L’oreille tendue de… Eugène Savitzkaya

Eugène Savitzkaya, la Traversée de l’Afrique, 1979, couverture

«Bien sûr, le sang nous manquait, les fruits et l’air nous manquaient, le feu nous manquait, l’eau nous manquait. Rien ne nous manquait. À vrai dire, nous mentions sans cesse pour dissimuler notre richesse, notre ennui, notre inappétence. Et le pauvre jardinier ouvrait la bouche, tendait l’oreille, ébloui par tant de paroles.»

Eugène Savitzkaya, la Traversée de l’Afrique. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 144 p. Édition numérique.

Accouplements 170

Suzanne Lamy, la Convention, 1985, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Lamy, Suzanne, la Convention. Récit, Montréal et Pantin, VLB éditeur et Le Castor astral, 1985, 82 p.

«Me revient ce soir l’attention que tu as toujours accordée aux petites choses, habituellement l’apanage des femmes — une tache de couleur, un tic dans la parole, les bizarreries de la chatte. Le poivron vert que tu as posé au matin de mon départ sur le rebord de la fenêtre. Tu me dis qu’il mesurera l’écoulement du mois que je vais passer près de ma mère. Tu le vois virer du vert lustré à l’incarnat flamboyant, au mordoré pâli, tourner au mauve noir. Tu suis les premières craquelures jusqu’à ce que la peau malade d’un lupus irréversible plisse, ratatine, fende autour de graines desséchées et jaunasses qui tombent une à une dans un mucus malodorant. Au téléphone, tu me donnes de ses nouvelles, régulièrement» (p. 44).

Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.

«Même que sur son balcon, quand le printemps arrivait, elle mettait une pomme sous une cloche de verre, tu sais, comme pour le fromage. Et elle laissait la pomme pourrir là. Elle aimait ça voir toutes les étapes de la décomposition. C’était comme un symbole pour elle. Tout le monde qui passait chez elle devait se taper sa théorie sur la pourriture, qu’elle expliquait avec un regard méchant. Elle aimait ça mettre le monde mal à l’aise avec ça. Je veux dire, au début du printemps, déjà, c’est un peu écœurant, mais quand l’été commence, c’est devenu vraiment dégueulasse. Mais elle, elle disait qu’il n’y avait pas de raison de trouver ça dégueulasse. Je te l’expliquerai, sa théorie, une fois» (p. 71-72).

Le zeugme du dimanche matin et de Marie-Anne Barbier

Marie-Anne Barbier, Arrie et Pétus, éd. de 1702, page de titre

«Que mon père à la fois range sous ses drapeaux
Une fille, un consul, mes pleurs et vos faisceaux»
(acte III, sc. V, v. 929-930, p. 407).

Marie-Anne Barbier, Arrie et Pétus, dans Aurore Evain, Perry Gethner et Henriette Goldwyn (édit.), Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. 3. XVIIe-XVIIIe siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. «La cité des dames», 8, 2011, p. 353-435. Édition originale : 1702.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)