kev Lambert, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p., p. 217.

Que faire de sa connaissance ?

La Dame aux camélias, 1912

Perdre connaissance est à la portée de tout le monde.

Perdre sans connaissance ou venir sans connaissance ne semble guère se pratiquer que dans le français populaire du Québec.

«J’me sus promenée dans le quartier, j’ai été faire ma commande chez Provost. Monsieur Provost a failli perdre sans connaissance quand y m’a vue arriver !» (Survivre ! Survivre !, p. 1204)

«elle venait sans connaissance quand il se paquetait de même» (la Bête creuse, p. 652).

Dans certains cas, la perte de connaissance peut aller jusqu’à l’inconscience. Dans d’autres, comme dans la citation de la Bête creuse, sans connaissance n’est là que marquer l’ébahissement. Autre exemple :

«Quelque chose s’écroule. On est le 25 décembre. Zoey a oublié que c’est le jour où ses parents se l’échangent, le jour où il passe d’une famille à l’autre. Émie est sans connaissance, Zoey est distrait, toujours mêlé dans son horaire. Ils avaient des plans pour l’après-midi, pour la soirée, pour le lendemain…» (les Sentiers de neige, p. 224)

À votre service.

P.-S.—On ne confondra pas cette connaissance-là avec cette connaissance-ci.

 

Illustration : Sarah Bernhardt dans la Dame aux camélias (1912). Source : imdb.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Tremblay, Michel, Survivre ! Survivre !, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1101-1251. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2014.

Attention à vos oreilles

«Tendez l’oreille à votre audition !», la Presse+, 6 mai 2019, titre

Soit trois citations, tirées d’autant de recueils de poésie québécoise :

«Sa langue claque, ses lèvres craquent, sa gorge griche» (L’effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments, p. 46).

«Cléoma Breaux vous m’entraînez
en Louiziane
dans votre voix qui griche» (Où aller, p. 66).

«tu es entré en moi
à la vitesse de la lumière

tu as libéré mes souffles brisés
réparé mes seins

et déplacé quelques fréquences qui grichaient encore» (Toute ou pantoute, p. 75)

Dans son édition numérique de 2018, le Petit Robert donne, comme marques d’usage, à gricher : «(Canada) FAM.» (pour «familier»). Il lui attribue deux sens : «grincer» et «grésiller».

Dans les trois exemples ci-dessous, c’est le deuxième sens que l’on entend. Et ce n’est agréable pour personne.

 

Références

Aubin, Charlotte, Toute ou pantoute. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 87 p. Ill.

Desbiens, Patrice, L’effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments, Montréal, Lanctôt éditeur, 1999, 60 p.

Hébert, François, Où aller, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2013, 89 p.